Le jeu de la fin
En demeurant dans les places de la ville,
Lançant, comme un enfant, des pierres avec sa fronde
Il touche ceux qu’il peut toucher parmi les gens qui passent !Il va à la mer
A l’heure de la marée haute
Il jette dans l’eau l’hameçon de la canne à pêche
Puis il revient écrire
Les noms de ceux qui se sont accrochés à ses pièges meurtriers,
Il n’aime pas les jardins
Mais il se glisse à travers leurs murs érodés.
Il fait une couronne
Ses joyaux sont des fruits pourrisLes feuilles flétries sont son diadème
Il la porte sur le collier des fleursD’automne
Fanées !
Il se métamorphose : une vipère et une flûteEt il voit dans les miroirs
Deux corps et deux coeurs unis (Les bords s’assombrissent
Et les yeux racontent des histoires)
Il s’engendre entre eux
Comme un fil de sueur, comme une perle qui coule,
Il lèche la tiédeur de leurs pores
Il plante les canines à l’endroit du coeur
Et la tête de l’adolescent tombe dans le
cercle qui l’entoureEt la jeune fille demeure
Les yeux écarquillésEpouvantée !
Hier, je l’ai surpris près de mon lit
Tenant dans une main un verre d’eau
Et l’autre main tenait des médicaments en comprimés
Que j’ai pris !Il souriait
Et j’étais soumis
A mon destin.
Juin 1982
Extrait de Feuillets de la chambre 8 (awraq al-ghorfa 8).
Petit Trianon (Le petit cabaret)
Même le lieu ne se souvient plus de nous !
Comment ici auprès de lui ?
Et hier avait si peu d’importance ?
Nous sommes entrés …
Pas une table ne nous a fait signe !
Pas deux chaises pour nous accueillir !
Ceux qui viennent s’asseoir sont étrangers
Et entre nous il n’y a que les ombres des chandeliers !
Regarde
Notre café est froid
Et nos mains — tout autour — tremblent
Ton visage noyé dans le fard
Mon visage noyé dans les nuages de fumée
Sont une peinture
(Ils n’ont pas souri)
Dans un tableau où le peintre a été trahi
Par deux touches !
Les rideaux sont baissés sur la scène du théâtre
Allumons donc les lumières
L’heure est venue
Est-il sage de rester ?
En vain !
Nous avons perdu deux juments dans le pari !
Nous avons perdu deux juments dans le pari
Nous n’avons plus une seconde partie de jeu avec les rêves !
Nous étions ici un jour
Et l’ardeur de la lumière était pour nous un festival
Le jour où nous étions des enfants
Chevauchant le creux des vagues
Vers le rivage du salut
J’étais un enfant qui ne comprenait pas le sens de la passion
Et de tes sentiments affranchis
Un chat aux yeux fermés
Dans ton sang vierge il y avait le flamboiement,
Notre seizième année :
Un désir dans les veines
Et des branches tendres
Ici chaque matin nous nous sommes rencontrés
Une table entre nous
Qui secrète de la tendresse
Deux pieds sous la table qui s’enlacent
Et nos mains sur la table qui s’entrelacent
Si tu parles :
Je chante ce que murmurent les lèvres suaves
Et si je parle :
Un joli visage écoute
Et deux fossettes sourient !
J’écris des poèmes pour me confier à toi
(Même si je répète des vers déjà dits)
Mon public c’est tes yeux !
En le disant : ils applaudissent en souriant
Et souvent des proches nous conseillent
Mais vains sont leurs conseils
Et le moment de la rencontre demeure si précieux,
Nous craignons quand nous nous rencontrons
De ne pas nous revoir à chaque instant
Les reproches ne me dissuadent pas
Et même la force ne te retient pas,
La folie vierge est révolue
Et une année de notre vie est finie
Ou deux années …
La violence du fleuve s’apaise
S’il approche de la mer
Du calme … et de l’harmonie
La tempête s’est calmée au fond de nous
Lorsque nous avons vidé l’amphore du vin
Nous avons atteint le sommet des sommets
Rien n’a existé ensuite à part la chute de la fureur
Nous nous sommes séparés
Sans rancoeur
La voix de l’absurde n’irrite pas la sagesse.
Qu’est-ce qui nous a fait venir maintenant ?
Est-ce l’instant de la lâcheté d’une lâche existence ?
L’instant de l’enfant qui est dans notre sang
Il ne sait pas encore marcher
Et il trébuche
Et on le soutient !
Un instant où le souffle de la jeunesse existe,
Et la jeunesse est un âge qui ne tient pas ses promesses,
Est-il sage de rester ?
Il est vain …
Nous avons perdu nos deux juments dans un pari.
Avant nous ô ma soeur dans ce même lieu
Combien d’amoureux ont roucoulé et échangé des aveux.
Ils sont partis
Puis nous aussi
Et demain …
Deux autres viendront y boire l’amour !
Laissons la place …
Une noria
Où tourne l’eau
Tant que tourne le temps !
Extrait de Maqtal al-qamar (meurtre de la lune).
Rire en un moment de deuil
Debout dans l’immensité de l’espace
Sur ce qui reste de la terre des puits,
Nous attendions de voir passer les poètes
Une seule nuit d’amour peut-être qui sait nous sera accordée
Par le tambourin et le chant.
Nous écoutions le bruit des pas, dispersés par le vent,
Ce n’était pourtant que le silence du désert
Et la résonance des battements des coeurs !
Une année négative et l’homme sans le sou est arrivé
Lorsque nous étions une âme épuisée dans la conscience de la nuit
Il a frappé à la porte et il a appelé avec pudeur
Nous nous sommes retournés dans nos lits de sommeil
Bien enveloppés dans les couvertures
Et nous avons laissé l’homme seul contre le souffle glacial des vents.
J’étais dans le café, il y avait un perroquet
Qui lisait les nouvelles à travers les rats des champs de blé
Au-dessus des singes
Qui mordaient les bouts des narguilés et lorgnaient les femmes,
(C’est la hausse des prix de tous les engrais)
Les femmes, les chats, les chevaux, les cailles pour le dîner
Et les yeux des désirs tels des rats se mouillent d’échos de miaulements
(C’est la hausse du prix de la laine)
Il n’y a rien à faire !
La voiture rouge allait briser le dos de la dame
Et les femmes (les chats-la mode), elles vont se dévêtir.
Hier, un révolutionnaire a tué à Téhéran le premier ministre.
L’échiquier. Le roi est mort. Un commencement. A qui le tour ?
Les blancs ont vaincu les noirs.
Quand nous étions une âme épuisée dans la conscience de la nuit.
Dans leurs trous, les rats lèchent la poussière du désir
En mordant les bouts des narguilés et en lorgnant les femmes
Les femmes, ces chats paresseux,
(Les soldats ont eu un accrochage dans la soirée)
Les yeux sont levés un instant de la table des fleurs au-dessus de la musique
des femmes
Les yeux pétillent sous les paupières inertes.
(Le conseil de sécurité c’est le renfort !)
On refait une révérence.
L’oeil se pose sur les motifs des dalles et choisit une position accroupie
Puis l’oeil oublie et il est pris par les mouvements de turbulence.
Il m’avait dit : Voici le péristyle
Les chevaux d’orgueil sont passés par là.
Ici ce fut le passage, mais il n’y eut pas de morts à enterrer
Pourtant, on n’empêcha pas le sang de couler.
Le milan est venu se poser sur la table,
Le vautour a levé la patte contre le soleil,
Ce fut alors sa chute et la peste a infesté la terre.
Extrait de Commentaire sur ce qui s’est passé (taaliq ala ma hadath).
Amal Donqol
Amal Donqol est né en 1940, près de Qéna, en Haute-Egypte et décédé à l’âge de 43 ans en mai 1983. Son père, homme de religion et dignitaire d’Al-Azhar, qui l’a appelé « Amal », comme un signe d’espoir, l’a influencé durant toute sa vie. C’est grâce à sa bibliothèque qu’Amal Donqol s’est voué au patrimoine égyptien. Après la mort du père, alors qu’il avait 10 ans, il a ressenti la volonté de voler par ses propres ailes. Il a fait ses études à la capitale, à la faculté des lettres de l’Université du Caire, puis les a abandonnées pour gagner sa vie en travaillant. Après 1967, il devint une vedette de la poésie égyptienne, au moment où le contexte imposait de dire sans détour la vérité et de s’exprimer librement. C’est dans ce contexte qu’il compose ses 2 poèmes les plus connus : « Pleurer dans les bras de Zarqaa Al-Yamama » en 1969 et « Ne te réconcilie pas » à la suite du traité de paix de Camp David en 1972. Son oeuvre complète vient d’être publiée aux éditions Al-Shorouk.
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