Le roman L’Eléphant bleu a également connu un grand succès au cinéma.
Au lendemain de la dernière édition du Salon international du livre du Caire, un livre est clairement sorti du lot. Le roman Nader Fouda-Qabl Al-Bidaya Al-Waqad de l’écrivain Ahmad Younès. Environ 15 000 exemplaires de ce livre qui nous plonge dans le monde des djinns ont été vendus. La maison d’édition Noun, qui a publié ce roman, prépare actuellement la trentième édition. Les chiffres des ventes du salon révèlent de manière générale un véritable engouement pour les romans d’horreur et de surnaturel.
Mohamad Sadeq, directeur de marketing chez Virgin Megastore, estime que les taux de vente de ce genre de littérature ont atteint environ 35 % des ventes totales du magasin. « Un rayon entier est maintenant consacré à ce genre de livres », explique Mohamad Sadeq, près des étagères réservées aux contes d’horreur et aux histoires surnaturelles.
L’intérêt pour ces livres a commencé en 1992, avec les écrits d’Ahmad Khaled Tawfiq qui s’est éteint l’an dernier. Il était l’auteur d’une série de romans de poche intitulé Surnaturel. Son héros, le vieux médecin Réfaat Ismaïl, était pris dans des aventures surnaturelles, affrontant des extraterrestres. Cette série a pris fin en 2014, mais le goût pour ces histoires avait pris et s’est poursuivi, avec d’autres oeuvres, plus ou moins de la même veine.
L’effet de mode s’est étendu aux adultes, et ne se limite plus aux jeunes lecteurs comme auparavant, précisent les observateurs. Pour Mohamad Moustapha, directeur de vente à la librairie Alef, les lecteurs qui ont été pris par les romans d’Ahmad Khaled Tawfiq ont continué à s’éprendre d’aventures et sont allés fouiller dans les oeuvres d’autres auteurs, à la recherche d’encore plus de suspens et de rebondissements.
Le vrai boom du genre est arrivé avec le succès des romans d’Ahmad Mourad : Vertigo, L’Eléphant bleu et la Poussière du Diamant. Les événements de ces romans se déroulent dans des univers tendus, parfois surnaturels comme L’Eléphant bleu, adapté au cinéma.
Echapper à la réalité
Pour le directeur de vente de la Librairie Alef, les raisons derrière le succès de ce genre de littérature ont une explication. « Les remous et l’agitation politiques qu’a connus l’Egypte depuis janvier 2011 ont poussé les lecteurs à chercher refuge dans ce genre de littérature, loin des écrits traditionnels ». Quelques écrivains relativement jeunes sont devenus des spécialistes du genre, jugé comme populaire, à la portée de tous.
L’écrivain Hassan Al-Guindi, qui s’est démarqué en signant une trilogie au début de sa carrière, a choisi de raconter l’histoire d’une guerre fratricide dans une communauté de djinns. Ceux-ci demandent l’aide des humains pour trancher leur conflit. L’auteur a d’abord commencé par publier sa trilogie sur Internet. Opération gagnante, car très vite, l’histoire est suivie par 100 000 lecteurs en ligne. Ce succès l’a poussé alors à publier sa trilogie sur papier, une édition qui a aussi connu une belle réussite.
L’écrivain Amr Al-Ménoufi est lui aussi une figure emblématique de ce genre d’écriture. « Il n’y a aucun problème à fournir aux lecteurs des moments qui rompent avec l’ordinaire. Il y a aussi des encyclopédies et des livres sérieux qui sont là pour combler ceux qui veulent du sérieux », précise Amr Al-Ménoufi, qui s’est bâti une réputation grâce à son roman Azzif qui a figuré pendant des mois sur la liste des bestsellers. Azzif a emprunté son titre à un fameux livre de sorcellerie. Il est à la fois un roman de suspens et de surnaturel, racontant l’histoire d’un adolescent, orphelin, qui est parti vivre avec son grand-père, un vilain sorcier. Celui-ci est réputé pour le rapport étroit qu’il maintient avec les djinns. Mais les esprits vont leur jouer de mauvais tours, menaçant le petit-fils du sorcier et ses amis.
L’auteur a déclaré à maintes reprises qu’il voulait évoquer à travers ce roman les vices des êtres humains.
Une survie ?
Le critique littéraire Mohamad Badawi, rédacteur en chef de la revue Fossoul Naqdiya (critiques), défend ce genre que d’aucuns jugent « moins noble » : « Il ne faut pas oublier que pas mal de nos grands auteurs ont commencé leur carrière en lisant ce genre de littérature. Ce fut le cas par exemple de Naguib Mahfouz ». Et d’ajouter : « Il est encore trop tôt pour dire si ce genre survivra ou non, en dépit du succès actuel. Tout dépend de la persistance des facteurs qui poussent les gens à chercher refuge dans ce type d’écriture ». Cet avis est partagé par la sociologue Chahida Al-Baz, qui compare ce genre d’écriture à une drogue. « Il permet aux gens de s’évader vers d’autres univers », affirme-t-elle, ajoutant que cet engouement est dû non seulement à la difficulté de la réalité, mais aussi à la pauvreté et à l’absence d’une véritable élite intellectuelle capable d’attirer les gens de par leurs idées. « Ce phénomène arrive toujours dans les sociétés qui n’ont pas de projets politiques et intellectuels bien clairs et définis », réitère Al-Baz, avant de conclure que ce phénomène ne disparaîtra pas complètement : « N’oublions pas que la mentalité égyptienne et arabe croit en l’existence des djinns et des créatures surnaturelles. Les gens répètent que ce genre de choses est mentionné dans le Coran. Plusieurs textes littéraires comme Les Mille et une nuits parlent également de ce genre de thèmes. Donc il continuera d’exister, mais ne sera peut-être pas toujours dominant comme maintenant ».
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