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Mohamad Afifi : Une nouvelle page commence avec des logiques de réconciliation.

Amr Kamel Zoheiri, Lundi, 21 juillet 2014

Mohamad Afifi, professeur d’histoire, est le nouveau président du Conseil suprême de la culture. Il ambitionne de combler le déficit culturel de la population, qu’il estime être à la source des difficultés sociales actuelles du pays. Dans cette optique, il se montre ouvert à toutes les formes de coopération internationale.

Mohamad Afifi
Mohamad Afifi

Al-Ahram hebdo : Comment, alors que vous venez d’être nommé président du Conseil suprême de la culture, voyez-vous l’avenir de la culture en Egypte ?

Mohamad Afifi: Pour être clair, il faut dire que la bataille que devra mener l’Egypte lors des prochaines années sera en premier lieu culturelle. Je veux dire culturelle au sens large de la culture. Culturelle comme éducative. Si l’on regarde attentivement le bilan des dernières années, on se rend compte que les Frères musulmans n’ont pas réussi à manipuler le citoyen égyptien malgré leur présence et leur hégémonie sur le discours culturel en Egypte. L’absence de discours cohérent dans les lieux de prêches religieux, comme dans les médias, a laissé la porte ouverte aux fanatiques pour se présenter comme la seule solution possible. Aujourd’hui, il faut reprendre nos responsabilités et équilibrer la culture sociale, éducative, mais aussi médiatique, dans une société constituée essentiellement de jeunes. La même situation s’est observée dans d’autres pays qui nous ressemblent, comme la Turquie ou la Malaisie.

— De quelle manière envisagez-vous de reprendre la main ?

— On a commencé à réagir. Nous comptons adopter une politique de plus en plus coopérative. Il faut mettre en place plus de coopération et de coordination. Récemment, le ministre de la Culture, celui de l’Education, les hauts dignitaires d’Al-Azhar, le Conseil suprême des médias ainsi que le Conseil suprême de jeunesse ont signé un protocole de coopération : le ministère de la Culture aura désormais un droit de regard sur les manuels scolaires, dans le sens qui oeuvrera à donner plus d’introduction à la musique, la musicalité poétique, comme à la sensibilisation des nouvelles générations à l’histoire et à la culture commune. Il faut également munir les centres de jeunesse et de sport de bibliothèques généralistes et spécialisées. C’est un projet que l’on compte bien réaliser et qui figure dans ces protocoles de coopération.

— Cette bataille contre l’ignorance et l’extrémisme religieux, l’Egypte compte-t-elle la mener seule ?

une nouvelle page
La famille du khédive Ismaïl dont l'histoire est reprise dans le feuilleton Saray Abdin.

— La porte est ouverte à toute initiative de coopération et de coordination avec le monde extérieur, francophone, et surtout méditerranéen, dans tous les domaines qui pourraient accroître les niveaux culturels, éducatifs, de savoir-vivre, de vivre ensemble pour les citoyens égyptiens. L’abandon des jeunes et les discours extrémistes religieux remontent aux années 1970. Mais c’est une guerre qu’il faut mener tôt ou tard et en sortir victorieux. Alors, il ne fait pas de doute que le retour vers les sources premières de notre civilisation nous aidera à affronter tous les discours et extrémismes importés appelant à des valeurs contraires aux vocations primaires et historiques du citoyen égyptien. La Méditerranée se veut aussi un domaine de coopération et d’échange naturel et nécessaire au niveau de la véhiculation des idées, cultures, arts, sciences, lettres, et également des expériences de tolérance.

— Aujourd’hui, parmi les prix décernés par le Conseil suprême de la culture, il y a le prix Al-Nil décerné au caricaturiste Ahmad Toughan et à l’homme de religion d’Al-Azhar, Ahmad Omar Hachem. Est-ce le signe d’une tendance à l’humour en réconciliation avec le religieux ?

— Sans doute. Il fallait, comme il faut toujours, expliquer que le religieux fait partie de la culture égyptienne, il est apprécié et honoré au même titre que le scientifique ou les autres domaines culturels. Il est même à la base de nombreux sciences, domaines, arts et lettres. Le mythe que le ministère de la Culture est un ministère laïque, dans le sens négatif du mot, est un mythe véhiculé par les ennemis de la culture et par les discours religieux extrémistes. Malheureusement, en l’absence d’explication aux citoyens des terminologies, et sous l’influence d’un système éducatif médiocre, cette logique a gagné beaucoup de terrain. Mais aujourd’hui, on va considérer que cette page est tournée. Une nouvelle page commence avec des logiques symboliques de réconciliation.

— Professeur d’histoire, vous avez réalisé avec André Raymond l’un des plus beaux ouvrages historiques sur Le Diwan du Caire (1800-1801). Comment percevez-vous l’Histoire présentée dans les feuilletons télévisés du Ramadan et l’Histoire racontée par les auteurs d’aujourd’hui ?

— Je viens de recevoir monsieur Ayman Sayed Fouad, président de l’Association des historiens, et nous comptons prendre des mesures sur les écarts observés. Il compte porter plainte contre le feuilleton de Saray Abdine, en raison des contradictions et inexactitudes historiques sur la vie du khédive Tewfiq. Mais en général, les médias, comme dans les productions télévisées ou cinématographiques, font malheureusement en Egypte un travail à la hâte, sous prétexte qu’ils sont limités a priori par des dates de diffusion. Ils n’ont pas recours aux spécialistes et s’intéressent peu à perfectionner leurs informations. Et cela malgré une vraie attente du public pour mieux connaître l’histoire de leur pays. Par exemple, la nouvelle série publiée par le ministère de la Culture L’Histoire de l’Egypte est difficilement trouvable dans les kiosques.

— Pour terminer, quels sont les grands projets d’avenir du Conseil suprême de la culture ?

— Parmi les idées que je trouve intéressantes, il y a celle de créer, dans le futur proche, des conseils suprêmes dans les différents gouvernorats du pays, en commençant par la métropole d’Alexandrie. Egalement, l’idée de la publication électronique des livres, dont nous détenons les droits d’auteur, est aussi intéressante et pourrait se placer au service du citoyen, comme aux ministères de l’Education et de l’Enseignement supérieur.

Le Conseil suprême de la culture

Il a été créé en 1980 par le décret présidentiel numéro 150/1980 afin de remplacer le Conseil du soutien à l'art et à la culture, qui oeuvrait depuis les années 1960. Le conseil est constitué d'une organisation qui s'occupe de trois domaines principaux : lettres, arts et sciences sociales. Le Conseil suprême de la culture attribue annuellement les grands prix d'Al-Nil, du Mérite, de l'Encouragement, et de L'Excellence dans les domaines de culture, traduction, sciences sociales ou économiques. Il organise différents événements et colloques tout au long de l’année dans les domaines de la musique, la philosophie, l’histoire, le roman, la poésie, le théâtre et les arts plastiques, suivant les travaux de comités spécialisés. Il s'occupe également, à travers ses différents comités et missions, de la culture au sens large dans l’ensemble des gouvernorats d'Egypte.

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