Il a suffi qu’elle apprenne la langue arabe pour que sa vie soit bouleversée de fond en comble. La chercheuse italienne Elisa Ferrero est une passionnée de l’arabe et de l’Egypte en particulier. Elle enseigne la langue et la littérature arabes à l’Université catholique de Milan. Après l’obtention de son doctorat d’astronomie dans une université de Munich, puis son travail dans la ville allemande de Heidelberg, Ferrero se rend compte que beaucoup de noms d’étoiles viennent de l’arabe, ce qui a créé chez elle un grand désir d’apprendre cette langue.
Elle décide donc de suivre un programme d’études à l’un des instituts de la papauté catholique, bien qu’elle soit protestante. Pendant son séjour au Caire, elle a pleinement vécu la réalité sociopolitique égyptienne, a commencé à pratiquer la langue arabe et a fini par écrire deux livres sur l’Egypte ainsi que de nombreux articles sur ce qui s’y passe, en plus de la traduction du roman de l’Egyptien Montasser Al-Qaffache Ane Tara Al-Ane (le fait de voir maintenant) vers l’italien.
Dans les coulisses de la Rencontre de Rimini (Italie) sur l’amitié entre les peuples, où Al-Ahram Hebdo l’a rencontrée, Ferrero était chargée de l’interprétation de l’arabe vers l’italien et vice-versa. En plus de son niveau d’arabe impeccable, elle est dotée d’une compréhension profonde de la nature de la scène politique et sociale en Egypte.
Ses deux livres sur l’Egypte s’intitulent Cristiani E Musulmani, Una sola mano (chrétiens et musulmans, une seule main), inspiré par les slogans de janvier 2011, mais écrit dans une perspective sociologique, et Kushari : L’Egitto Capovolto. La Rivoluzione Incompiuta Di Piazza Tahrir (kochari : aperçu de l’Egypte. La révolution inachevée de la place Tahrir).
Le premier ouvrage couvre une année d’événements, celle juste avant l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir. Ferrero ne manque pas d’y prévoir un soulèvement populaire contre les Frères et affirme : « Ce qui s’est passé le 30 juin est une émeute populaire appuyée par l’armée ». Ce constat était, certes, difficile à comprendre par les cercles occidentaux, dans le contexte de la relation du peuple égyptien avec l’institution de l’armée, une institution qui représentait, dans le temps, le peuple face au pouvoir colonial.
« J’ai lutté pour porter haut ma voix et expliquer la chute des Frères », insiste Elisa Ferrero, « je disais comment peut-on voir le peuple égyptien dans la rue et en même temps considérer et appeler ce qui est arrivé un coup d’Etat ! ».
Et d’ajouter : « L’Occident affectionne l’image envoyée par les Frères à l’étranger et ne sait pas tenir compte de la réalité profonde des Frères, une réalité en crise ». Dans ce même livre, Elisa Ferrero a mis en garde contre le fait de relire la période du règne des Frères musulmans comme une expérience démocratique, ou même en tant que modèle d’une solution islamique, et ce, parce que le mouvement dans sa structure interne n’a jamais été démocratique et était incapable de respecter la diversité ou même de la comprendre.
Diversité idéologique et culturelle
L’an dernier, Elisa Ferrero a sorti son livre Kushari, qui a attiré l’attention des médias italiens pour son écriture simple et sa réussite à capter les événements vécus en Egypte après la révolution du 25 janvier 2011. L’auteure affirme que son séjour de trois ans en Egypte lui a permis de comprendre la complexité de la situation. Cette connaissance l’a menée à se forger sa propre idée concernant l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir après le 25 janvier, soutenant que 2011 ne signifiait pas de victoire pour la démocratie, mais, au contraire, une catastrophe que le peuple égyptien a réussi à stopper.
Quant au titre du livre, du nom du plat populaire typiquement égyptien, Ferrero soutient que la spécificité de l’Egypte provient de ce mélange pareil au kochari, qui, en mélangeant des ingrédients apparemment inconciliables, donne comme résultat un plat délicieux.
« Cette diversité idéologique et culturelle, cette différence qui atteint la discordance, porte en elle-même la capacité de coexister, de finir par une saveur unique qui lui est propre et qui se cuit au doux feu de l’Histoire », dit-elle. Loin de classer son ouvrage sous un label précis, la chercheuse a voulu présenter un livre simple, adressé au lecteur occidental, pour aider celui-ci à mieux comprendre l’Egypte. « Je m’appuie surtout sur des histoires simples tirées de mon expérience au quotidien, de notes prises ou de réponses aux questions de mes amis dans leurs correspondances. Et sur le fait d’avoir suivi les événements avec précision », ajoute Ferrero.
A travers ses écrits, nous pouvons voir le changement que les événements de janvier 2011 et du 30 juin 2013 ont provoqué, non seulement sur le plan politique, mais aussi dans les esprits, « parce que la révolution est pleinement au centre, même si elle paraît en arrière-plan des événements, et par conséquent, elle est le point de départ du changement qui a eu lieu surtout dans les esprits, beaucoup plus que sur le plan politique », affirme l’auteure.
Le livre d’Elisa Ferrero, elle l’avoue, est écrit sans objectivité, puisqu’elle est tombée amoureuse du pays. Loin du politique, elle insiste sur le fait que ce sont des points de vue personnels. N’empêche que son livre donne justement le ton de la jeunesse de l’Egypte. Il parie sur la jeune génération, qui a vécu deux moments-clés de changement qui lui ont permis d’avoir sa perception du monde, et affirme qu’il est important de les écouter .
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