Al-Ahram Hebdo : Comment expliquez-vous l’absence de réaction en Egypte sur les événements à Gaza, comparée à d’autres pays dans le monde. Pensez-vous que les Egyptiens aient une conception confuse de la résistance palestinienne, du Hamas et de la cause palestinienne en général ?
Mostafa Kamel Al-Sayed: Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une confusion. Il s’agit pour moi plutôt d’un diagnostic erroné de la part des Egyptiens. Je m’explique: dans la vie politique, les différentes parties peuvent donner différentes définitions à certains concepts, selon les circonstances et l’époque. Je cite à titre d’exemple le concept de la libéralisation de l’économie. Si on remonte dans l’Histoire, on trouvera qu’au temps de la colonisation, l’idée de la libéralisation était mise en avant pour se libérer de la domination étrangère. Aujourd’hui, libéralisation signifie la fin du secteur public. C’est exactement ce qui s’est passé pour la question de Gaza et la résistance. Aujourd’hui, certains Egyptiens pensent que le mouvement Hamas (ndlr, acronyme arabe de mouvement de résistance islamique), qui se considère comme le mouvement de résistance contre l’occupation des territoires palestiniens, est un mouvement terroriste qui n’aide pas à stabiliser la décision palestinienne. Ils croient que ce mouvement est financé par certains pays comme le Qatar et la Turquie et ce, contrairement à ce qu’on pensait il y a quelques années, lorsque le Hamas était considéré comme synonyme de résistance. Les médias égyptiens ne considèrent plus le Hamas comme un mouvement de résistance.
— Pour quelle raison il y a eu ce changement d’idées ?
— Lorsque le pouvoir des Frères musulmans a chuté en Egypte, le nouveau gouvernement et les médias ont considéré la confrérie comme une organisation terroriste. Raison pour laquelle tout ce qui est lié aux Frères musulmans est considéré comme terroriste. Pour moi, c’est un diagnostic erroné, parce que jusqu’à présent, rien ne prouve que le Hamas était complice dans la fuite de certains prisonniers des geôles égyptiennes, dont le président destitué Morsi. Aucune preuve n’a été établie sur l’existence de formations militaires créées par le Hamas et composées d’éléments de la confrérie. Mais c’est ce qui est dit dans les médias! C’est ce qui a poussé ceux qui sont contre la confrérie à penser que le Hamas est un mouvement terroriste. Ils possèdent un poids important dans les médias qui influencent l’opinion publique. Ceux qui prennent le parti des Frères n’ont pas beaucoup d’influence, parce que beaucoup de leurs chaînes ont été suspendues. Il y a aussi un troisième groupe qui essaie de voir de manière objective les évolutions politiques. Mais ce groupe n’a pas de grande influence non plus. Raison pour laquelle certains Egyptiens ont adopté les mêmes points de vue que ceux adoptés par les ennemis des Frères musulmans. Les médias jouent un grand rôle dans cette polarisation et reflètent les changements politiques au sein de la société.
— Croyez-vous qu’ils ne puissent pas être objectifs par rapport à ce qui se passe sur le terrain ?
— Il y a deux camps qui dominent les médias: les hommes d’affaires qui possèdent des journaux et des chaînes satellites, et le gouvernement avec les journaux d’Etat. Ils n’arrivent pas à être objectifs. Ils ont besoin de publicités pour survivre. Ils ont participé à cette polarisation et ont causé, à mon avis, un diagnostic erroné de la situation à Gaza. Il faut poser une question: le peuple palestinien et le Hamas sont-ils la même chose? Ceux qui prétendent que les Palestiniens sont des terroristes négligent le fait que la victime de la violence est le peuple palestinien et n’est pas le Hamas. Je dois dire que la dimension humaine a été complètement oubliée. Certains pensent que le peuple palestinien paie le prix de l’imprudence du Hamas.
— Mais d’autres pays n’ont pas fait le même diagnostic. Pourquoi à votre avis ?
— Tout simplement parce que ces pays possèdent un certain type de pluralité dans leur vie politique. Leurs médias ont une certaine objectivité et ils présentent plusieurs points de vue. Cette marge de démocratie permet d’avoir un choix plus libre.
— Où en est-on de cette démocratie en Egypte ?
— Elle n’existe pas en Egypte. Il y a beaucoup de restrictions sur la liberté d’expression. Plusieurs écrivains indépendants se sont abstenus d’écrire comme Mohamed Al-Makhzangy et Alaa Al-Aswany. Ce sont peut-être des restrictions cachées, mais elles restent des restrictions. En outre, celui qui adopte une attitude objective entre le gouvernement et les Frères est accusé d’être un Frère, ou encore d’être un agent caché! Cette polarisation est très dangereuse, à mon avis.
— Pourquoi pensez-vous que ce soit dangereux ?
— C’est dangereux parce que cette polarisation empêche un règlement pacifique des différends. Aucune des deux parties ne peut exclure l’autre. Il faut penser à une autre solution. Il faut trouver un terrain d’entente, un compromis que les deux parties acceptent.
A propos de Gaza
« Ce conflit concerne une occupation qui dure depuis 47 ans, et donc il est temps de se rappeler que la question n’est ni celle du Hamas, ni des mouvements islamistes, mais d’une occupation militaire illégitime à laquelle la communauté internationale doit mettre fin immédiatement, si nous ne voulons pas voir un effondrement de la situation en Israël et en Palestine qui ressemble à ce qui se passe aujourd’hui en Iraq et en Syrie ».
Leila Shahid, ambassadrice de l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne (France 24).
« Nous assistons aujourd’hui à la fin d’une ère, celle du processus d’Oslo. L’approche des Palestiniens est désormais complètement différente: ils réalisent qu’Israël ne comprend malheureusement que le langage de la force. D’importants efforts seront déployés à l’avenir pour adopter une nouvelle stratégie unifiée, basée sur la résistance, que nous espérons non violente. Il nous faudra aussi renforcer la campagne en faveur du boycott et des sanctions. Enfin, les Palestiniens doivent impérativement s’unir. Les trois formations qui ne sont pas dans l’OLP: le Hamas, le Djihad islamique et l’Initiative nationale devront y entrer. La direction palestinienne devra être rajeunie et plus attentive aux besoins de notre peuple ».
Mostafa Al-Barghouti, secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne. (L’Humanité, 2 août 2014)
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