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Du Nil au Golfe aller-retour

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 26 octobre 2022

Kharaga Wal Mafroud Yaoud (il est sorti et doit retourner!) est un projet de recherche sur la main-d’oeuvre égyptienne dans les pays du Golfe, conçu par le groupe Anthropology Bil Arabi (anthropologie en arabe). Quinze chercheurs exposent le résultat de leur travail au Collectif contemporain de l’image.

Du Nil au Golfe aller-retour
D’un passeport à l’autre, les années passent et les êtres humains s’adaptent.

C’est à partir des années 1970 que le flux migratoire des Egyptiens vers les pays du Golfe s’est accentué, pour atteindre son apogée dans les années 1980 et 1990, avec notamment l’épanouissement des pays du Golfe, à la suite de la découverte des hydrocarbures dans les années 1950.

Insérer la migration égyptienne vers les pays du Golfe dans son contexte sociopolitique et économique fait ressortir un dénominateur commun: les migrants mènent deux vies. Une vie simple et temporaire dans le pays d’accueil et une vie plus sophistiquée et reportée en permanence dans le pays d’origine. «  L’idée d’aborder ce concept de migration m’a traversé l’esprit quand mon père m’a exprimé sa volonté d’être enterré en Egypte. Le fait de penser à la mort et au retour, après avoir tant parlé de la migration qui nous permet une vie meilleure, m’a beaucoup frappée », souligne Farah Hallaba, initiatrice du groupe Anthropology Bil Arabi (anthropologie en arabe), qui elle-même a passé une bonne partie de sa vie en Arabie saoudite. Et d’ajouter : « On a commencé par des questions ordinaires sur les ambitions, les rêves et la migration. Et comme la migration vers les pays du Golfe est temporaire, la temporalité— et non pas la spatialité— était l’entrée principale de cette expérience. En vue de l’appréhender, il était important d’aborder des sujets tels la consommation, le changement social, l’éducation, etc. ». Hallaba affirme qu’en évoquant leurs souvenirs, lors d’un atelier participatif qui a duré trois mois au début de cette année-ci, les travailleurs au Golfe ont remarqué qu’il était difficile de se rappeler leurs émotions à l’époque de leur départ, et que ce qui est resté de cette expérience est plutôt d’ordre matériel qu’émotionnel.

Bien que le sujet de la migration des Egyptiens revienne constamment dans la presse, fasse sujet d’études académiques dans les sciences sociales, plusieurs questions restent encore en suspension. On s’interroge par exemple: quelle différence y a-t-il entre les gens qui sont partis dans les années 1970, 1980, 1990 et au début des années 2000? Les clichés sont-ils toujours les mêmes? Pour parvenir aux réponses, il fallait impérativement fouiller dans les archives proposées par cette exposition.

Au sein des maisons

Observer les maisons était une façon pour mieux comprendre le mécanisme de cette migration temporaire. Les chercheurs ont commencé par poser la question: où est le salon Aubusson? Cet élément central dans la plupart des maisons égyptiennes à l’époque. Sa présence conduit, selon Lina El-Shamy, anthropologiste culturelle et historienne du design, à une appréhension de l’appartenance. « On a voulu élargir notre recherche en invitant un large public à nous envoyer les photos de leurs maisons dans les pays du Golfe. A force d’analyser ces photos, nous sommes parvenus à faire la différence entre logement et maison, le temporaire et le permanent », explique-t-elle. La maison et/ou le logement ne constituent pas seulement cet espace qui abrite des individus, mais aussi qui renferme tant d’éléments relatifs à la présence de ces individus. Des photos, des passeports, des boîtes, etc.

L’exposition, en cours jusqu’au 31 octobre au Contemporary Image Collective (CIC), offre un type de connaissances différentes et permet de dépasser le cadre strictement factuel pour englober les représentations et les émotions en lien avec ce phénomène. D’ailleurs, ce qui est intéressant, c’est qu’elle ne rapporte pas uniquement d’informations sur le ressenti, mais met en lumière de petites choses de la vie quotidienne, dont on ne trouve pas de trace dans les ouvrages académiques. « Des chaises en plastique, des murs vides, des climatiseurs et surtout de la moquette. Tels étaient les éléments principaux dans les logements des Egyptiens installés dans les pays du Golfe. Par opposition à leurs maisons en Egypte où sont entassées des boîtes et des caisses, dans l’attente de leur retour. Bref, c’est le genre d’image qui n’est pas sans rappeler celle du tombeau de Toutankhamon, avec plein d’objets entassés dedans, afin de servir le défunt dans sa prochaine vie », souligne El-Shamy.

Au-delà des idées reçues

Ce concept de « vie reportée », d’une « autre vie », n’est pas valorisé lorsqu’il s’agit de ceux qui sont partis au début des années 2000. Les photos prises chez eux démontrent que la notion de stabilité a changé. « Cette génération opte plutôt pour une vie aisée dans le nouveau pays d’accueil », affirme El-Shamy, en montrant des photos avec des murs décorés par des tableaux, etc.

Le jeune anthropologue Hossam Gad, quant à lui, expose des passeports de l’un de ses proches, parti dans les années 1970 pour travailler dans l’un des pays du Golfe. Au départ, il avait une barbe et portait une djellaba, quelques années plus tard, il était en costume-cravate et sans barbe. Son nouveau look rompt complètement avec les clichés construits autour des travailleurs du Golfe, notamment les images reçues à travers les séries de télévision.

En effet, cette initiative a le mérite de parier sur le croisement des histoires personnelle et collective, avec l’ambition d’élaborer des archives, commençant par ces témoignages.

Jusqu’au 31 octobre, au Contemporary Image Collective (CIC). 27, rue Talaat Harb, centre-ville. De midi à 21h, sauf les vendredis.

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