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Coronavirus : Comment l’industrie culturelle s’est adaptée

Yara Shahin, Mercredi, 12 août 2020

En ces temps de coronavirus, l’industrie culturelle et de divertissement s’est imposée comme une nécessité de la vie de tous les jours. Elle a sans doute connu de lourdes pertes éco­nomiques, mais a aussi évolué pour s’adapter aux circonstances.

Coronavirus : Comment l’industrie culturelle s’est adaptée

L’impactéconomique et financier du coronavirus s’est étendu de manière drastique au champ cultu­rel et ses multiples industries, y compris celles liées au divertisse­ment. Nous avons découvert par conséquent que le fait d’assister à des événements et des manifesta­tions culturelles est une véritable nécessité et non un simple loisir. Cela fait partie intégrante de notre envie de liberté, loin des contraintes du travail quotidien. Celui-ci s’est poursuivi d’une manière ou d’une autre, soit à distance, soit à travers le déplacement physique habituel. Par contre, les activités culturelles col­lectives ont été suspendues, au même titre que les activités sportives, reli­gieuses et les métiers de divertisse­ment.

Dès le début de la période de confinement et de distanciation sociale, les scènes de personnes fai­sant la queue devant les guichets des cinémas ou de l’Opéra, où de grandes affiches annonçaient un spectacle de ballet ou l’arrivée d’une troupe folk­lorique étrangère, ont totalement dis­paru. Il en est de même pour les groupes de jeunes qui se rassem­blaient sous le pont du 15 Mai à Zamalek, en attendant d’être admis au sein de l’espace culturel privé de Saqiet Al-Sawi. Bref, tous ces plans de sortie n’étaient plus envisa­geables, tout d’un coup. Les salles de spectacle sont devenues vides, les enseignes lumineuses ont été éteintes ; et Le Caire n’est plus la ville grouillante que l’on connaissait, mais une cité silencieuse, plongée dans la désolation.

Coronavirus : Comment l’industrie culturelle s’est adaptée

Le public a commencé à se dire que c’est peut-être le moment de se reposer au lieu de courir dans tous les sens pour assister à tel ou tel événement. Quand la grosse machine de production et de consommation s’est arrêtée subitement, on a été surpris que ce n’était pas la fin du monde et que la terre n’a pas été envahie par des extraterrestres ou des animaux sauvages, comme dans les films de science-fiction. Au contraire, les artistes ont profité de la crise pour diffuser leurs productions sur les plateformes numériques et le public a essayé de parcourir ce qu’il avait raté antérieurement. Les diverses entités culturelles, en Egypte comme ailleurs, ont cherché à combler le vide par un flux énorme d’événements en ligne. Certains grands théâtres, tels le Bolchoï ou le Royal National Theatre, ont même diffusé gratuitement en streaming certains de leurs meilleurs spec­tacles, à travers YouTube ou autres chaînes.

Activités en ligne

Ces institutions culturelles n’ont pas réagi uniquement par responsa­bilité sociale, afin d’encourager les gens à rester chez soi, mais aussi par souci de survie. Lorsqu’un festival de la taille de Cannes crée une plate­forme virtuelle pour diffuser ses acti­vités, il souligne aussi une volonté d’exister. Les organisateurs de ce genre d’événements ont des calculs très compliqués, ils ont peut-être plus de temps pour prendre leurs décisions. Et ce, contrairement aux acteurs indépendants ou aux repré­sentants des entités alternatives qui ont été plus rapides à mettre en ligne leurs contenus ou leurs productions. Le sentiment de responsabilité sociale a vite pris le dessus les inci­tant au partage pour aider autrui à mieux supporter la pandémie.

Les agents de marketing et les chargés de communication au sein de ces institutions ont par la suite profité de l’engouement pour les événements en ligne, afin de com­mercialiser leur marchandise et sou­tenir leur image de marque, avec l’espoir de réduire les pertes, à un moment où les gouvernements ont les yeux rivés plutôt sur le secteur sanitaire.

Les administrateurs angoissaient à cause des pertes dues à la fermeture des établissements culturels, alors que les artistes craignaient l’effet de la boulimie du partage en ligne. Ces derniers se plaignaient davantage car leurs créations n’étaient pas pré­sentées dans les conditions les plus favorables, car données en dehors de leur milieu et de leur contexte habi­tuels. Regarder un film sur un grand écran, dans une salle de cinéma, ce n’est forcément pas la même chose que le voir sur son ordinateur ou sur son téléphone portable. Ce n’est plus la même qualité de son, d’image, etc. La réception collective attribue sans doute à l’oeuvre artis­tique une autre dimension ainsi qu’une interaction sur le vif, qui ne peut être atteinte sur Internet, déplo­rent-ils. Plus encore, ils ont peur que les spectateurs prennent l’habitude de les suivre, en étant allongés sur leur canapé, et de zapper quand bon leur semble. Bref, que le rituel même de la réception change et soit altéré définitivement. De plus, les « récepteurs » sont envahis de toutes parts, ils sont pris d’assaut par les webinaires et les projections artistiques en ligne. Ils accourent pour ne rien rater et ne savent plus où donner de la tête, d’où une ten­sion grandissante et une vive angoisse qui s’ajoutent à celles pro­voquées déjà par la pandémie et la peur de mourir ou d’être contaminé par le virus. Le sentiment d’isola­tion s’est accru notamment chez ceux qui ont l’habitude de fréquen­ter les salles de cinéma ou de théâtre. Ils sont pris dans un tourbillon de nostalgie et rêvent d’aller à la ren­contre de leurs amis pour assister ensemble à tel ou tel concert.

Netflix et ses concurrents

Le seul gagnant de cette situation sont les plateformes de streaming qui se développent à une vitesse incroyable, tels Netflix et ses concur­rents. En avril dernier, Netflix a attiré 16 millions de nouveaux abon­nés de par le monde, à cause du confinement. Le nombre d’abonnés, en dehors des Etats-Unis, a nette­ment augmenté, notamment en Europe et au Moyen-Orient. Parmi ses concurrents nous comptons Amazon Prime Video et Disney+. Or, Netflix reste le leader mondial de la SVOD (vidéo à la demande par abonnement). Il se démarque de ses concurrents principalement grâce à la création de ses propres contenus, dont notamment des concours télé­visés, des reality shows et un grand nombre de séries originales, surtout des drames policiers au rythme assez soutenu. Le contenu est, en effet, assez varié sur les plans lin­guistique et culturel, puisqu’il y a des programmes en espagnol, en français, en arabe, en turc et en hébreu. Les contenus en anglais sont également sous-titrés dans ses lan­gues. Vu le nombre accru d’abon­nés, les actions de Netflix en Bourse montent en flèche, mais les respon­sables de la plateforme se rendent parfaitement compte qu’il s’agit d’un contexte exceptionnel dû à la pandémie. Ils sont également tout à fait conscients du fait que le défi primordial des industries de diver­tissement réside dans la fermeture des lieux de tournage en Europe et aux Etats-Unis.

Ce problème a été vivement res­senti en Egypte, lors du dernier Ramadan, la haute saison des drames télévisés. Les métiers qui en décou­lent ont perdu des millions de L.E. D’où la décision de ne pas arrêter le travail, quelles que soient les cir­constances, pour éviter la stagnation totale. Les plateformes de streaming locales ou arabes, telles Watch it et Shahid, ont réussi à attirer un plus grand nombre d’abonnés, pour toutes les raisons susmentionnées, mais aussi car les spectateurs cherchent à éviter les longues pages publici­taires.

Avec le temps, l’effet de l’isole­ment s’est fait ressentir davantage. Les gens se tournent plus vers Netflix et ses concurrents, afin de se divertir. Pour combler ce besoin, Netflix a alors programmé une belle sélection de pièces de théâtre et de comédies égyptiennes, très populaires dans le monde arabe, à l’occasion de la fête du petit Baïram. Les nouvelles géné­rations ont pu ainsi redécouvrir des oeuvres qui ont marqué les esprits et qui sont devenues des références en matière d’humour pour les parents. Ceux-ci connaissent les dialogues de ces comédies par coeur ; les parents se sont rafraîchi la mémoire en sui­vant les oeuvres de leur jeunesse. Et pour ceux qui ne parviennent pas à suivre le dialecte égyptien, le sous-titrage en arabe classique leur a per­mis de mieux saisir les blagues et les effets humoristiques. L’aspect nos­talgique s’est poursuivi après le Ramadan, avec la diffusion de quelques anciens feuilletons égyp­tiens à succès, tel Lanne Aïche fi Guelbab Abi (je ne vivrais pas sous la férule de mon père).

L’application TikTok

Coronavirus : Comment l’industrie culturelle s’est adaptée

Etant donné que nous sommes des êtres vivants qui aimons communi­quer, nous avons essayé de compenser l’isolement par l’usage des réseaux sociaux et des applications en vogue, telle TikTok. Selon l’Autorité de régu­lation des télécommunications, l’usage de Facebook a augmenté de 44 %, Instagram de 12 %, TikTok de 24 % et YouTube de 115 %. Les Egyptiens ont découvert TikTok, l’an dernier, mais ce sont essentiellement les adolescents qui l’utilisent. Cette dernière application a eu plusieurs échos et a soulevé une polémique autour de son effet social. Plusieurs jeunes filles ont été accusées de porter atteinte à la pudeur et aux traditions égyptiennes. Cependant, l’application continue à connaître un engouement auprès des jeunes, car contrairement à pas mal d’autres réseaux sociaux, elle n’est pas un espace pour échanger les opinions ou débattre des faits cou­rants. Elle permet plutôt de créer de courtes vidéos plaisantes, et par la suite, de rentrer en contact avec les autres par l’intermédiaire du son et de l’image en quelque 20 secondes. L’utilisateur de l’application devient donc la star d’un soir. Il crée le contenu, le diffuse, sans avoir besoin d’intermédiaires, et récolte tout de suite l’acclamation. Il est libre de rejouer ses scènes de films ou de pièces de théâtre préférés, dévoilant ses talents méconnus. Le consomma­teur des biens artistiques et culturels en devient le producteur. Il décroche les rires d’un large public, et entre en interaction avec les autres, en ces temps d’isolement. Durant le confi­nement, on a ressenti l’importance du rire, de la légèreté, mais aussi celle des produits culturels tout court. Ceux-ci se sont imposés davantage comme un besoin impérieux ; ce n’est pas du luxe.

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