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Rire en un moment de deuil

Traduction de Suzanne El Lackany, Lundi, 24 décembre 2012

Amal Donqol (1940-1983) reste la figure emblématique du poète rebelle aux positions tranchées de la gauche radicale. En voici quelques vers de ses oeuvres complètes (éditions Madbouli 2005) où la mort ne cesse de rivaliser avec le poème.

Le jeu de la fin

En demeurant dans les places de la ville,

Lançant, comme un enfant, des pierres avec sa fronde

Il touche ceux qu’il peut toucher parmi les gens qui passent !Il va à la mer

A l’heure de la marée haute

Il jette dans l’eau l’hameçon de la canne à pêche

Puis il revient écrire

Les noms de ceux qui se sont accrochés à ses pièges meurtriers,

Il n’aime pas les jardins

Mais il se glisse à travers leurs murs érodés.

Il fait une couronne

Ses joyaux sont des fruits pourrisLes feuilles flétries sont son diadème

Il la porte sur le collier des fleursD’automne

Fanées !

Il se métamorphose : une vipère et une flûteEt il voit dans les miroirs

Deux corps et deux coeurs unis (Les bords s’assombrissent

Et les yeux racontent des histoires)

Il s’engendre entre eux

Comme un fil de sueur, comme une perle qui coule,

Il lèche la tiédeur de leurs pores

Il plante les canines à l’endroit du coeur

Et la tête de l’adolescent tombe dans le

cercle qui l’entoureEt la jeune fille demeure

Les yeux écarquillésEpouvantée !

Hier, je l’ai surpris près de mon lit

Tenant dans une main un verre d’eau

Et l’autre main tenait des médicaments en comprimés

Que j’ai pris !Il souriait

Et j’étais soumis

A mon destin.

Juin 1982

Extrait de Feuillets de la chambre 8 (awraq al-ghorfa 8).

Petit Trianon (Le petit cabaret)

litterature

Même le lieu ne se souvient plus de nous !

Comment ici auprès de lui ?

Et hier avait si peu d’importance ?

Nous sommes entrés …

Pas une table ne nous a fait signe !

Pas deux chaises pour nous accueillir !

Ceux qui viennent s’asseoir sont étrangers

Et entre nous il n’y a que les ombres des chandeliers !

Regarde

Notre café est froid

Et nos mains — tout autour — tremblent

Ton visage noyé dans le fard

Mon visage noyé dans les nuages de fumée

Sont une peinture

(Ils n’ont pas souri)

Dans un tableau où le peintre a été trahi

Par deux touches !

Les rideaux sont baissés sur la scène du théâtre

Allumons donc les lumières

L’heure est venue

Est-il sage de rester ?

En vain !

Nous avons perdu deux juments dans le pari !

Nous avons perdu deux juments dans le pari

Nous n’avons plus une seconde partie de jeu avec les rêves !

Nous étions ici un jour

Et l’ardeur de la lumière était pour nous un festival

Le jour où nous étions des enfants

Chevauchant le creux des vagues

Vers le rivage du salut

J’étais un enfant qui ne comprenait pas le sens de la passion

Et de tes sentiments affranchis

Un chat aux yeux fermés

Dans ton sang vierge il y avait le flamboiement,

Notre seizième année :

Un désir dans les veines

Et des branches tendres

Ici chaque matin nous nous sommes rencontrés

Une table entre nous

Qui secrète de la tendresse

Deux pieds sous la table qui s’enlacent

Et nos mains sur la table qui s’entrelacent

Si tu parles :

Je chante ce que murmurent les lèvres suaves

Et si je parle :

Un joli visage écoute

Et deux fossettes sourient !

J’écris des poèmes pour me confier à toi

(Même si je répète des vers déjà dits)

Mon public c’est tes yeux !

En le disant : ils applaudissent en souriant

Et souvent des proches nous conseillent

Mais vains sont leurs conseils

Et le moment de la rencontre demeure si précieux,

Nous craignons quand nous nous rencontrons

De ne pas nous revoir à chaque instant

Les reproches ne me dissuadent pas

Et même la force ne te retient pas,

La folie vierge est révolue

Et une année de notre vie est finie

Ou deux années …

La violence du fleuve s’apaise

S’il approche de la mer

Du calme … et de l’harmonie

La tempête s’est calmée au fond de nous

Lorsque nous avons vidé l’amphore du vin

Nous avons atteint le sommet des sommets

Rien n’a existé ensuite à part la chute de la fureur

Nous nous sommes séparés

Sans rancoeur

La voix de l’absurde n’irrite pas la sagesse.

Qu’est-ce qui nous a fait venir maintenant ?

Est-ce l’instant de la lâcheté d’une lâche existence ?

L’instant de l’enfant qui est dans notre sang

Il ne sait pas encore marcher

Et il trébuche

Et on le soutient !

Un instant où le souffle de la jeunesse existe,

Et la jeunesse est un âge qui ne tient pas ses promesses,

Est-il sage de rester ?

Il est vain …

Nous avons perdu nos deux juments dans un pari.

Avant nous ô ma soeur dans ce même lieu

Combien d’amoureux ont roucoulé et échangé des aveux.

Ils sont partis

Puis nous aussi

Et demain …

Deux autres viendront y boire l’amour !

Laissons la place …

Une noria

Où tourne l’eau

Tant que tourne le temps !

Extrait de Maqtal al-qamar (meurtre de la lune).

Rire en un moment de deuil

Debout dans l’immensité de l’espace

Sur ce qui reste de la terre des puits,

Nous attendions de voir passer les poètes

Une seule nuit d’amour peut-être qui sait nous sera accordée

Par le tambourin et le chant.

Nous écoutions le bruit des pas, dispersés par le vent,

Ce n’était pourtant que le silence du désert

Et la résonance des battements des coeurs !

Une année négative et l’homme sans le sou est arrivé

Lorsque nous étions une âme épuisée dans la conscience de la nuit

Il a frappé à la porte et il a appelé avec pudeur

Nous nous sommes retournés dans nos lits de sommeil

Bien enveloppés dans les couvertures

Et nous avons laissé l’homme seul contre le souffle glacial des vents.

J’étais dans le café, il y avait un perroquet

Qui lisait les nouvelles à travers les rats des champs de blé

Au-dessus des singes

Qui mordaient les bouts des narguilés et lorgnaient les femmes,

(C’est la hausse des prix de tous les engrais)

Les femmes, les chats, les chevaux, les cailles pour le dîner

Et les yeux des désirs tels des rats se mouillent d’échos de miaulements

(C’est la hausse du prix de la laine)

Il n’y a rien à faire !

La voiture rouge allait briser le dos de la dame

Et les femmes (les chats-la mode), elles vont se dévêtir.

Hier, un révolutionnaire a tué à Téhéran le premier ministre.

L’échiquier. Le roi est mort. Un commencement. A qui le tour ?

Les blancs ont vaincu les noirs.

Quand nous étions une âme épuisée dans la conscience de la nuit.

Dans leurs trous, les rats lèchent la poussière du désir

En mordant les bouts des narguilés et en lorgnant les femmes

Les femmes, ces chats paresseux,

(Les soldats ont eu un accrochage dans la soirée)

Les yeux sont levés un instant de la table des fleurs au-dessus de la musique

des femmes

Les yeux pétillent sous les paupières inertes.

(Le conseil de sécurité c’est le renfort !)

On refait une révérence.

L’oeil se pose sur les motifs des dalles et choisit une position accroupie

Puis l’oeil oublie et il est pris par les mouvements de turbulence.

Il m’avait dit : Voici le péristyle

Les chevaux d’orgueil sont passés par là.

Ici ce fut le passage, mais il n’y eut pas de morts à enterrer

Pourtant, on n’empêcha pas le sang de couler.

Le milan est venu se poser sur la table,

Le vautour a levé la patte contre le soleil,

Ce fut alors sa chute et la peste a infesté la terre.

Extrait de Commentaire sur ce qui s’est passé (taaliq ala ma hadath).

Amal Donqol

Amal Donqol est né en 1940, près de Qéna, en Haute-Egypte et décédé à l’âge de 43 ans en mai 1983. Son père, homme de religion et dignitaire d’Al-Azhar, qui l’a appelé « Amal », comme un signe d’espoir, l’a influencé durant toute sa vie. C’est grâce à sa bibliothèque qu’Amal Donqol s’est voué au patrimoine égyptien. Après la mort du père, alors qu’il avait 10 ans, il a ressenti la volonté de voler par ses propres ailes. Il a fait ses études à la capitale, à la faculté des lettres de l’Université du Caire, puis les a abandonnées pour gagner sa vie en travaillant. Après 1967, il devint une vedette de la poésie égyptienne, au moment où le contexte imposait de dire sans détour la vérité et de s’exprimer librement. C’est dans ce contexte qu’il compose ses 2 poèmes les plus connus : « Pleurer dans les bras de Zarqaa Al-Yamama » en 1969 et « Ne te réconcilie pas » à la suite du traité de paix de Camp David en 1972. Son oeuvre complète vient d’être publiée aux éditions Al-Shorouk.

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