Les appels, réservations et accords avec les artistes qui participeront au rendez-vous d’octobre vont bon train. Comme si l’annulation abrupte du rendez-vous du mois de septembre n’avait pas eu lieu. Déterminés, les organisateurs d’Al-Fan Midan (l’art est une place) ne redoutent rien pour leur prochaine rencontre avec le public, sur la place Abdine au centre-ville du Caire. Comme s’ils étaient aujourd’hui habitués aux interventions des forces de sécurité. C’est qu’ils n’ont pas d’autre choix pour résister.
Al-Fan Midan, manifestation culturelle née avec la révolution du 25 janvier 2011, vise à diffuser les arts et la diversité des cultures sur les places d’Egypte. L’annulation du festival, le 6 septembre dernier, a frappé Le Caire en raison des craintes du ministère de l’Intérieur: les marchands ambulants venaient d’être évacués des trottoirs du centre-ville et auraient pu en représailles saisir l’occasion pour provoquer des troubles. Tandis que dans nombre de gouvernorats, comme Sohag, Alexandrie, Louqsor et la Nouvelle Vallée, le festival a accueilli de nombreux fans. « Pour moi, ce ne sont pas des précautions mais des prétextes. Le fait de refuser l’autorisation du festival au Caire pour raisons sécuritaires marque un retour à l’autorité abusive des forces de l’ordre. Car où est le problème si quelques-uns veulent s’exprimer pacifiquement en brandissant des banderoles pour manifester leur refus d’être déplacés ? Al-Fan Midan est un espace public pour la créativité et la liberté. L’expression de la colère d’une manière pacifique n’est pas interdite. C’est un droit », explique Zeineddine Fouad, poète et l’un des fondateurs de ce festival culturel.
Le même scénario a eu lieu le 2 août dernier, lorsque le festival a été reporté de peur que la rencontre artistique ne se transforme en manifestation politique, en soutien notamment au peuple palestinien, à la suite de l’attaque militaire israélienne. « Je dois dire que depuis le début de ce festival, la police ne nous protège pas sur la place Abdine. Ce sont les habitants du quartier qui protègent le public. Celui qui pense que sécurité implique interdiction n’obtiendra jamais la sécurité ».
Soirée musicale, exposition de Naji Al-Ali et ateliers pour enfants : Al-Fan Midan ne lâche pas les mains.
Le ministère de l’Intérieur avait proposé aux organisateurs d’Al-Fan Midan de déplacer le festival sur une autre place, loin du centre-ville. Offre refusée, car Abdine « est une place de grande importance dans l’histoire moderne égyptienne. Elle a témoigné des premières revendications égyptiennes à instaurer une vie parlementaire et à augmenter les effectifs de l’armée lors de la révolution de Orabi. La confrontation avec le khédive Tewfiq à cette époque a eu lieu devant le palais de Abdine. Il est donc hors question de changer l’emplacement du festival », indique Taha Abdel-Moneim, jeune écrivain parmi les organisateurs bénévoles et qui insiste sur la dimension artistique d’Al-Fan Midan pour ne pas tomber sous le coup de la récente loi anti-manifestation.
Réaliser « la justice culturelle »
Malgré les efforts déployés par le ministère de la Culture ce mois dernier, il n’a pas pu convaincre le ministère de l’Intérieur qu’il s’agissait là de culture et d’art. Le ministre de la Culture, Gaber Asfour, a reconnu dans des déclarations à la presse que « la perception sécuritaire ne peut pas contenir les libertés ». Le président du Conseil Suprême de la Culture (CSC), Mohamad Afifi, lui, estime que le ministère a besoin de la coopération de la société civile afin de réaliser « la justice culturelle ». « Le rôle d’un tel festival est d’une importance extrême en plus d’autres lieux oeuvrant à diffuser la culture. Le ministère a besoin de ces événements culturels pour lutter contre l’obscurantisme », assure Afifi, qui précise que la semaine dernière, le CSC s’est réuni avec des organisations civiles du domaine des arts et de la culture afin d’intensifier les efforts et de discuter des possibilités de coopération futures, notamment dans les quartiers pauvres.
Le chemin reste long. Toutefois, l’une des solutions avancées par les organisateurs du festival est de proposer des stages « pour expliquer au ministère de l’Intérieur que la culture ne représente pas de danger », indique Mohamad Abla, peintre. Selon lui, il faut faire pression sur le gouvernement pour que le festival ait lieu au mois d’octobre sur la place Abdine, comme d’habitude. « Continuons à faire pression, car annuler une telle manifestation culturelle est dommageable pour la société. Al-Fan Midan est un espace d’expression libre », ajoute-t-il. Les organisateurs d’Al-Fan Midan sont déterminés d’autant plus que la culture est un droit stipulé par la Constitution de 2014. « Celui qui craint une plume, une couleur ou une chanson ne pourra pas diriger un peuple qui dessine, chante et rêve d’un avenir meilleur », assure Zeineddine Fouad.
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