Al-ahram hebdo : Vous avez accepté d’être directeur de rédaction du magazine Créativité. Ne craignez-vous pas le recul de votre production littéraire à cause des occupations que représente ce poste ?
Tareq Imam: Je dois admettre que ce travail prend beaucoup de temps, mais cela vaut la peine. J’ai bien voulu participer à la sortie de cette revue après une si longue absence. J’ai toujours rêvé d’avoir en Egypte une revue qui rassemble la culture arabe et étrangère. On avait des publications pareilles dans les années 1960, et elles rassemblaient les intellectuels de toute la région. Aujourd’hui, d’autres pays arabes ont pris cette place, comme le Koweït, le Qatar ou Bahreïn... La revue Al-Doha en est un exemple. Alors pour moi, ressusciter Créativité était un rêve, et il fallait bien travailler pour le réaliser. Au niveau personnel, ce poste m’a aussi permis de travailler aux côtés d’un rédacteur en chef comme le romancier Mohamad Al-Mansi Qandil, qui a une grande expérience dans la rédaction de revues culturelles qu’il a acquise au Koweït. D’ailleurs, c’est lui qui m’a appelé pour me proposer le poste.
— Pouvez-vous nous parler du nouveau numéro sorti le 1er janvier 2015 ?
— Nous avons commencé à travailler depuis le mois d’octobre 2014 sur ce numéro. Nous avions comme objectif de rassembler plusieurs tendances, points de vue, et plusieurs générations dans une seule revue. Les anciens numéros de Créativité présentaient uniquement la pensée de certains grands noms. Aujourd’hui, le lecteur y trouvera Youssef Al-Charouni, un intellectuel des années 1940, d’autres des années 1960 tels Ibrahim Aslane et Ibrahim Abdel-Méguid aux côtés de jeunes noms dans la traduction, la poésie et la nouvelle. Parmi les plus jeunes, citons les écrivains Azza Hussein, Ahmad Nada, Mourad Nasr et les traducteurs Ahmad Al-Chafei et Mohamad Aboul-Atta... Bref, il s’agit en quelque sorte de réconcilier des courants culturels qui étaient en conflit non seulement en Egypte, mais au niveau de tous les intellectuels arabes.
— Qui sont les intellectuels non égyptiens dans ce premier numéro ?
— Outre les écrivains égyptiens, le lecteur pourra lire Enaya Gaber du Liban, Anis Al-Rafei du Maroc, Mariam Al-Saeidi des Emirats arabes unis, Kamal Riyad de la Tunisie et Aliaa Al-Daya de la Syrie. Il y a également la critique du roman Essence d’Aden du Yéménite Ali Al-Maqri, et une présentation du recueil de la poétesse libanaise Suzane Olwan.
— Est-ce qu’il y a un dossier principal dans ce numéro de Créativité ?
— Absolument, un dossier sur la révolution du 25 janvier 2011. Nous avons traité l’événement en tant que révolution culturelle. Pour ce qui est du cinéma, à titre d’exemple, nous avons parlé du cinéma indépendant qui a fleuri après la révolution, avec des films comme Farche we Ghata, ou encore Al-Chéta Elli Fat. Le lecteur peut lire également dans ce dossier l’influence de la révolution sur la femme. Il y a également une étude intéressante faite par Chérine Aboul-Naga, où elle traite le cas de Aliaa Al-Mahdi, la fille qui a provoqué un tollé en publiant ses photos nues sur Internet, et celui de Samira Ibrahim, une manifestante qui fut soumise à un test de la virginité. Il s’agit d’une lecture des formes de la résistance de la femme dans notre société. Les poèmes et les romans, souvent en langue parlée, dédiés à la révolution, tout comme le graffiti, un art né dans les parages de la place Tahrir, sont aussi des sujets traités dans ce dossier. Une étude sur la littérature de la prison dans l’oeuvre de Ezzeddine Naguib, Ibrahim Aslane, Naguib Sourour et jusqu’à la militante Yara Salam est également publiée dans ce numéro.
— Vous évoquez la prison. Vous aviez d’ailleurs soulevé cette question avec le président de la République lors de la rencontre avec les intellectuels. N’est-ce pas un autre chapitre qui porte atteinte à la liberté d’expression en Egypte ?
— A mon avis, il faut libérer les prisonniers d’opinion. Il doit y avoir des lois qui s’appliquent à tout le monde sans exception. La situation aujourd’hui est confuse pour le citoyen. Je pense que le plus dangereux est la polarisation : chaque clan veut attirer les gens de son côté. La solution est indubitablement le dialogue.
— Etant donné que votre revue est publiée par l’Organisme du livre, relevant du ministère de la Culture, permettez-moi de vous demander si les sujets et les papiers publiés dans ce numéro ont subi une censure ?
— La décision la plus importante que nous avons prise avec le rédacteur en chef était de ne pas céder aux lignes rouges. Notre démission était prête, et elle l’est toujours en cas de censure. Je dois dire que le ministre de la Culture, Gaber Asfour, et le président de l’Organisme du livre, n’ont vu le numéro que sur la maquette, juste avant la publication. Ils n’ont exprimé aucune réserve. Nous attendons la réaction des lecteurs et de tous les intellectuels, c’est cela qui compte.
— Pensez-vous que l’environnement culturel en Egypte soit à l’écoute ?
— Tout à fait. Je pense même que nous avons besoin d’une vingtaine d’autres revues culturelles dans le domaine du cinéma, des arts, de la traduction, etc. Le lecteur a besoin d’une revue spécialisée dans chaque domaine culturel. Le secteur privé ne va pas prendre de risque parce qu’il veut gagner, alors c’est le rôle du ministère de la Culture. Il y a une tendance au sein du ministère de donner les opportunités aux jeunes en leur confiant les publications culturelles. Nous devons saisir cette occasion.
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