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Amour virtuel

Suzanne El Lackany, Lundi, 04 mars 2013

Dialogue imagé et passion supposée, des thèmes sur lesquels Samir Darwich s’interroge dans son nouveau recueil de poèmes Gharam efteradi (amour virtuel). Ces quelques vers posent la limite entre l’émotion instinctive et l’invasion technologique.

Elle m’avait dit :

Je surprendrai ton adresse

Et je te volerai toi-même sans doute,

Instants brefs, je vis chaque minute que j’aime.

La vie n’est qu’un seul instant,

La beauté n’est qu’un moment.

Je lui réponds : Et l’amour ?

Litterature

— Instant de palpitation de veines et de plaisirs

qui devient aussitôt une lutte pour la survie sur

terre. L’amour est entre mes souffles.

— Comment donc pourrais-je pénétrer tes

souffles ?

— Par le rêve

nous réalisons

l’impossible,

a-t-elle alors avoué.

13/5/2011

Elle m’avait dit :

Si ma main à présent laisse glisser la rosée

Je l’aspergerai telles des roses sur tes lèvres.

Aujourd’hui les rossignols chantent de joie dans

ma gorge,

Le jasmin exhale son parfum à travers tout mon

corps.

Elle avait dit : Quel soleil, quel temps, quelle

étoile,

Et quel ciel

Nous poussent à entrer

dans l’intimité du monde invisible ?

14/5/2011

Elle avait dit :

Quand tu viendras, il ne faudra pas me préciser

Combien de cuillères de sucre tu préfères dans

ta tasse de thé

Combien de cafés turcs tu bois par jour

Le côté du lit où tu dors d’habitude

Les lieux que tu aimes fréquenter

Les couleurs qui apaisent tes yeux,

J’ai déjà fait ton portrait à la peinture à l’huile,

Il reste seulement afin de l’achever

La force virile d’une étreinte de tes bras.

17/5/2011

Elle m’avait dit :

Toi seul tu peux me sonder …

Silencieuse, je rêve de toi,

Laisse-moi, pour une fois, demander plus que

le rêve.

Quand je raconte je me dénude,

Laisse-moi, toujours, me montrer nue devant

toi.

En voulant ton refuge, je fuis ma solitude

Accorde-moi le repos dans ton saint des saints.

Ma veillée s’accomplit en toi

Je te cherche entre les carnets de poésie

Donne-moi cette chance de persévérer.

20/5/2011

Elle m’avait dit :

N’apporte pas de rose, et rien d’autre, à une

femme

Si tu souhaites éventuellement la revoir,

Les roses ne guident pas le coeur des femmes !

Et ne va pas dire à une femme : J’ai fait … (au

passé)

Si tu veux qu’elle garde ton numéro de

téléphone,

Les femmes ne regardent jamais derrière elles !

D’ailleurs, tu ne pourrais pas emmener deux

fois une femme

Au bord de la rivière

Les vaguelettes de la rivière sont imprévisibles

Et la tristesse paraît mouvante dans ton coeur

De cela, une femme n’est jamais satisfaite !

22/5/2011

Elle m’avait dit :

Tu as tracé sur la toile une nouvelle image de

mon corps

Une tacheture par ici puis un cercle ou une ligne

Ou bien …

Et encore …

Tu as fait pousser un enfant entre les mailles du

linge

Et un jasmin dans mon ventre.

Elle m’avait dit :

Toi et moi on a peint ensemble la toile de mon

corps

Une moucheture là, un rond, et puis …

Et moi j’ai tissé des voiles

Et des rideaux épais.

Elle me l’avait dit :

J’ai filé des draps

Avec un corps qui a pris forme

Dans l’instant de la première naissance,

Ou bien … et encore …

Et elle lui a dit :

Tu as dessiné sur la toile une autre image de

mon corps

Une bariolure par ici …

23/5/2011

Elle m’avait dit : Cette femme est un oiseau

Qui s’élève avec grâce au-dessus d’immenses

hauteurs

Qui badine avec l’air et les yeux ravis

Qui laisse s’épancher des souffles d’embruns

légers

Qui replace les coeurs sur la carte du désert

Comme une divinité envoyant des prophètes à

ceux qui doutent.

Elle confie : lorsque l’oiseau se pose sur la terre

Ses griffes s’emparent d’une victime du péché

D’un bonheur trouvé dans une beauté virtuelle

Qui n’existe nullement comme vérité établie.

26/5/2011

Elle m’avait dit :

Les femmes s’enchaînent sur les murs de ta vie

Un tableau où foisonnent des détails de traits et

couleurs,

Histoires, interrogations, musique et silence.

Et en te retirant au fond de ton coin éloigné

Tu ne possèdes qu’un seul coeur

Deux yeux, tout comme un nez cassé,

Des lèvres, des poèmes,

Des fantaisies écrasées par les pneus des

voitures

Et deux enfants.

Elle dit : Fais le vide d’un désir qui t’habite

Entre deux coups d’oeil

Tu verras le mur aux couleurs effacées

Ou dépourvu de sens.

30/5/2011

Elle m’avait dit :

L’herbe ne pousse pas sur l’asphalte de la prison,

Parmi les décombres il n’y a que la musique

funèbre qui fuse.

N’épuise pas le langage pour figurer une femme

Jamais évoquée dans une oeuvre de poète,

Ne détruis pas les couleurs

Pour dessiner un corps réticent à la forme

féminine !

Elle a dit : J’irai là où vont les mythes

Je précipiterai les pluies vers ta terre

Je perdrai mon bracelet de cheville entre ton

torse feuillu

Et mon regard dans la douceur du son du piano

Saurais-tu peut-être me recueillir, m’enfiler,

comme un collier ?

2/6/2011

Elle m’avait dit :

Les couleurs éparpillées joyeuses

Luxuriantes

On les croirait séparées des arbres de l’éden,

Elles disparaissent très vite sous les histoires

racontées

Et les visages que l’on sent chaleureux.

Dans le vide de ta chambre il n’y a plus qu’un

silence

Et des signes de lassitude,

Un chat solitaire,

Ta présence.

30/6/2011

Elle m’avait dit :

Les hommes assis au café fuient

La clameur du silence

Ils vomissent fumées et cris

Et gardent des images déformées de femmes

Qui envoient des lettres enflammées

Pour esquiver le poids des hommes légitimes

Qui n’aiment pas la fumée à l’arôme de pomme !

Puis elle a parlé ainsi :

Les ailes blanches des volutes de fumée haut

dans l’air

Répandent l’effervescence des corps dissous

Qui iront se poser partout dans d’autres cafés.

Et les maisons demeurent bien ancrées,

Dominantes et vides pourtant.

4/7/2011

Elle m’avait dit :

Comme un arbre dont les racines s’engouffrent

dans la terre

Et le parfum de ses feuilles se répand dans

l’espace,

En reprenant la position debout, à une même

distance,

Les lettres de ton alphabet sont libres de

s’introduire où elles veulent

Et laissent du miel sur les lèvres

A recueillir peut-être goutte à goutte

Lorsque la nuit propagera des créatures

énigmatiques.

Elle a dit : Chaque goutte est un poème

Chaque poème est vie

Chaque vie te rapproche d’une lieue de félicité

Et t’éloigne de l’élan intense qui a tant envahi

Cinquante années

De ta vie .

30/7/2011

 

Samir Darwich

Né en 1960 dans le gouvernorat de Qalioubiya, il travaille dans l’édition et dans l’administration de l’Union générale des écrivains et hommes de lettres arabes. Poète, il appartient à la génération des années 1980, et a déjà publié huit recueils. De même qu’il a publié deux romans, dont Khamas sanawat ramliya (cinq ans de sable) qui a reçu le prix du Club de la nouvelle. Parmi ses recueils de poème : Qotoufaha wa soyoufi (ses cueilles et mon épée, éditions de l’Organisme général des palais de culture en 1991), Al-Zogag (le verre, GEBO en 1999 et réédité dans la collection Maktabet al-osra en 2002), Yawmiyat qaëd al-orchestra (journal du chef d’orchestre, GEBO en 2007). Il a obtenu la bourse du ministère de la Culture pour achever son projet sur le nouveau roman, en voie de publication et intitulé L’Anti-roman

 

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