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L’épineuse question de l’islam en France

May Sélim, Jeudi, 08 juin 2023

Dans le cadre de la manifestation pluridisciplinaire Les Rues de la Paix, organisée la semaine dernière à l’Institut Français d’Egypte (IFE), l’islamologue franco-algérien Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam en France (FIF), a abordé l’image des musulmans en Europe dans le contexte sociopolitique actuel. Compte rendu.

L’épineuse question de l’islam en France
Conférence de Ghaleb Bencheikh à l’IFE.

L’Islam en France s’inscrit aujourd’hui dans un contexte de méfiance. Le mot musulman a bien évolué et a été associé à de différentes connotations. Dans un pays laïc, la religion islamique n’est plus un signe de citoyenneté, mais plutôt un élément d’appréhension. Dans cet air du temps intervient la rencontre avec l’islamologue francoalgérien, animateur de Radio-TV et président de la Fondation de l’Islam en France (FIF), Ghaleb Bencheikh. Ce dernier a abordé en profondeur l’image de l’islam en France à travers deux rencontres au Caire et à Alexandrie, organisées par l’Institut Français d’Egypte (IFE), à travers l’événement Les Rues de la Paix.

Bencheikh a passé en revue l’image des musulmans dans l’Hexagone, leurs aspirations dans un pays laïc où l’islamophobie s’accroît. A travers la FIF, dont il a été élu président en 2018, il a mis l’accent sur l’importance des études théologiques de l’islam et sa civilisation. « La Fondation oeuvre dans les domaines pédagogique, culturel, caritatif, humain et social et ne s’intéresse pas aux rituels religieux. Le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) s’occupe des questions relatives à la pratique religieuse. La fondation offre des bourses, notamment à ceux qui souhaitent effectuer des études en matière d’islam. La civilisation islamique est d’un grand intérêt pour l’Europe et la France en particulier. C’est notre responsabilité de la faire connaître aux jeunes musulmans et non-musulmans. C’est la meilleure réponse face à l’extrémisme, la pensée figée et le discours sombre, avec les appels à la préservation des valeurs esthétiques et la tendance à l’humanisation. C’est le travail dur instauré par mon prédécesseur et ex-ministre Jean-Pierre Chevènement », a expliqué le président de la FIF, Ghaleb Bencheikh, ayant ajouté aux missions de la fondation la création d’une université populaire ambulante. « C’est-à-dire qu’on se dirige vers les cités et les banlieues pour discuter avec les citoyens quoi que soient leurs appartenances religieuses. On évoque les causes d’actualité sur le plan local ou sur le plan des relations entre les différents pays ou même celles qui touchent à l’Histoire et ont des réminiscences politiques ou sociales sur le plan intérieur français ».

La FIF s’adresse aussi aux prisonniers et leurs familles à travers des médiateurs sociaux. « Un prisonnier est souvent manipulé mentalement, surtout quand il est écarté et détesté. L’islamiste lui promeut l’appartenance à la nation islamique, ce qui est plus fort que son appartenance à la patrie (la France). De plus, l’idée des attentats terroristes est vue comme étant une vengeance en faveur des ancêtres qui ont été sujets de persécution et de colonisation. Les enfants des prisonniers sont destinés à de mauvais sorts : la drogue, la débauche, l’adoption de discours islamistes assez sombres. Pour y faire face, nous discutons avec les prisonniers et leurs familles. Nous leur donnons de la confiance et nous enrichissons leur langage. Nous répondons à leurs questions. Les idées puritaines sont des clous. Plus on leur donne des coups, plus ils s’enfoncent. Pour ce, il faut trouver d’autres stratégies », a indiqué l’islamologue.


Manifestations qui ont suivi l’assassinat de Samuel Paty.

Malgré les initiatives de la FIF et les autres entités mises en place, l’islamophobie s’accroît. « Au départ, en France, même en toute l’Europe, personne ne voulait employer le terme islamophobie. Pourtant, il est utilisé aux Etats-Unis, en Amérique latine et au nord de l’Amérique. Le secrétaire général de l’Onu l’a déclaré, le 15 mai, en tant que la Journée internationale de la lutte contre l’islamophobie. Pourtant, le mot est souvent rejeté en France et en Europe. Et ce, pour deux raisons. La première est liée à l’étymologie du mot qui veut dire avoir peur de l’islam. Et franchement, il y a de quoi en avoir peur quand on regarde les positions de ceux qui commettent des actes terroristes. De plus, les médias ne mettent en évidence que les lacunes liées à l’islam. Certains citoyens qui ne réfléchissent pas croient que l’islam est lié à la violence, l’arriération et la frustration de la femme. La pensée islamique, la théologie islamique et la culture sont en crise. La deuxième raison est que certains disent : vous vous servez du mot islamophobie pour nous faire taire et ne pas critiquer les lacunes de certains comportements chez les musulmans. Ce qui est considéré comme une erreur du point de vue historique », a-t-il précisé. Et de poursuivre : « Les origines de l’islamophobie remontent au début du siècle précédent, entre 1908 et 1910. En 1918, le terme est utilisé avec ces deux concepts : la peur de l’islam et la haine de l’islam. Nous voyons qu’en France, les musulmans sont entre le marteau et l’enclume. Celui de l’extrémisme et le puritanisme d’un côté, et de l’autre celui de la victoire idéologique de l’extrême droite. Ce qui rend la cause islamique en France un dilemme et un problème épineux. Pourtant, en Allemagne, au XIXe siècle, il y a eu une sorte d’appréciation de l’islamologie. Les études orientalistes en témoignent. Aujourd’hui, l’Allemagne a assimilé plus de 1 million d’immigrés dont la plupart sont des musulmans. Même en France, au début du XIXe siècle, il y a eu cette islamophilie et arabophilie ».

Après la promulgation de la loi de la laïcité et la séparation entre l’Etat et l’Eglise dans l’Hexagone, la société française a perdu, petit à petit, ses références religieuses. « Aujourd’hui, 53 % de la population française n’a pas de référence religieuse. On ne parle pas de Dieu et de religion, mais de transcendance et de spiritualité. On parle des jeunes communistes plus Dans les quarante dernières années, nous voyons une présence dense des jeunes musulmans qui parlent de Ramadan et du hajj comme moyen d’affirmer leur identité (…) L’année 1979 est considérée comme un tournant dans la relation entre l’islam et l’Europe », a estimé Bencheikh.


Le public a été enchanté par la formation musicale Rissalet Al-Salam (message de paix).

1979, année décisive

Cette année a été marquée par l’émergence des moudjahidine afghans soutenus par les Etats-Unis, l’invasion iraqienne de l’Iran, la Révolution de Khomeiny, l’affirmation de la tendance wahhabite saoudienne, les fronts de résistance contre les accords de Camp David qui se sont servis des slogans islamistes. Ces incidents ont nourri l’appréhension vis-à-vis des tendances islamiques en général. S’ajoutent à cela les campagnes qui ont suivi, en 2012, l’acte terroriste commis par Mohamed Merah, qui a tué des enfants dans une école juive à Toulouse dans le sud de la France. Des attentats terroristes se sont poursuivis jusqu’en 2020. Puis, en cette année, un islamiste originaire de la Tchétchénie a assassiné, par arme blanche, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie en banlieue parisienne. « Pendant 8 ans, les attentats qui ont eu lieu ont été associés au mot islam, ce qui a créé une grande fissure entre les musulmans et le reste de la société française. La situation s’est aggravée lorsque les maires des mosquées et les présidents des associations n’ont pas été à la hauteur de ces événements. Pour moi, il ne suffit pas de dire : ne confondez pas l’islam, qui est une religion de paix, à ces actes terroristes, tant que les terroristes disent défendre cette religion. Nous devons réfuter les idéologies qui emploient la religion pour commettre ces actes terroristes », a souligné l’islamologue.

Droit, liberté et foi

Au début de l’année prochaine, en coopération avec Al-Azhar, la FIF organisera un colloque international sur les libertés d’expression, de conscience et de la foi où le grand cheikh d’Al-Azhar, ainsi que le mufti égyptien, seront invités.

Toujours dans le but de travailler sur le plan culturel, la Fondation vient d’adopter aussi un projet sur Internet intitulé « Contre influence ». « Nous incitons les jeunes à analyser ce qui se trouve sur les réseaux sociaux. Nous les incitons à répondre aussi dans cet espace de réalité virtuelle. Nous déployons tous nos efforts pour faire avancer le projet et nous espérons avoir de bons résultats bientôt », a conclu Ghaleb Bencheikh.

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