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Mohamed Salmawy : Je ne peux pas lire dans un seul domaine, sinon je me sens contrarié

Propos recueillis par Dina Kabil, Mardi, 08 juin 2021

L’écrivain et éminent journaliste Mohamed Salmawy vient de recevoir le Prix du Nil pour les lettres. Il s’agit du plus grand hommage rendu par l’Etat égyptien, afin de couronner le parcours riche d’un intellectuel encyclopédiste aux talents multiples. Entretien.

Mohamed Salmawy

Al-Ahram Hebdo : Après de nom­breux prix et décorations en Egypte et sur le plan internatio­nal, vous obtenez le prix du Nil, le plus grand décerné par l’Etat. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Mohamed Salmawy: Le prix du Nil est un hommage que me rend mon pays, c’est un prix différent. Tous les prix et les décorations que j’ai reçus me sont chers sans doute, comme l’Ordre du Chevalier des Lettres et des Arts que m’a accordé la France en 1995, ainsi que d’autres titres, trophées et décora­tions décernés par l’Italie, la Belgique, la Palestine, le grand prix de la paix du Sénégal... et ce, sans compter le prix d’Es­time de l’Etat égyptien en 2012.

C’est toujours un grand honneur d’être reconnu dans son propre pays. Il se peut que je n’aie pas été souvent primé en Egypte parce je n’étais pas en accord, du point de vue politique, avec le pouvoir en place. Le premier prix que j’ai reçu en Egypte était en 2012, donc juste après la Révolution du 25 janvier.

— Votre écriture s’étend sur des genres variés : théâtre, fiction, roman, nouvelle, mais aussi essai et autobiographie. Quel est le moteur derrière cette diversité ?

— Je suis écrivain tout court, et tout écri­vain possédant une belle plume peut se prêter à écrire la nouvelle, le commentaire et le roman. Normalement, je ne mets pas de bar­rière entre les différentes formes, ce ne sont que des outils, c’est le sujet qui impose souvent la forme adéquate, que ce soit une pièce de théâtre ou même un commentaire dans la presse. Le travail journalistique est pour moi une façon de maî­triser ma plume, j’ai été rédac­teur en chef, membre du desk central du quotidien arabe Al-Ahram, et j’ai souvent signé des éditos et des chroniques littéraires, car il existe de grands noms dans la presse égyptienne comme Abdel-Hamid Saraya, Youssef Al-Sabbagh, Kamal Naguib et d’autres qui n’ont cependant pas écrit de colonnes.

Je pense que ma formation littéraire m’a donné la qualification pour écrire des éditos et des articles narratifs qui relatent une histoire. C’est devenu une tendance dans la presse d’aujourd’hui, le lecteur cherche maintenant l’article narratif qui analyse la nouvelle ou l’information, tout en creusant en profondeur.

— A vos débuts, vous avez été reconnu comme l’un des maîtres du théâtre de l’ab­surde, mais vous vous êtes quand même attaché au travail journalistique. Est-ce un choix, un attachement au monde factuel ?

— Je ne préfère pas le journalisme à la litté­rature. Peut-être aussi, je ne préfère pas la littérature à la presse. Je le dis maintenant avec beaucoup d’hésitation! J’ai eu une for­mation littéraire, ayant étudié la littérature anglaise, et je l’ai enseignée à l’Université du Caire, du fait, la littéraire a souvent pris le dessus. Les journalistes qui ont écrit des romans comme Moustapha Amin ne figurent pas dans l’histoire littéraire, tandis que ceux qui avaient une formation littéraire, tels Ihsan Abdel-Qoddous et Youssef Al-Sébaï, entre autres, ont laissé une empreinte indé­lébile dans ce domaine.

— Tout écrivain est natu­rellement grand lecteur. Quel était votre parcours et vos préférences dans la lec­ture, surtout que vous êtes connu comme un critique de livres qui a longtemps pré­senté des perles de la biblio­thèque mondiale au public arabe ?

— J’ai grandi dans une maison où il y avait une grande bibliothèque très riche. Enfant, pendant les heures d’étude, je m’évadais vers les étagères de la bibliothèque, sous prétexte de faire mes devoirs. Je suis par nature pas­sionné de connaissances. J’aime la lecture et les différents visages de la culture, la multipli­cité des savoirs me passionne, je ne peux pas m’enfermer dans un seul domaine, sinon je sens que je suis contrarié. C’est pourquoi mes lectures s’étendent aux lettres, à la psychologie, à l’histoire, à la philosophie et aux sciences.

Cela est fondamental pour un écrivain. Un chirurgien peut exceller dans son tra­vail sans avoir des connaissances en musique classique ou en philosophie, il peut ne pas connaître Schopenhauer ou Spinoza, tandis qu’un écrivain, c’est dif­férent. Il est censé avoir des connais­sances variées et être plus apte à représen­ter la vie et la refléter dans son oeuvre.

Très tôt, ma conception de l’art du théâtre s’est élaborée avec Shakespeare. Pour ce qui est du théâtre arabe, j’ai été très influencé par Tawfiq Al-Hakim. Ce sont les deux grandes figures qui m’ont marqué, puis il y a aussi Tchekhov, le théâtre de l’absurde, sans oublier les grands noms du théâtre égyptien que j’ai côtoyés de près comme Saadeddine Wahba et Saad Ardach.

— Votre succès en tant que dramaturge ne vous a pas pour autant stimulé à conti­nuer à écrire des pièces, pour­quoi ?

— Je ne me suis pas concen­tré sur le théâtre parce que c’est un genre actuel, lié à la durée temporelle de la présentation d’une pièce. Après la période du théâtre de l’absurde dans les années 1960, j’ai écrit Salomé, mise en scène depuis une vingtaine d’années.

Il existe aussi des raisons objectives à la pénurie de l’écriture pour le théâtre, c’est le recul remarquable du niveau des performances théâtrales. N’oubliez pas que le théâtre est un genre littéraire très vivant, le dramaturge n’écrit pas pour que son livre soit rangé sur les étagères d’une bibliothèque, mais il vise la scène et les planches, en écrivant chaque acte. Si la scène n’est pas accueillante, l’écrivain s’oriente inconsciemment vers d’autres formes d’expression.

— Vous avez toujours exprimé votre sou­tien permanent aux droits des Palestiniens. Vos oeuvres Perles en couleurs, Wafaa Idriss ou Isadora et le bus en témoignent. Quelle est votre position aujourd’hui à l’ombre de ce qui se passe dans les territoires occupés ?

— Nous sommes arrivés à un stade où la Palestine n’est plus sur l’agenda mondial, elle n’est plus au centre des intérêts de la commu­nauté internationale. Cependant, vu les atroci­tés commises par Israël, sa manière de traiter les Palestiniens et les actes héroïques de ces derniers, la cause palestinienne est revenue sur la scène mondiale de manière plus impor­tante et plus juste.

Dans le passé, de nombreuses informations sur le conflit étaient inconnues de l’opinion publique à cause de la mainmise sioniste sur les médias. Aujourd’hui, avec les nouveaux moyens de communication, ce pouvoir a été anéanti. Avec un téléphone portable en main, tout citoyen peut filmer et transmettre les crimes et les agressions commis contre les Palestiniens, de manière instantanée. Pour ce, l’opinion publique internationale était plus compréhensive de ce qui se passe, au point de qualifier la politique israélienne — à juste titre— d’apartheid.

Au lieu d’être totalement négligée, la ques­tion palestinienne figure à nouveau en tête de liste des préoccupations mondiales. Les véri­tés sont plus claires et l’opinion publique est devenue plus consciente quant à la réalité du conflit arabo-israélien, à com­parer avec les dernières années.

— Quel est votre prochaine activité ou publication ?

— La deuxième partie de mes mémoires verra le jour à la fin du mois, à l’occasion du Salon international du livre, prévu au Caire. La première partie relate l’histoire politique, culturelle et sociale de l’Egypte entre 1945 et 1985, bien sûr de manière croisée avec mon histoire per­sonnelle. C’est-à-dire, elle évoque la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la mort du président Sadate.

Le second volume s’étend de 1982 à 2015, donc il traite de l’époque de Moubarak, la révolution, puis la période des Frères musul­mans jusqu’à l’écriture de la dernière Constitution, laquelle a placé l’Egypte au seuil d’une nouvelle ère. L’histoire n’est pas unique­ment politique, mais aussi socioculturelle. Je pars d’événements que j’ai vécus, dont j’ai été témoin, pour parler de tout le reste.

Ce 2e volume s’intitule Al-Asf wal Rayhan, c’est un titre tiré du Coran et assez difficile à traduire. Le premier terme, « Asf », veut dire quand on passe au crible les graines, les rési­dus et les graines ébossées s’en vont, empor­tées par le vent, comme les choses vaines de la vie. « Rayhan », le basilic, cette plante odo­rante, représente l’ensemble des principes qui, comme le parfum de la plante, persistent même après que la plante s’en va. Donc c’est la récolte de la vie, avec tout ce qu’elle pos­sède de précieux et de minable.

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