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Les écrivains dans le flou

Dina Kabil, Mardi, 20 mai 2014

Plus que jamais, la scène intellectuelle égyptienne est aujourd’hui chamboulée. La majorité des écrivains qui se sont rangés du côté de la révolution du 25 janvier 2011, en refus du despotisme duquel ils avaient tant souffert, et en faveur des valeurs de liberté, se trouvent divisés. De grandes figures sont prises par l’euphorie du moment, celle de se débarrasser de l’emprise islamiste. Elles quittent leur rôle d’opposition au pouvoir qui les a caractérisés dans les années 1960, pour se ranger soit du côté du candidat des forces armées, le maréchal Al-Sissi, soit du côté de son opposant nassérien, Hamdine Sabahi. La question aujourd’hui n’est pas celle de la disparition de l’intellectuel engagé pour laisser place à des personnages médiatiques omniprésents ou à des experts proches du pouvoir en place, comme c’est classiquement le cas, et comme le souligne Enzo Traverso, d’une manière historique, dans son nouveau livre Où sont passés les intellectuels ?.

La question est plutôt la réaction des soutiens, des admirateurs et des lecteurs des grands écrivains. Ceux qui veulent garder intact le souvenir de l’écrivain marxiste Sonallah Ibrahim, figure de l’intellectuel critique qui a passé des années dans les geôles de Nasser et qui, en 2003, sous Moubarak, a refusé de recevoir un prix du roman arabe « octroyé par un gouvernement qui, à (ses) yeux, ne dispose d’aucune crédibilité pour ce faire ». Ils regrettent de voir cette figure de l’intellectuel critique stimuler le pouvoir en place et l’écouter dire, dans un programme télé, qu’il souhaite que l’on trouve une formule qui englobe les deux candidats à la présidentielle, Al- Sissi et Sabahi.

Les jeunes écrivains, dans les pas des grands, débattent sur le Net autour d’un dilemme : « bouder » ou pas le poète populaire Abdel-Rahman Al- Abnoudi, qui a chanté pour « le sourire des emprisonnés », puis qui n’a pas tardé à glorifier l’image du maréchal Al-Sissi dans sa poésie. Le blogueur Ahmad Gamal Saadeddine écrit sur le portail d’Al-Shorouk un article intitulé Que Dieu nous garde de nos maîtres. Un clin d’oeil sur le changement de vestes qui s’opère dans les rangs des grands écrivains, et qui, autrefois, étaient de vrais révolutionnaires.

Le débat persiste sur la Toile : doit-on oublier le passé « révolutionnaire » des écrivains, ou considérer les positions récentes comme des crises passagères ? Des crises qui trouvent raison dans une peurpanique du courant islamiste qui ne trouve son salut que dans le premier venu qui les sauverait de l’obscurantisme. Cependant, certaines figures sages, comme le penseur et économiste Galal Amin, auteur de Maza hadass lel Masriyne ? (que s'est-il passé aux Egyptiens ?), reste perplexe : il ne veut pas se montrer à la télé pour exprimer son avis, car par bon sens, il ne veut pas transmettre son pessimisme. Cela serait contagieux, et il ne faut pas le transmettre aux autres.

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