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Le peuple égyptien: une continuité depuis le pléistocène

Heba Zaghloul , Samedi, 29 avril 2023

Un docu-fiction de Netflix sur la reine Cléopâtre, avec une actrice noire dans le rôle principal, suscite de vives réactions. Nous republions ici un article, paru en mars dernier, sur le mouvement de l’afrocentrisme qui fait la dernière polémique du moment. Un mouvement largement discrédité par les égyptologues.

Les Egyptiens sont des Egyptiens !
Le couple Rahotep et Nofret, de la quatrième dynastie : une ressemblance frappante avec la population d’aujourd’hui.

Il est difficile de tomber sur une publication sur les réseaux sociaux consacrée à l’Egypte Ancienne sans être systématiquement bombardé par une multitude de commentaires quasiment identiques, et qui prétendent que l’Egypte Antique aurait été «  une civilisation noire » et que les Egyptiens actuels ne seraient autres que des « colonisateurs ». Il s’agit là d’une des principales thèses du courant afrocentriste, un mouvement ethnocentrique qui consiste à placer l’Afrique subsaharienne à l’origine de toute autre civilisation. Ce mouvement prétend également être victime de complots qui cherchent à cacher les contributions de cette civilisation supérieure aux autres. D’où la nécessité, selon les afrocentristes, de réécrire l’histoire. Le souci est que leurs nouvelles versions sont basées sur aucun fait historique.

Figure de proue de ce mouvement, Cheikh Diop, intellectuel sénégalais, a présenté sa théorie selon laquelle l’Egypte Antique aurait été une « civilisation noire » à une conférence de l’Unesco en 1974, mais ses propos ont alors été largement réfutés par les égyptologues présents. Avec un parcours académique varié, mais qui oscille entre la philosophie, les sciences, et une thèse sur une comparaison des sociétés européennes et africaines, Diop, malgré ses recherches, n’a jamais ni fait d’études d’égyptologie, ni reçu de diplôme dans cette discipline; pourtant, il est systématiquement cité par les afrocentristes. A titre d’exemple, « Kemet », un des noms de l’Egypte Ancienne, signifie « terre noire », en référence à la terre fertile de la Vallée du Nil, et en aucun cas ce terme ne désigne « un peuple noir » comme le prétendent les afrocentristes, explique Faiza Haikal, célèbre égyptologue, professeure d’égyptologie et ancienne présidente de l’Association internationale des égyptologues. D’ailleurs, les Egyptiens opposaient « Kemet » à « Deshret », qui veut dire « terre rouge », autrement dit le désert et ne désigne donc pas non plus la couleur de la population.

Et c’est principalement à cause de l’ignorance des afrocentristes de la civilisation égyptienne que les thèses afrocentristes sont décréditées. Car du point de vue de l’égyptologie moderne, l’apparence physique des Anciens Egyptiens n’est pas différente de celle de la population d’aujourd’hui. Certains ont la peau claire et plus on avance vers le sud, elle devient plus foncée. Le peuple égyptien a donc une apparence très variée. N’ayant jamais été sujet à un quelconque génocide ou remplacement de population à n’importe quel moment de son histoire, il y a eu une continuité géographique et démographique. Les Anciens Egyptiens se sont convertis au christianisme, et à la suite de la conquête arabe, ils se sont convertis à l’islam pour devenir une majorité musulmane quelques siècles plus tard.

Une théorie réfutée

Selon Salima Ikram, professeure pakistanaise d’égyptologie, et qui a participé à de nombreuses missions archéologiques, bien que l’Afrique soit le berceau des civilisations et l’origine de l’humanité, il ne faut pas oublier que l’Egypte est située dans un carrefour entre l’Afrique et l’Asie. « D’où le fait que les Egyptiens étaient un cocktail ethnique ». Elle explique que, basé sur les preuves archéologiques, il s’agit d’un peuple caucasien, tout en rappelant que ce terme ne signifie pas blanc. Les Egyptiens auraient été plutôt « un cocktail de beige », décrit-elle. C’est également ce que confirme Haikal : « Avec les changements climatiques, les tous premiers peuplements prédynastiques sont venus aussi bien de l’est, de l’ouest que du sud pour s’installer au long de la Vallée du Nil. C’est d’ailleurs pour cette raison que la langue égyptienne ancienne est afro-asiatique ». « Nous avons eu une seule dynastie nubienne, il s’agit de la 25dynastie », affirme-t-elle. D’ailleurs, il suffit de comparer les pharaons de cette dynastie avec le reste des dynasties pour voir la différence.

Effectivement, les preuves archéologiques ne manquent pas. « Les femmes égyptiennes étaient généralement représentées avec une peau beige, alors que les hommes sont plus foncés, car plus exposés au soleil », explique-t-elle. C’est le cas par exemple du fameux couple Rahotep et Nofret qui trônent au Musée du Caire. Que ce soit du point de vue des traits du visage ou couleurs des yeux, la ressemblance physique avec les Egyptiens d’aujourd’hui est frappante.

De plus, les Egyptiens ont non seulement fait des illustrations très détaillées d’eux-mêmes, mais se sont aussi différenciés des autres races. Les Libyens et leurs voisins asiatiques par exemple étaient représentés très méticuleusement avec une peau claire, alors que les Nubiens et les subsahariens étaient peints en noir avec des traits et des cheveux propres à eux. Les deux égyptologues insistent que ce n’était en aucun cas une forme de racisme. « Je tiens surtout à dire que dans l’Egypte Ancienne, les couleurs de peaux et la question de races n’ont jamais été mentionnées. Les Egyptiens se battaient contre les autres peuples pour la simple raison qu’ils n’étaient pas égyptiens, et jamais à cause de la couleur de peau », affirme Haikal. « Dans l’Egypte Ancienne, si vous vous comportiez comme des Egyptiens, alors vous étiez considérés en tant que tels, quelle que soit votre race ou ethnie », explique Ikram. « Il y avait cette idée de supériorité culturelle égyptienne par rapport à celle des voisins quelles que soient leurs races », ajoute-t-elle.

Falsification et appropriation

Alors face à de telles preuves archéologiques, pourquoi un tel acharnement de la part des afrocentristes? Il faut tout d’abord comprendre que ces thèses sont relayées majoritairement par la communauté noire américaine, dont les ancêtres sont principalement originaires de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest, et donc ne sont liés ni de près ni de loin à la civilisation égyptienne. Cependant, cette communauté a fait toujours face à de la discrimination et leur histoire aux Etats-Unis a souvent été réduite à l’esclavage. Ils sont donc à la recherche d’un passé glorieux. Et quoi de mieux que la civilisation égyptienne ? Ce sont principalement les propos attribués à Kevin Hart, selon lesquels il aurait dit: « Nous devons apprendre à nos enfants la véritable histoire des noirs africains, lorsqu’ils étaient rois d’Egypte, pas seulement la période de l’esclavage enracinée dans l’éducation américaine, vous rappelez-vous le temps où nous étions rois ? ».

C’est ce qui a donc soulevé la colère des Egyptiens qui considèrent cela non seulement une falsification de l’histoire, mais également une appropriation culturelle et historique de leur civilisation. De plus, en faisant une telle fixation sur l’Egypte, les afrocentristes ne prennent pas la peine de connaître leurs propres civilisations subsahariennes comme les Noks, les Songhaï, ou l’empire du Mali.

Clarence E. Walker, historien américain, explique les raisons pour une telle obsession dans son livre intitulé We can’t go home again : An argument about afrocentrism, datant de 2001. Selon lui, « les noirs américains qui prétendent que l’Egypte était une civilisation noire » ont créé ce qu’il appelle « une mythologie thérapeutique », mais qui n’a rien à voir avec l’histoire. Il ajoute que « le but de l’afrocentrisme est de promouvoir leur estime de soi en créant un passé qui n’a jamais eu lieu ». Et ceci est donc aux dépens de la population égyptienne contemporaine qui a pourtant su conserver au fil des années son héritage culturel, que ce soit au niveau des traditions culinaires, rituelles, mais aussi linguistiques: des métaphores, des proverbes et une multitude de mots dont l’origine remonte à la langue égyptienne ancienne et qui fait la particularité du dialecte arabe égyptien. Une étude anthropologique qui date de 1993, intitulée Clines and clusters versus Race: a test in Ancient Egypt and the Case of a Death on The Nile, fait état de cette continuité: « Nous concluons que les Egyptiens ont été sur place depuis le Pléistocène et ont été largement non affectés par les invasions ou les migrations. Comme d’autres l’ont fait remarquer, les Égyptiens sont des Égyptiens, et ils l’étaient aussi dans le passé ».

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