Ahamad Fouad Negm
(Photo: AP)
L’on se rappelle les vers chantonnés en 1967 à la suite du décès de Guevara. Les mêmes résonnent encore aujourd’hui avec la mort du poète rebelle, proche du peuple, Ahmad Fouad Negm. Les obsèques et les funérailles massives prennent fin, que ce soit à la mosquée d’Al-Hussein ou à la maison modeste du défunt à Moqattam. Mais l’écho de ses vers, par la voix de Cheikh Imam, se fait encore entendre : « Le prototype du militant est mort. Mille fois dommage sur les hommes. Le gars est mort sur son canon, au fond des bois. De sa propre fin jaillit son militantisme. En silence. Sans tambour, ni trompette. Et sans publicités. Guevara est mort ».
Sans doute a-t-il eu de son vivant des opposants : les régimes au pouvoir d’abord, depuis la fin de la période nassérienne en passant par Sadate, Moubarak et jusqu’à Morsi, ou encore les gens chics bien placés, sujets de ses vers virulents, qui ricanaient de sa tenue populaire en djellaba et dénigraient son langage cru et sa poésie acerbe. Mais hormis ces deux catégories, Aboul-Nogoum était admiré par les masses comme en témoignent les grandes cérémonies d’adieu qui ont lieu depuis son départ, mercredi 3 décembre.
Même la mort a eu pitié de lui, choisissant de mettre fin à une vie tumultueuse au moment « propice » : avant de voir la défaite des jeunes révolutionnaires et d’assister à la fin de la flamme de la révolution. Il est mort donc avant qu’il ne s’aperçoive que son combat est tombé à l’eau et que ses 18 années passées, au total, derrière les barreaux, n’ont mené à rien. Les jeunes sur lesquels il a misé autrefois, mais surtout au lendemain de la révolution du 25 janvier 2011, sont aujourd’hui poursuivis et persécutés par les forces de la sécurité. Une première dans l’histoire estudiantine — le meurtre d’un étudiant de la faculté des ingénieurs par les balles de la police dans l’enceinte même de l’université — montre à quel point les rêves d’Aboul-Nogoum se sont éteints. Quelques jours auparavant, une centaine de manifestants et de jeunes activistes, descendus contre l’article de la Constitution qui consiste à juger les civils devant des tribunaux militaires, avaient été emprisonnés faute de permission officielle pour leur manifestation. Le poète lui-même n’avait-il pas été condamné lors de la répression contre les étudiants dans les années 1970, sous Sadate, et interdit de quitter le pays, il chantonnait alors avec son compagnon de route, le Cheikh Imam : « Interdit de chanter. Interdit de parler. Interdit de désirer. Interdit de s’ennuyer. Interdit de sourire, et chaque jour dans ton amour, se doublent les interdits, et chaque jour je t’aime beaucoup plus qu’avant » ?
Une figure toujours optimiste
Partisan acharné de la révolution de 2011, il la considère comme la seconde vague de celle de 1919. Cassé et frustré après la défaite de 1967, année phare voyant l’apogée de l’épanouissement poétique et des vers contestataires avec le chanteur Imam Eissa, Ahmad Fouad Negm avoue que « depuis 1967, (il) prévoit l’avènement de la révolution ». Il ne cesse de répéter et de se vanter que les jeunes de la place Tahrir avaient réalisé son rêve longtemps attendu, il reproduit ses vers sous un nouveau jour : « Bonjour aux roses qui se sont épanouies dans les jardins de l’Egypte ». Et eux, les révolutionnaires de Tahrir, ne cessent de répéter ses poèmes qui reviennent avec vigueur en pleine actualité sur l’emblématique place du Caire.
Lorsque les islamistes arrivent au pouvoir, Negm ne baisse pas les bras, il reste un croyant fidèle des capacités du peuple égyptien : « La révolution n’a pas été volée : nous avons gagné les jeunes et la génération à venir ». En mars dernier avant la destitution de Mohamad Morsi, il disait dans une rencontre télévisée : « Les Frères musulmans ont piqué juste les sièges de l’Etat, ce n’est pas grave, ça va passer parce que personne ne peut gouverner les Egyptiens ».
Ahmad Fouad Negm, qui devrait recevoir le 11 décembre le Prix de la créativité du prince Claus aux Pays-Bas pour avoir influencé trois générations par sa poésie dialectale, restera dans la mémoire des millions d’Egyptiens comme celui qui a pu, à un moment donné, faire de la poésie le repas quotidien des gens simples, transgressant ainsi l’obstacle de l’analphabétisme et former un phénomène Negm-Imam : l’icône de la révolution panarabe.
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