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Le temple Mahfouz

Sayed Mahmoud, Dimanche, 08 septembre 2019

Treize ans se sont écoulés depuis la disparition du Nobel égyptien Naguib Mahfouz, le 30 août 2006. Un musée consacré à l’écrivain vient d’ouvrir dans le Vieux Caire, son quartier de prédilection. Le designer du lieu livre ses impressions à Al-Ahram Hebdo.

Le temple Mahfouz

Si la naissance du grand écri­vain Naguib Mahfouz, le 11 décembre 1911, a été difficile, la naissance de son musée l’a été tout autant. Car celui-ci n’a vu le jour que quelque 12 ans après l’annonce du ministère de la Culture de son intention de créer un musée pour perpétuer la mémoire de Mahfouz, quelques jours seule­ment après sa mort, le 30 août 2006, à l’âge de 95 ans.

Cela étant, le musée du seul écri­vain arabe lauréat du prix Nobel de littérature a enfin été inauguré le 14 juillet dernier, à tékiyet Aboul-Dahab, dans le Vieux Caire fatimide. Le ministère de la Culture avait confié à l’architecte Karim Al-Chabouri la mission d’effectuer les travaux nécessaires pour trans­former ce complexe caritatif, bâti par l’émir mamelouk Mohamad Aboul-Dahab en 1774 afin de servir les pauvres, en un musée digne du Nobel égyptien. Il s’agit en fait du même architecte, chargé deux ans auparavant de la conception du musée dédié au médecin Naguib pacha Mahfouz, au sein de l’hôpital de Qasr Al-Aïni au Caire. Un choix fortuit ? Ce pionnier de la gynécolo­gie moderne en Egypte a été celui qui a opéré la mère de l’écrivain Mahfouz, au début du siècle dernier, ayant eu des difficultés à lui donner vie.

Ce n’est donc pas un hasard si les deux personnalités portent le même nom. Car le père de l’écrivain avait donné à son fils le nom de Naguib Mahfouz pacha, le gynécologue, en signe de reconnaissance. C’est ainsi que Karim Al-Chabouri a eu l’occa­sion d’éterniser la mémoire des deux Mahfouz. L’architecte, qui a égale­ment transformé l’ancienne villa d’Héliopolis habitée autrefois par la famille du président Gamal Abdel-Nasser en un musée qui lui est dédié, avoue avoir relevé un véritable défi pour concevoir les musées des deux Naguib Mahfouz. « Le plus difficile était celui de l’écrivain. Pour le musée du médecin, je suis parti de zéro, avec à ma disposition un bud­get illimité, offert par la famille du gynécologue, laquelle a entièrement pris en charge le financement, tandis que la faculté de médecine de Qasr Al-Aïni s’est contentée de la supervi­sion technique et administrative. Or, dans le cas du musée de l’écrivain, le ministère de la Culture m’a demandé de superviser les travaux du musée, quatre mois seulement avant son inauguration. Donc, beau­coup de choses étaient déjà mises en place, notamment en ce qui concerne l’aspect architectural », explique Karim Al-Chabouri.

Et d’ajouter: « J’avais moins de liberté en ce qui concerne le musée de Mahfouz, le Nobel litté­raire qui bénéficie quand même d’une grande popu­larité et d’une renommée mondiale. De plus, le fac­teur temps était une source de pression. Raison pour laquelle, je ne pouvais que travailler sur ce qui était déjà réalisé, car il était difficile de tout annuler et de recommencer à zéro. Cependant, j’ai réussi à augmenter l’espace d’ex­position ainsi que la sur­face réservée aux salles d’exposition. De quoi me permettre d’ajouter les objets exposés en vitrines ainsi que les meubles ».

La mission de l’architecte consis­tait également à conférer une valeur esthétique aux objets offerts par la famille de Mahfouz, pour la plupart des objets ordinaires qui ont acquis leur valeur de leur propriétaire. Malgré leur importance historique, le nombre de ces objets est restreint. Oum Kalsoum, la fille de Naguib Mahfouz, avait fait cadeau au musée de quelques dizaines de photogra­phies de l’écrivain ainsi que des médailles et des décorations, sa pro­thèse auditive, sa montre métal­lique, son fume-cigarette ainsi que plusieurs autres objets personnels. Elle a confirmé au journal Independant Arabia son entière satisfaction du niveau du musée et de la méthode d’exposition. « L’emplacement historique est tout à fait approprié. Les objets sont exposés de manière attrayante », a-t-elle déclaré dans la presse. De même, elle s’est montrée tout à fait compréhensive quant au retard pris dans l’ouverture du musée, vu l’ins­tabilité politique qui a suivi la Révolution du 25 Janvier 2011. Elle a également insisté sur le fait qu’elle n’avait ni suivi les travaux du musée, ni révisé les objets exposés, avant de recevoir l’invitation pour l’inauguration. Enfin, elle a exprimé son espoir que le musée contribue à attirer davantage de lecteurs, de par le monde, vers la littérature de Mahfouz, et à mieux les introduire à son monde.

Un havre de paix

Avant de commencer à travailler sur le musée, Karim Al-Chabouri a relu quelques ouvrages de l’écrivain, pour lequel il voue une grande admi­ration, tels Echos d’une autobiogra­phie et Rêves de la convalescence. Ceux-ci représentent, pour lui, l’es­sence de la vision artistique et humaine de l’écrivain, rédigée dans un style littéraire très contemporain. Al-Chabouri a opté pour un style d’exposition qui est abordable pour le visiteur ordinaire, et non seulement pour les spécialistes ou les lec­teurs habitués à l’uni­vers de l’auteur des Harafich (la chanson des gueux).

Le musée a été ins­tallé à tékiyet Aboul-Dahab, en face de la mosquée d’Al-Azhar, à moins d’un kilomètre de la maison où est né le grand écrivain dans le quartier de Gamaliya. « La tékiya est le meilleur empla­cement, comparé aux autres lieux proposés par le ministère des Antiquités. Mahfouz avait d’ailleurs mentionné, dans un film documentaire, la valeur symbolique de la tékiya comme des­tination des voyageurs, des soufis mystiques, des derviches et des étu­diants pour échapper aux conflits de la ruelle, qui représente dans ses oeuvres un espace symbolique de toute l’humanité », explique Al-Chabouri. Ses affaires person­nelles reposent ainsi de nos jours dans cet endroit qu’il considérait comme un havre de paix, un de ses lieux de refuge favoris.

D’une salle à l’autre

Le temple Mahfouz
Mahfouz est le seul écrivain arabe à avoir reçu le prix Nobel.

Les cinq salles d’exposition répar­ties sur trois étages nous aident à passer en revue les différentes phases de la vie de Mahfouz, depuis sa nais­sance jusqu’à sa mort. La première est la salle de la Hara (la ruelle). D’une superficie de 27 m2, elle est considé­rée comme une salle préliminaire, mettant en relief la relation de l’écri­vain avec la ruelle égyptienne, le microcosme de Mahfouz où se dérou­lent la plupart de ses chefs-d’oeuvre. Pour sélectionner les divers éléments exposés dans cette salle, l’architecte s’est basé sur un vieux documentaire réalisé par Samiha Al-Ghoneimi, où Mahfouz apparaît comme le narrateur de sa propre biographie. Dans cette salle, on projette donc un film sur le rapport de Mahfouz à la ruelle égyp­tienne, comme principale source d’inspiration.

La deuxième salle du musée porte le nom de Asdä Al-Sira (échos d’une autobiographie). Cette salle de 45 m2 expose le parcours de Mahfouz à travers les avis des différents cri­tiques littéraires qui ont suivi de près ses chefs-d’oeuvre. la salle, sont exposées ses affaires personnelles, en lien avec la routine de vie qu’il s’était imposée depuis tou­jours : ses habitudes fixes d’écriture, ses tournées dans les cafés populaires, de photos de personnes qui l’ont accompagné dans son parcours, etc. Parmi ces affaires personnelles ex posées, figurent ses paires de lunettes, son briquet, son filtre à cigarette, ses chapeaux, chaussures et quelques vête­ments.

Quant à la troisième salle, Al-Chabouri l’a intitulée Tagalliat (illuminations), d’après le titre de l’ou­vrage de l’écrivain Gamal Al-Ghitani, l’un des proches de Mahfouz, qui a été parmi les premiers à faire appel à la création d’un musée Mahfouz.

Dans cette salle sont exposées des images projetées dans le cadre de l’émission télévisée, Tagalliat Masriya (illuminations égyptiennes), présentée il y a quelques années par Gamal Al-Ghitani. Ce dernier avait effectué plusieurs visites guidées dans les lieux favoris de Mahfouz, là où s’est dérou­lée la majorité de ses romans.

La quatrième salle dédiée au cinéma. Des extraits de films adaptés, depuis les oeuvres de Mahfouz, y sont diffu­sés, avec une panoplie de stars de cinéma rendus immortels par leurs rôles. On y trouve également le bureau de l’écrivain, là il se posait pour écrire, à des horaires précis et à un rythme régulier.

La cinquième salle est réservée à la période de Nobel. Au beau milieu de la salle est placée une vitrine, où il y a une copie conforme de la médaille décernée à l’écrivain en 1988. Elle est entourée par une panoplie de photos, représentant les autres écrivains qui ont obtenu le prix Nobel de littérature, depuis 117 ans, date de la fondation du prix Nobel en 1901. Est également exposé le discours de Mahfouz, pro­noncé par l’écrivain Mohamed Salmawy, lors de la cérémonie de la remise de prix à Oslo.

Deux autres salles intitulées Ahlam Al-Rahil (rêves du départ) et Rissaa (élégie) relatent, en se basant sur un travail d’archives, les détails de la ten­tative d’assassinat de Mahfouz, à l’arme blanche, perpétrée par deux jeunes islamistes en octobre 1994. Ensuite, on évoque ici ses essais d’écri­ture, au lendemain de cet incident fâcheux auquel il a échappé miraculeu­sement, mais qui le laissa paralysé de sa main droite. Ne pouvant plus écrire, il dicta alors ses textes.

On y passe aussi en revue les affaires que l’écrivain employait pendant les dernières années de sa vie, comme la lentille qu’il utilisait pour lire, sa pro­thèse auditive, etc. On découvre aussi, au fur et à mesure, les diverses fonc­tions qu’il a occupé, au sein du minis­tère des Waqfs (biens de main morte), au quotidien d’Al-Ahram, et ainsi de suite. Et enfin, sont exposés les tro­phées et les certificats d’honneur qui lui ont été décernés par des institutions locales et internationales.

Une bibliothèque bien garnie

Le temple Mahfouz
Le musée est installé à tékiyet Aboul-Dahab, dans le vieux Caire.

L’architecte Karim Al-Chabouri a précisé que le ministère des Antiquités a donné son approbation pour organi­ser des activités culturelles au troi­sième étage du bâtiment historique, qui abritera également une bibliothèque spécialisée. Ces manifestations cultu­relles seront supervisées par l’écrivain Youssef Al-Qaïd, un proche de Mahfouz, actuellement membre du parlement égyptien. Un coin café est installé, toujours au troisième étage, faisant allusion au rapport de Mahfouz avec les cafés, où il se réunissait régu­lièrement avec ses amis et ses dis­ciples.

D’ailleurs, le ministère égyptien de la Culture a annoncé qu’il va désor­mais octroyer cinq bourses d’écriture, catégories : scénario, roman et nou­velle, au profit de nouveaux talents.

Les livres vendus sur place seront disponibles à des prix réduits: une remise de 50% sur les publications du ministère de la Culture et 25% pour les ouvrages des autres maisons d’édition.

« Je suis satisfait du résultat final. Il est difficile de plaire à tout le monde, mais je trouve que l’espace du musée est doté d’une grande flexibilité qui permet de faire des modifications en permanence », affirme l’architecte .

L’architecte en quelques lignes
Karim Al-Chabouri est un architecte égyptien et concep­teur-designer d’expositions muséales. Diplômé en 2001 en architecture, à l’Université du 6 Octobre, il a obtenu un master de muséographie à l’Académie Adriana (Rome) en 2007. Entre 2005 et 2009, il a participé au design de nom­breux musées égyptiens, comme la modernisation du musée copte, le musée de la diversité biologique à Charm Al-Cheikh, le musée de la poste égyptienne, outre l’expo­sition des verreries islamiques au musée de l’art isla­mique au Qatar en 2012. Il a également participé aux travaux de restauration du tombeau Toutankhamon, entre 2010 et 2016. Durant cette dernière année, a été inauguré le musée Nasser, dont il a signé la conceptualisation .

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