Elle m’avait dit :
Je surprendrai ton adresse
Et je te volerai toi-même sans doute,
Instants brefs, je vis chaque minute que j’aime.
La vie n’est qu’un seul instant,
La beauté n’est qu’un moment.
Je lui réponds : Et l’amour ?
— Instant de palpitation de veines et de plaisirs
qui devient aussitôt une lutte pour la survie sur
terre. L’amour est entre mes souffles.
— Comment donc pourrais-je pénétrer tes
souffles ?
— Par le rêve
nous réalisons
l’impossible,
a-t-elle alors avoué.
13/5/2011
Elle m’avait dit :
Si ma main à présent laisse glisser la rosée
Je l’aspergerai telles des roses sur tes lèvres.
Aujourd’hui les rossignols chantent de joie dans
ma gorge,
Le jasmin exhale son parfum à travers tout mon
corps.
Elle avait dit : Quel soleil, quel temps, quelle
étoile,
Et quel ciel
Nous poussent à entrer
dans l’intimité du monde invisible ?
14/5/2011
Elle avait dit :
Quand tu viendras, il ne faudra pas me préciser
Combien de cuillères de sucre tu préfères dans
ta tasse de thé
Combien de cafés turcs tu bois par jour
Le côté du lit où tu dors d’habitude
Les lieux que tu aimes fréquenter
Les couleurs qui apaisent tes yeux,
J’ai déjà fait ton portrait à la peinture à l’huile,
Il reste seulement afin de l’achever
La force virile d’une étreinte de tes bras.
17/5/2011
Elle m’avait dit :
Toi seul tu peux me sonder …
Silencieuse, je rêve de toi,
Laisse-moi, pour une fois, demander plus que
le rêve.
Quand je raconte je me dénude,
Laisse-moi, toujours, me montrer nue devant
toi.
En voulant ton refuge, je fuis ma solitude
Accorde-moi le repos dans ton saint des saints.
Ma veillée s’accomplit en toi
Je te cherche entre les carnets de poésie
Donne-moi cette chance de persévérer.
20/5/2011
Elle m’avait dit :
N’apporte pas de rose, et rien d’autre, à une
femme
Si tu souhaites éventuellement la revoir,
Les roses ne guident pas le coeur des femmes !
Et ne va pas dire à une femme : J’ai fait … (au
passé)
Si tu veux qu’elle garde ton numéro de
téléphone,
Les femmes ne regardent jamais derrière elles !
D’ailleurs, tu ne pourrais pas emmener deux
fois une femme
Au bord de la rivière
Les vaguelettes de la rivière sont imprévisibles
Et la tristesse paraît mouvante dans ton coeur
De cela, une femme n’est jamais satisfaite !
22/5/2011
Elle m’avait dit :
Tu as tracé sur la toile une nouvelle image de
mon corps
Une tacheture par ici puis un cercle ou une ligne
Ou bien …
Et encore …
Tu as fait pousser un enfant entre les mailles du
linge
Et un jasmin dans mon ventre.
Elle m’avait dit :
Toi et moi on a peint ensemble la toile de mon
corps
Une moucheture là, un rond, et puis …
Et moi j’ai tissé des voiles
Et des rideaux épais.
Elle me l’avait dit :
J’ai filé des draps
Avec un corps qui a pris forme
Dans l’instant de la première naissance,
Ou bien … et encore …
Et elle lui a dit :
Tu as dessiné sur la toile une autre image de
mon corps
Une bariolure par ici …
23/5/2011
Elle m’avait dit : Cette femme est un oiseau
Qui s’élève avec grâce au-dessus d’immenses
hauteurs
Qui badine avec l’air et les yeux ravis
Qui laisse s’épancher des souffles d’embruns
légers
Qui replace les coeurs sur la carte du désert
Comme une divinité envoyant des prophètes à
ceux qui doutent.
Elle confie : lorsque l’oiseau se pose sur la terre
Ses griffes s’emparent d’une victime du péché
D’un bonheur trouvé dans une beauté virtuelle
Qui n’existe nullement comme vérité établie.
26/5/2011
Elle m’avait dit :
Les femmes s’enchaînent sur les murs de ta vie
Un tableau où foisonnent des détails de traits et
couleurs,
Histoires, interrogations, musique et silence.
Et en te retirant au fond de ton coin éloigné
Tu ne possèdes qu’un seul coeur
Deux yeux, tout comme un nez cassé,
Des lèvres, des poèmes,
Des fantaisies écrasées par les pneus des
voitures
Et deux enfants.
Elle dit : Fais le vide d’un désir qui t’habite
Entre deux coups d’oeil
Tu verras le mur aux couleurs effacées
Ou dépourvu de sens.
30/5/2011
Elle m’avait dit :
L’herbe ne pousse pas sur l’asphalte de la prison,
Parmi les décombres il n’y a que la musique
funèbre qui fuse.
N’épuise pas le langage pour figurer une femme
Jamais évoquée dans une oeuvre de poète,
Ne détruis pas les couleurs
Pour dessiner un corps réticent à la forme
féminine !
Elle a dit : J’irai là où vont les mythes
Je précipiterai les pluies vers ta terre
Je perdrai mon bracelet de cheville entre ton
torse feuillu
Et mon regard dans la douceur du son du piano
Saurais-tu peut-être me recueillir, m’enfiler,
comme un collier ?
2/6/2011
Elle m’avait dit :
Les couleurs éparpillées joyeuses
Luxuriantes
On les croirait séparées des arbres de l’éden,
Elles disparaissent très vite sous les histoires
racontées
Et les visages que l’on sent chaleureux.
Dans le vide de ta chambre il n’y a plus qu’un
silence
Et des signes de lassitude,
Un chat solitaire,
Ta présence.
30/6/2011
Elle m’avait dit :
Les hommes assis au café fuient
La clameur du silence
Ils vomissent fumées et cris
Et gardent des images déformées de femmes
Qui envoient des lettres enflammées
Pour esquiver le poids des hommes légitimes
Qui n’aiment pas la fumée à l’arôme de pomme !
Puis elle a parlé ainsi :
Les ailes blanches des volutes de fumée haut
dans l’air
Répandent l’effervescence des corps dissous
Qui iront se poser partout dans d’autres cafés.
Et les maisons demeurent bien ancrées,
Dominantes et vides pourtant.
4/7/2011
Elle m’avait dit :
Comme un arbre dont les racines s’engouffrent
dans la terre
Et le parfum de ses feuilles se répand dans
l’espace,
En reprenant la position debout, à une même
distance,
Les lettres de ton alphabet sont libres de
s’introduire où elles veulent
Et laissent du miel sur les lèvres
A recueillir peut-être goutte à goutte
Lorsque la nuit propagera des créatures
énigmatiques.
Elle a dit : Chaque goutte est un poème
Chaque poème est vie
Chaque vie te rapproche d’une lieue de félicité
Et t’éloigne de l’élan intense qui a tant envahi
Cinquante années
De ta vie .
30/7/2011
Samir Darwich
Né en 1960 dans le gouvernorat de Qalioubiya, il travaille dans l’édition et dans l’administration de l’Union générale des écrivains et hommes de lettres arabes. Poète, il appartient à la génération des années 1980, et a déjà publié huit recueils. De même qu’il a publié deux romans, dont Khamas sanawat ramliya (cinq ans de sable) qui a reçu le prix du Club de la nouvelle. Parmi ses recueils de poème : Qotoufaha wa soyoufi (ses cueilles et mon épée, éditions de l’Organisme général des palais de culture en 1991), Al-Zogag (le verre, GEBO en 1999 et réédité dans la collection Maktabet al-osra en 2002), Yawmiyat qaëd al-orchestra (journal du chef d’orchestre, GEBO en 2007). Il a obtenu la bourse du ministère de la Culture pour achever son projet sur le nouveau roman, en voie de publication et intitulé L’Anti-roman
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