C’est la première semaine de la bande dessinée en Egypte. L’événement est de taille lorsqu’on sait que cet art a toujours fait office de parent pauvre tout court. La BECA (
Between Cadre)
First Comix Week in Egypt, telle qu’elle a été intitulée, se déroulera du 22 au 27 septembre au Caire et à Alexandrie. «
L’objectif étant de promouvoir l’art de la bande dessinée en Egypte », lance Mohamad Al-Baaly, directeur de
Sefsafa pour la culture et l’édition, et initiateur de l’idée.
Qui dit bandes dessinées en Egypte dit d’abord bandes dessinées destinées aux enfants. Mais cela ne veut pas dire que cet art n’a pas ses vedettes qui ont, de leur parcours, inspiré les jeunes générations, telles que le célébrissime Mohieddine Al-Labbad (1940-2010), dont le trait a traversé plusieurs revues égyptiennes, de Sabah Al-Kheir à la revue de bandes dessinées Sindbad Al-Bahari, publiée chez Dar Al-Maaref, destinée aux enfants; le poignant Ahmad Ibrahim Hégazi (1936-2011) connu pour son regard très critique, même lorsqu’il a commencé à dessiner pour la revue égyptienne de BD pour enfants, Samir, lancée par la fondation Dar Al-Hilal, ou les dessinateurs Michel Maalouf ou encore Fawaz, qui ont travaillé pour des revues de bandes dessinées pour enfants, telles que la revue émiratie Magued, la saoudienne Bassem ou l’égyptienne Alaeddine. Ces noms, entre autres, sont considérés par les jeunes bédéistes égyptiens comme les pères fondateurs de cet art.
Seulement depuis la fin des années 2000, cette jeune génération a commencé à se frayer un nouveau chemin loin des BD pour enfants traduites ou locales, celui de la BD pour adultes. « L’Egypte connaît ces dernières années l’émergence d’une nouvelle génération de dessinateurs qui s’orientent vers la bande dessinée, et cela s’est accompagné par un intérêt de la part de maisons d’édition et de lecteurs pour cet art, surtout après le succès de plusieurs publications de BD pour adultes, telles que la revue Tok Tok », continue Al-Baaly. Depuis 2011, plusieurs initiatives ont effectivement émergé, avec des publications comme Autostrade ou Hors-contrôle qui n’ont pas eu assez de souffle pour continuer.
Mais le fait le plus marquant de la BD égyptienne ces dernières années c’est la revue Tok Tok, initiée par de jeunes bédéistes dont Mohamad Chennawi et Hicham Rahma. Le premier numéro paru avant la révolution, entièrement financé par les moyens du bord, a connu effectivement un franc succès. Son deuxième numéro paru en 2011 a été épuisé. Tok Tok, du nom des tricycles indiens qui ont envahi les rues du Caire ces dernières années, porte bien son nom, car elle dissèque la société égyptienne en plein mouvement et offre une plongée dans les méandres de l’âme égyptienne. « Les jeunes recherchent des formes d’expression qui leur ressemblent, et ils trouvent cela dans les bandes dessinées telles que Tok Tok », fait remarquer Haytham Ramadan, 28 ans, bédéiste et consultant de la First Comix Week, qui est notamment sponsorisée par l’institut Goethe et l’Institut français du Caire, et qui a également bénéficié d’une aide financière de l’Union européenne.
« Nous avons sélectionné 20 participants, 10 amateurs et 10 professionnels qui vont rencontrer des bédéistes allemands et français autour d’ateliers et de débats », souligne-t-il. Parmi les invités étrangers, il y a notamment Isabel Kreitz, Barbara Yelin (Allemagne), Marc-Antoine Mathieu, Jean-Marc Troubet (France).
Une exposition sera consacrée durant la semaine aux artistes Fawaz et Maalouf, pour honorer leur apport à l’art de la BD en Egypte. Un hommage aux vétérans d’un art paradoxalement si ancré avec de grands noms qui ont donné le la aux traits des jeunes bédéistes, et si nouveau avec si peu de publications puisque les régimes politiques ont souvent bridé les élans jugés trop critiques des bédéistes, comme cela a été le cas sous Sadate, ce qui a poussé des dessinateurs comme Al-Labbad ou Hégazi à travailler pour des revues de BD pour enfants dans les pays du Golfe.
Il reste à savoir si la marge de liberté en Egypte n’entravera pas cet élan qui en est à ses balbutiements, comme cela a été le cas lors de la parution du premier roman graphique égyptien Metro en janvier 2008, signé Magdi Al-Chafei, qui dressait un tableau noir de la pauvreté et de la corruption sous le régime Moubarak. Sitôt publié, il fut interdit et confisqué à la vente pour « atteinte à l’ordre moral » sur la base d’une phrase jugée moralement tendancieuse. Et son auteur est tombé sous le coup de l’article 178 du code pénal qui incrimine toute édition ou distribution de publication qui porte atteinte à la décence publique et s’est vu infliger, lui et son éditeur, une amende de 5000 L.E. chacun.
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