Le poète Naguib Chehab Eddine incarne la figure du bohémien, celui qui vit en marge de la société, qui rejette les règles et qui adopte l’improvisation comme façon d’être. Il prônait la liberté avant tout et en tout, écrivait sans se soucier d’être publié. Plus encore, il échappait à chaque fois un ami, travaillant dans l’édition, qui lui proposait de regrouper ses poèmes dans un livre. Il tenait simplement à ce que sa porte soit toujours ouverte, que les amis soient les bienvenus dans sa maison et que le café soit prêt pour accueillir ses compagnons de veillée, qui venaient jouer avec lui au tric trac sur un fond de musique.
D’ailleurs, quand on lui demandait : « T’as besoin qu’on ramène quelque chose en arrivant? La réponse était souvent: un peu de café ! », racontent les personnes qui l’ont côtoyé de près. Et à ces derniers de reprendre sa célèbre phrase : « Que Dieu vous aide en ces jours difficiles. Moi, j’ai la dépression qui me court après ! ».
Né le 4 août 1944 dans le Delta égyptien, le poète, qu’on classe parmi les écrivains des années 1970, a choisi de vivre en solitaire. Il fréquentait rarement les cercles intellectuels et maintenait un profil bas. Durant la Révolution de Janvier 2011, sa chanson composée par Al-Cheikh Imam fut la rengaine qu’on répétait à la place Tahrir pour exhorter le pays à ne pas fléchir : « O l’Egypte, lève-toi. Sois forte. Tout ce que tu demandes est chez moi. Ni l’oppression, ni la nuit ne me feront changer d’avis ». Pourtant, très peu de gens savaient que c’était lui l’auteur de ces vers en dialectal. Il en est de même pour d’autres chansons à succès d’Al-Cheikh Imam, telle Sayesse Hossanak (apprivoiser son cheval), écrite dans les années 1980, peu de temps après sa sortie de prison, où il était détenu en 1975 pour ses opinions opposées au régime.
Le poète qui a de tout temps préféré se consacrer entièrement à la création, refusant toutes sortes de postes, s’est isolé davantage à cause de la maladie. Il avait perdu sa mobilité à cause de problèmes à la colonne vertébrale. Il a été enterré dans le village d’Al-Batanoun au gouvernorat de Ménoufiya, et un autre poète du dialectal a écrit ces quelques vers pour lui rendre hommage: « Il n’y a plus d’élégies. Terminé. Ni d’endroits pour présenter ses condoléances. Il n’y a plus de couleurs, ni de motif ornemental. Ni de haut-parleur, faisant du vacarme. (…) Il n’y a plus de différence entre celui qui est mort et celui qui ne l’est pas. Je suis juste debout, devant lui, ne sachant plus quoi faire, et j’entends juste sa voix qui me dit: Que Dieu vous aide … »
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