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Le monde arabe d’un diplomate nostalgique

Racha Darwich, Mardi, 26 mars 2019

Dans son livre Entre deux rives, Gilles Gauthier nous transporte dans une dizaine de pays arabes. Il a suivi leurs évolutions au travers de sa carrière de diplomate et de conseiller culturel. Il témoigne d’un monde qui le passionne, mais qui parfois n’existe plus.

Le monde arabe d’un diplomate nostalgique

Gilles Gauthier découvre le monde arabe à l’âge de 18 ans. Mais c’est trois ans plus tard que commence vraiment son aventure, qui s’étendra sur un demi-siècle, lorsqu’il s’embarque pour l’Algérie, pour passer quelques années de coopération, en tant qu’enseignant. A travers son travail au lycée de Batna ou à la Chambre de com­merce, à travers ses amitiés avec Nathalie Jossé ou le poète Jean Sénac, il découvre une Algérie qui, à peine libérée de l’occupation française, se bâtis­sait et « commençait à reprendre des couleurs ».

Après un an passé en France, il est de retour à nouveau dans le monde arabe, au Maroc, où il passera encore quelques années comme coopérant avant d’en être expulsé. En effet, il noue des amitiés avec des Sahraouis du Front Polisario, et milite pour leur cause. De quoi lui valoir une semaine de détention dans la terrible prison du Derb Moulay Chérif à Rabat.

Nous sommes en 1977 et la monarchie mène de larges cam­pagnes d’incarcération contre les Marocains d’extrême gauche, soumis aux pires tortures et jetés en prison pendant de longues années. En effet, ce n’est qu’en 1991 que son ami Abraham Serfaty fut libéré, le bagne de Tazmamart fermé, et les derniers détenus rendus à la lumière du soleil.

Au cours de ses longs séjours dans les dif­férents pays, Gilles Gauthier est le témoin d’un monde arabe qui n’est plus le même aujourd’hui. Au cours d’un tour en Médi­terranée, en été 1975, durant lequel il visite Istanbul, Beyrouth, Damas, Amman, Pétra, Alexandrie, Le Caire, Tripoli, Tunis et Alger, il a la chance de passer par des endroits qui n’existent plus aujourd’hui, comme le pont flottant sur la Corne d’Or à Istanbul ou en­core la place des Canons et les ruelles du souk de Beyrouth, dont il ne retrouvera que les dé­combres, quelques années plus tard.

En poste à Bagdad, il prend plaisir à décrire le jardin qu’il fallait traverser pour atteindre le Tigre, à partir de l’ambassade de France. « Un jardin qu’on inondait, le soir, pour rendre vie à ses pelouses et à ses roses ». Ces jardins, eux aussi, n’existent plus. Trop luxu­riants, ils avaient été jugés dangereux pour la Zone verte située juste en face. Il avait aussi pu contempler en Iraq ces admirables marais créés par le confluent de ses deux grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate. Les marais qui avaient été « plus tard asséchés par le tyran pour en punir la population rebelle ». A Bahreïn, il avait aussi pris l’habitude de retrouver le soir des amis sous une grande tente qui « a fait place aujourd’hui à un im­meuble ».

Pour mieux raconter le présent, Gilles Gauthier remonte bien souvent dans le temps. C’est ainsi qu’il relate l’histoire de l’Iraq depuis que « l’homme a pour la première fois gra­vé ses pensées dans la pierre », dans la vallée d’entre les deux fleuves, pour arriver au coup d’Etat de 1968 qui amènera le Baas au pou­voir avec le général Ahmed Hassan El Bakr à la tête du pays, avec son gendre Saddam Hus­sein à ses côtés, en 1968.

Gauthier présente une biographie détaillée de ce dernier et raconte l’histoire de la guerre iraqo-iranienne, expliquant que les Iraqiens pensaient que « les Iraniens n’étaient pas leurs ennemis, mais leurs voisins. Ils avaient toujours vécu ensemble avant que Saddam ne chasse un million d’entre eux ». Comme il a fait la biographie de Saddam Hussein, il pré­sente aussi celle de Rafic Hariri, en évoquant sa famille, l’origine de sa fortune, du moins l’histoire la plus vraisemblable, ses débuts politiques, sa fondation « qui avait pour but de préparer l’avenir », ses idées, son ascen­sion au pouvoir.

Le Liban et la Syrie

En s’interrogeant sur comment les chiites et les sunnites vivant dans un pays aussi pe­tit que Bahreïn « pouvaient s’ignorer à ce point », il revient sur l’histoire du chiisme expliquant les croyances chiites et décrivant, avec une grande précision, les célébrations de l’Achoura et des premiers jours du mois du Moharram, où « les musulmans chiites com­mémorent l’assassinat de l’imam Hussein ».

Il raconte aussi comment la guerre civile a éclaté au Liban « un 13 avril 1975 », en reve­nant sur la relation entre le Liban et la Syrie. La Syrie, qui « considérait le Liban comme une partie de son territoire, dépecée par le mandat français qui avait proclamé le Grand Liban en 1920 ». Il raconte dans les moindres détails les répercussions de l’opération mi­litaire de grande ampleur lancée par Israël contre le Sud-Liban, ainsi que les réactions de la France qui avait aussitôt dépêché le ministre Hervé de Charrette au Liban, et des Etats-Unis, qui avaient eux aussi envoyé leur représentant sur le terrain.

Gilles Gauthier ne raconte pas seulement l’histoire du monde arabe. Il a lui-même pris part à l’histoire de cette partie du monde. Durant les pourparlers qui ont abouti à « un accord qui, quatre ans plus tard, en mai 2000, serait la cause du départ des troupes » israéliennes du Liban, Gilles Gauthier était chargé par son ambassadeur « de maintenir le contact avec ce qui était déjà l'une des plus importantes forces du pays », le Hezbollah. Et lorsque s’est déclenchée la révolution du 25 janvier 2011 en Egypte, il a marché au milieu de la foule vers la place Tahrir. Une révolution dont il est convaincu que « les graines aujourd’hui enfouies germeront ».

Entre deux rives, de Gilles Gauthier, Editions JC Lattès, 2018, PP. 400.

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