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Les fauteurs de trouble n’ont plus la cote

Alban de Ménonville, Lundi, 09 juin 2014

Bassem Youssef tire sa révérence. L’humoriste-star met fin à Al-Bernameg, après deux ans de succès considérable. L’émission-vedette ne fâchera plus personne.

Les fauteurs de trouble n’ont plus la cote
Pourquoi Bassem Youssef a-t-il mis fin à Al-Bernameg ?

Après le 25 juin 2011, Bassem Youssef lance son émission, Al-Bernameg (le programme). Immédiatement, des millions de téléspectateurs applaudissent les performances de celui qui devient, en quelques mois, la star la plus populaire d’Egypte. Bassem Youssef, avec un humour cynique, se moquait de tout, et surtout du régime. L’élection de Morsi n’altère en rien la soif d’humour et de rire : l’émission continue, ridiculisant le président islamiste, toujours de manière extraordinairement cocasse. Pourtant, du côté des islamistes, certaines dents grincent. Bassem Youssef est l’objet de nombreuses attaques, mais aucune ne parviendra à le faire taire. La liberté d’expression reste la plus forte. Le régime de Morsi n’a pas les moyens nécessaires pour faire cesser les rires.

Après la destitution de Morsi, Bassem Youssef poursuit son travail. Il continue à se moquer du régime, à ridiculiser les dirigeants. Pourtant, suite à la première émission post-Morsi, le comique moqueur annonce qu’il interrompt Al-Bernameg. Des pressions sont évoquées.

Il y a quelques jours, suite aux résultats de l’élection présidentielle, Bassem Youssef organise une conférence de presse et annonce qu’il met définitivement fin à son programme. Les journalistes présents insistent pour savoir d’où vient la décision. L’humoriste élude la question, se contentant de répondre qu’il ne peut donner plus de détails. Quant à une question sur d’éventuels liens avec une absence de liberté d’expression, le comique répond: « Nous vivons l’âge d’or de la démocratie ».

Certains osent affirmer qu’il plaisantait.

Mais comment interpréter, il y a deux ans, le succès d’Al-Bernameg ? Le contexte post-révolutionnaire était propice aux idées nouvelles, les médias étaient libres, les tags couvraient les murs. Bassem Youssef provoquait et les téléspectateurs riaient. Aujourd’hui, on ne rit plus. L’argument sécuritaire est devenu l’une des préoccupations majeures des citoyens, et les fauteurs de trouble, quels qu’ils soient, n’ont plus la cote.

Quand le pays était dans une phase de transition, Bassem Youssef ne gênait personne. Ses idées passaient pour des incitations à chercher le meilleur en critiquant le présent. Maintenant que l’Egypte a décidé de son orientation politique, le sarcasme apparaît comme un empêcheur de réaliser les objectifs politiques et économiques soulevés par le nouveau président. Critiquer le nouveau régime est devenu synonyme d’une critique des espoirs de redressements sécuritaires et économiques. Et qu’aurait pu faire Bassem Youssef s’il avait décidé de continuer, si ce n’est critiquer le nouveau régime ?

Quant aux raisons de ce choix, elles sont probablement multiples : pressions politiques, crainte d’attentat, mise en danger des collaborateurs de l’émission, refus des directeurs de chaînes satellites… personne ne souhaite fâcher le nouveau régime égyptien, d’autant plus au péril de sa propre sécurité ou de ses propres intérêts économiques ou diplomatiques. Saluons cependant la sortie en beauté du plus grand humoriste égyptien de ces dernières années. « L’âge d’or de la démocratie » a mis fin aux blagues. Il n’y a pas de quoi en rire.

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