Tombeau
Près de ce monument funéraire
Immense et s’élevant à l’infini
Tu peux découvrir l’horizon qui fuit
En déclinant, dans l’effort de s’unir
En un tendre enlacement
A ce corps si vaste
Pris dans un mouvement de montée et de descente
Autour de rochers, de rues, de gens,
Et le sang qui pétrit sa peau solidifiée.
L’horizon persévère afin que son ciel soit purifié
De la poussière de toutes ces caravanes de dromadaires menées par les chameliers
Goutte après goutte, il en prend pour lui une ou deux paroles
De celles qui remontent aux dires des ancêtres,
Combien il les aime !
Ils ont montré tellement de bonté !
Un lien serré de descendances,
Leurs regrets ont des racines profondes dans le choix d’un père,
Et confier son mal à d’autres que cet homme c’est dire l’inutile.
A cet instant
La générosité jaillira dans sa poitrine
Comme une tempête ici, ou une bourrasque là
Subissant les ordres des ancêtres
Participant à leurs sorties et menaces de désordre cosmique
La langue risque d’être arrachée
L’âme serait peut-être désintégrée
Une ou deux paroles suffisent
Pour retrouver la limpidité d’une mémoire
Qui pourrait se troubler
Quand le poignard des petits-fils
S’enfoncera dans la nudité de la poitrine.
Et si je montais …
Elle attend là-bas.
Et celui qu’elle va reconnaître
à travers la photo de la couverture
à travers sa voix
s’incarne devant elle
dans ce lointain matin du sud.
Lui … ce dandy
Les lettres de son alphabet sont disséminées dans chaque rue
pour lui indiquer le chemin du bureau de poste
et des cadeaux qu’elle a devinés pour lui plaire
devant cette vitrine
sur le chemin de l’université
où les amoureux
provoquent leurs lots de souvenirs,
le long d’un Nil
en crue.
Oh quel train !
Celui dont la gare ressemble à toutes les gares …
Mais cette gare-là te ramène toujours
à un instant particulier
à une éclaboussure sur le chemin.
On entend siffler.
Et on y est attaché par habitude et nostalgie.
C’est là que je pensais à toi.
Là, je m’asseyais sur le mur en pierre
pour t’écrire.
Là, on pouvait montrer une plaque sur un mur.
Je voyais mon nom et je me hâtais
de recevoir la lettre, là et bien là.
Ô train,
Si je montais maintenant …
Je m’arrêterai sur mon chemin qui va si loin.
Et je monterai.
Puis tout sera comme avant, oui, tout.
Ô toi qui es chargé
de tout ce qui a pour tâche
de rendre les êtres humains à la vie,
tu ne peux absolument pas
vivre un même instant deux fois.
Et je suis à mon tour incapable
de te faire un don de rien,
je n’ai rien à t’offrir.
Le couteau
Faut-il se méfier de toi
Ô toi la petite fleur
Tu ne te préoccupes ni de la tristesse des poèmes
Ni de la sensibilité du poète
Tu brilles de tes couleurs gaies
Au début du printemps
Tu t’imagines ses yeux aussi purs que les chemins de la montagne
Et tu joues à cache-cache avec son âme
Avec une touche d’innocence
Alourdie d’odeurs putrides,
De fausses couleurs,
La poussière des rues s’est déposée sur ses épaules
Et des cris s’entremêlent dans ses oreilles
Des cris de pauvres ou d’hommes repus
De vendeurs de peignes ou des vendeurs de guenilles ou des vendeurs de patries
Tous crient à tue-tête
Et lui il court partout à perdre haleine
Tombé dans le piège de la beauté bon marché
Tu n’avais pas le droit de faire cela
Il a perdu confiance
Ne le pousse plus encore une fois vers des méandres alambiqués
Où la trompeuse séduction est un fait évident
Et le dévoilement délicat.
Ô toi la fleur,
S’il reste dans ton coeur un peu de tendresse
Pour une noblesse de l’âme qui agonise
Tu ne dois pas le saisir comme ça en le surprenant de la pointe vive de ton couteau
Il a besoin de ses yeux, ô belle fleur,
Peut-être qu’au prochain pas
La puissance que tu fais resplendir le laissera indifférent,
De loin
Il te verra lorsque tu te faneras
Il ne versera pas une seule larme pour autant
Il est si cruel, ô toi qui es toute clémence,
Et il n’a jamais le temps.
Se lever de sa chaise
Il est très facile de s’assoupir
Au café
En revenant à la réalité
Au bout de quelques années
On trouve tout à l’identique
A part quelques détails
Le serveur est le même
Et les jeunes garçons du café
Ont grandi d’un ou deux doigts depuis la veille
Et le journal que tient l’homme assis
A la table à côté
Ses titres n’indiquent pas des changements majeurs
Il y a quelques remaniements de la Constitution
Exigés par les élites
Il y a la paix
Activement recherchée
Il y a des territoires
Qui rétrécissent par ici
Et se dilatent par là
Des marchands s’infiltrent entre les tables,
Avec de gros sacs,
Plus nombreux que d’habitude
Ils n’ont rien réussi à vendre
Et comme c’est souvent le cas
Tu penses offrir un verre de thé à un de ces vendeurs ambulants
Tandis que ton stylo tremblote dans ta main
Tu la détends un peu
Des billets et des pièces de monnaie
Pèsent dans ta poche.
Le serveur s’étonne,
Monsieur,
Les collectionneurs des vieilles pièces n’existent plus.
Il semble aussi que c’est l’effigie d’un autre gouverneur
D’un pays voisin
Il faut donc se lever et partir.
Mais ta volonté
Se retire de toi
De minute en minute.
Ce ne sont que des mots
Les mots seuls ne suffisent pas
Mais seuls les mots peuvent leurrer
Pour laisser s’échapper
Ce qu’on ne désire pas dire.
Les yeux à eux seuls suffisent
Mais comme la foi
Au fond du coeur
Il faut qu’ils soient crus par la parole.
Au toucher de la main
Toute chose apparaît au grand jour
Mais la main ne peut atteindre la certitude
Sans un regard
Sans une lettre de l’alphabet.
Dieu seul sait
Le fond du coeur de ceux qui sont dans la plénitude
Et ont vu une seule lumière, au bout des doigts,
Ils ont entendu une voix unique
Quand certains ont voulu leur tendre un piège
En prétextant qu’ils sont convertis à une autre religion.
Emad Ghazali
Né au Caire en 1962. Après un diplôme d’ingénieur en 1989 de l’Université de Aïn-Chams, il obtient un diplôme d’études théâtrales de la faculté des lettres de la même université en 1992. Parallèlement à son travail, il a très tôt commencé l’écriture, s’attachant tout d’abord au poème libre puis virer vers le poème en prose. Son recueil de poèmes en proses Al-Makan bi khefa, dont nous publions ici quelques vers est sa 6e production, aux éditions Al-Dar en 2008 et au GEBO en 2009. Parmi ses recueils déjà publiés Oghniya oula (première chanson) en 1990, Fadaat okhra lil-taeir al-dalil (d’autres espaces pour l’oiseau désorienté) en 1999. Il a reçu le prix Soad Al-Sabbah du poème en 1990, celui de la créativité du nom d’Ahmad Bahaaeddine en 1999, et le prix de l’encouragement de l’Etat en 2000.
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