Bts, got7, red velvet, Blackpink, EXO, Twice, Tomorrow X together, Straykids, Itzy. Autant de groupes sud-coréens émergent au-devant de la scène jusqu’à dominer le goût des adolescents égyptiens. Ces derniers optent pour la K-pop ou les chansons pop coréennes plutôt que les chansons anglo-saxonnes et arabes. Inspirée du hip-hop et du RnB avec, surtout, l’accent mis sur des chorégraphies millimétrées et des artistes surentraînés qui partagent les moindres péripéties de leur vie personnelle avec le public, la K-pop, après avoir conquis l’Asie, les Etats-Unis, et l’Europe, prend d’assaut l’Afrique, notamment l’Egypte. Un phénomène qui ne passe pas inaperçu. Coincée entre le Japon et la Chine, la Corée, qui n’était connue autrefois que pour ses exportations d’automobiles et de produits électroniques, s’est fait connaître via sa culture véhiculée par la K-pop. Avec un mélange de cultures occidentale et orientale, ce genre musical a déferlé à travers des interprètes, majoritairement d’origine sud-coréenne, dont les chansons gardent une saveur asiatique de par leurs mimiques et leur gestuelle. Les oeuvres sont chantées en coréen, mais comprennent souvent des refrains en anglais. Cette recette gagnante rapporte aujourd’hui des milliards de dollars par année à l’économie du pays. Mais pourquoi un décollage spectaculaire à ce moment précis ?
Vu ses ressources naturelles limitées, le gouvernement sud-coréen a décidé d’adopter depuis 1997 une stratégie selon laquelle l’exportation de la culture populaire devient une des sources majeures de revenus pour un progrès économique sûr. Ainsi, l’Hallyu (la vague coréenne), un terme initialement forgé par les Chinois à la mi-1998 afin de décrire le soudain engouement de la jeunesse chinoise pour les produits culturels coréens, emporte tout. Elle englobe maintenant toute une série de produits culturels comme la Pop Music coréenne, les films, le divertissement, les jeux en ligne, les smartphones, les tablettes, la mode, la nourriture, etc.
Jim Dator et Yongseok Seo, dans leur article Korea and The Wave of a Future : The Emerging Dream Society of Icons and Aesthetic Experience, publié dans le Journal of Futures Studies, soulignent que les pays d’Asie éprouvent moins le sentiment de menace naturellement née face à l’envahissement de toute culture étrangère, en accueillant la vague coréenne. Le phénomène y est apprécié en tant que floraison longuement attendue d’une expression artistique de l’Asie postcoloniale et création d’un mouvement culturel contre l’hégémonie occidentale dans toute la région. Cette mode se diffuse de par le monde non seulement à travers les chaînes satellites, mais aussi via YouTube et les réseaux sociaux. Qui ne se souvient pas encore du vidéoclip de la chanson Gangnam Style qui, en 2013, est rapidement devenu le plus visionné sur YouTube, pour détrôner de vraies stars de la scène telle Justin Bieber, le plus adoré par les jeunes ?
Usine de la K-pop
En Corée du Sud, quatre agences dominent l’industrie de la musique : SM Entertainment, JYP Entertainment, YG Entertainment et Big Hit Entertainment (HYBE). Ces agences créent des vedettes. Dès leur jeune âge, les futurs pop stars s’entraînent à danser, chanter, parler … L’entraînement peut durer de trois à huit ans avant que le produit ne soit finalement lancé sur le marché. Ces agences contrôlent ensuite chaque aspect de leur vie et de leur carrière : leurs fréquentations sont contrôlées, leurs façons de s’habiller ou de se coiffer imposées, leurs réponses aux journalistes dictées. Et les ventes d’albums, les concerts, l’endossement de produits publicitaires, les apparitions télé ne se font que sous la supervision de ces agences.
BTS et les ados égyptiens
Avec des slogans accrocheurs, des chansons en coréen et des chorégraphies énergétiques, BTS a réalisé, depuis sa naissance en 2013, un phénomène planétaire. Leur chanson Dynamite, en anglais, a été la plus téléchargée dans 103 pays en 2020 et a fait 100 millions de vues en près de 24 heures. Ayant dominé les ventes d’albums en Europe, ce groupe de garçons apporte près de 3 milliards d’euros annuellement à la Corée du Sud. De quoi avoir mérité d’être honoré par le président sud-coréen, Moon Jae-in, qui les a qualifiés de « fierté » du pays. Le groupe a même été nommé en tant qu’envoyé spécial du président de la Corée du Sud auprès de l’Onu le 15 septembre dernier. En Egypte, cette icône de la K-pop ne manque pas de fans. Une attractivité injustifiable ? « Pas du tout. Si on disait que les Beatles ont entamé The British Invasion dans les années 1960, on pourrait dire que BTS a entamé The Korean Invasion à partir de 2017 », estime Nour Amr, 13 ans. Et d’ajouter : « Ça fait trois mois que BTS occupe le top Hot 10 sur le Billboard (un hebdomadaire américain consacré à l’industrie des disques). C’est ce groupe qui a ouvert la voie aux autres groupes coréens ». Selon Nour, la culture anglo-saxonne est devenue hyper-consommée et donc ordinaire. Il est temps donc de découvrir d’autres régions et d’autres cultures et de ne plus être emprisonné dans son cocon.
Et la barrière linguistique ? L’un des chanteurs du groupe a tout simplement répondu à l’un de ses fans qu’on n’avait pas besoin de comprendre. « Le fait qu’ils chantent en coréen est une raison de plus pour les respecter », défend Nour.
Cependant, le groupe fait face à certaines critiques négatives à cause de leur apparence : maquillés, cheveux teintés, pour les adultes égyptiens, c’est un look homosexuel. Mais pour les jeunes fans, peu importe. « C’est leur culture, on l’accepte que l’on soit d’accord ou non. Ce qui compte pour nous, c’est l’art qu’ils offrent. Les chansons, quant à elles, n’abordent jamais le sexe ou l’alcool, comme c’est le cas des chansons en Occident. La Corée du Sud est très conservatrice », affirme Nada Hecham, 20 ans. « Aucune comparaison à faire avec les groupes occidentaux », s’insurge Emma Anis, 16 ans. « On n’est pas habitué à voir un chanteur occidental live pendant une heure environ en train de célébrer son anniversaire avec ses fans. Le groupe BTS cherche toujours à inclure ses fans dans sa vie quotidienne. Les paroles de ses chansons abordent toujours des questions liées à nos luttes quotidiennes », ajoute-t-elle. Nour renchérit, affirmant que le groupe aborde des sujets plus « réels », comme la dépression, l’échec, la famille, et non pas seulement l’amour et la séparation comme les chansons arabes.
La K-pop est donc clairement non seulement un genre de musique ou un mode de vie, mais est aussi le soft power d’une culture dont la popularité ne cesse de monter en flèche.
Deux groupes de fans égyptiens
Les fans de BTS se regroupent sous une même bannière « ARMYs ». Bangtan Army et Eagle sont les deux grands groupes de fans égyptiens. En 2014, Marwa Saadat, orthophoniste de 26 ans, a décidé de fonder le groupe Bangtan Army, inspiré du nom du groupe BTS qui est l’acronyme de Bangtan Sonyeondon en coréen (se traduisant littéralement en anglais par Bullet Proof Boy Scouts. Ceci pour dire qu’ils s’opposent à toutes sortes de discrimination et d’oppression). Aujourd’hui, le groupe a 80 000 abonnés sur Twitter, 57 000 sur Facebook et 25 000 sur Instagram. « J’ai découvert cette culture en 2005, en suivant un feuilleton diffusé sur la chaîne 2 de la télévision publique égyptienne. J’en suis tombée amoureuse, au point de vouloir apprendre cette langue », raconte Marwa, administratrice du groupe. Celle du groupe Eagle, Alaa Ibrahim, architecte de 25 ans, partage la même fascination. C’est pourquoi en 2014, elle décide de créer le groupe Eagle, 60 000 sur Tiktok, 40 000 sur Twitter et 45 000 sur Instagram. Ces communautés de fans ou « fanbase », dans leur jargon, échangent les dernières vidéos, entrevues, mais aussi organisent des événements et font des dons pour des oeuvres de charité.
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