En visite au Caire, Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe (IMA), accompagné de ses deux conseillers, Claude Mollard et Gilles Gauthier, compagnons des années Mitterrand, a annoncé en grande pompe, la tenue de deux prochaines expositions, dans les locaux de l’IMA, surplombant la Seine. La première, prévue en septembre prochain, dresse les 2 000 ans d’histoire des chrétiens d’Orient. Et la deuxième, programmée au mois de mars 2018, raconte la saga du Canal de Suez à travers quarante siècles.
Ces deux événements phare offrent un bric-à-brac de l’imaginaire collectif. Les représentations hétérogènes qu’on donne de l’histoire se mêlent à des références artistiques, littéraires, économiques et géopolitiques. Et l’ensemble met en relief certains aspects du Moyen-Orient, autrefois terrain traditionnel de rivalités et de désaccords, entre la France et la Grande-Bretagne.
Aujourd’hui, on assiste à la quasi-disparition de la chrétienté iraquienne et syrienne. Celle-ci ne résulte pas seulement des exactions commises récemment, mais elle découle aussi d’un processus historique que l’exposition en question tente de survoler, en Egypte, au Liban, en Palestine, en Jordanie, en Syrie et en Iraq. Dans ces deux derniers pays, la situation est choquante: entre 2003 et 2014, 90% de la communauté chrétienne ont disparu en Iraq, et plus de 300000 chrétiens ont quitté le territoire syrien, entre 2011 et 2014. Du coup, il est presque impossible d’évoquer en ce moment les chrétiens du Proche-Orient sans nostalgie, sans contempler les ruines antiques et sans se rappeler le temps où le christianisme, né à Jérusalem, était la religion majoritaire dans la région. Cela étant, les pièces présentées dans l’exposition, attendue à l’IMA, serviront à illustrer la richesse des Eglises du monde arabe: mosaïques provenant des premières églises palestiniennes, jordaniennes et syriennes, portraits de moines coptes du monastère égyptien de Baouit, écrits sur parchemin du célèbre moine copte Shenoute, stèles et souvenirs de pèlerinages aux effigies de saint Ménas, calices et plats en argent provenant de trésors d’églises syriennes, chefs-d’oeuvre de l’art islamique à iconographie chrétienne qui mettent en valeur les relations entre chrétiens et musulmans, etc.
Durant la conférence de presse, tenue au Caire, pour introduire les deux expositions, l’écrivain Claude Mollard évoque le souvenir du guerrier et homme de foi algérien, l’émir Abdel-Qader. Habile médiateur soufi, prônant un islam d’ouverture et de réforme, il a joué un rôle important dans les années 1800, liant en quelque sorte les thèmes des deux expositions.
Car en 1860, alors exilé à Damas, il a sauvé près de 10 000 chrétiens fuyant la montagne libanaise. Affaibli, le sultan ottoman se laissait de plus en plus dicter ses décisions par les religieux, de quoi avoir donné feu vert aux Druzes et aux Sunnites, lesquels ont attaqué les chrétiens au Mont Liban. Rien à voir avec ce que les chrétiens de Syrie ont dû vivre, plusieurs années plus tard, à l’ombre de la tradition séculière du Baas, poussée encore plus loin en Syrie qu’en Iraq. « L’émir Abdel-Qader était aussi un ami du président de la Compagnie universelle du Canal maritime de Suez, Ferdinand de Lesseps, et d’Ismaïl, le vice-roi d’Egypte. Sans lui, le Canal de Suez n’aurait jamais été percé. L’exposition sur le Canal de Suez, qui s’étend de mars 2018 jusqu’au mois d’août de la même année, abordera les relations entre ces hommes, notamment à travers la correspondance maintenue avec de Lesseps », précise Mollard. Abdel-Qader a dû intervenir auprès de la sublime porte pour obtenir son approbation quant aux travaux de percement, comme il a dû utiliser son influence auprès des tribus bédouines d’Egypte, afin de les engager dans le projet.
Un style de vie
Abdel-Qader sauvant les chrétiens lors des émeutes de Damas en 1860. (Par J-B Huysmans, 1861)
L’exposition, qui se déplacera ensuite à Marseille et éventuellement au Caire en 2019, au nouveau Musée des civilisations, montrera des pièces uniques concernant l’histoire de l’isthme de Suez et la vie quotidienne dans les villes du canal. Renée Blondin, une Française de 93 ans, parlera de l’interaction des gens qui ont vécu ensemble ou en côte à côte, des vestiges de ces jolis immeubles et villas élégantes à l’architecture très particulière. En 1870, c’est-à-dire peu de temps après l’inauguration du canal, le 17 novembre 1869, Port-Saïd, à titre d’exemple, comptait 7000 personnes: 1000 Français, 1 000 Italiens et Autrichiens, 500 Maltais, 200 Grecs et 2500 Arabes.
Chacun sans doute a sa version des faits, l’histoire étant loin d’être uniforme. Parfois les conflits d’intérêts prennent le dessus. L’exposition reste donc assez nuancée, selon ses deux commissaires, Claude Mollard et Gilles Gauthier, qui ne lésinent pas sur les détails. « On projettera le discours de Nasser sur la nationalisation du canal, en reconstituant la place de la Bourse à Alexandrie, où éclata la joie frénétique de la foule. Et on diffusera également les affronts du premier ministre français, Guy Mollet ». Celui-ci ne s’avouait pas battu dans cette affaire et refusait d’admettre le fiasco politique qu’a été l’agression tripartite contre l’Egypte, en 1956. Ainsi, on suit les turbulences du Moyen-Orient, à travers l’histoire du canal, et les mauvais tours d’une géographie mouvante et incertaine.
Reconstituer les diverses époques
Sur le parvis de l’IMA, il est envisagé de reconstituer en miniature le cheminement du Canal de Suez sous forme de jardin traversé par une pièce d’eau de 50 mètres de long. Le Musée de Port-Saïd prêtera des reconstitutions récentes des grands évènements qui ont marqué l’épopée du canal: la corvée, les 8 ans d’interruption du trafic maritime. Et seront également exposées des pièces archéologiques qui remontent à l’époque pharaonique, à savoir : la sculpture dite Le Nil et la statue de Sésostris III, le premier à avoir pensé lier les deux mers. « Les visiteurs pourront y trouver la barque antique du Musée de Suez et la sculpture monumentale (14 mètres de haut) qui sera prêtée par les autorités égyptiennes », ajoute les commissaires.
Peintures, gravures, maquette du canal réalisée en 1878 provenant de l’Exposition universelle de Paris et bien d’autres éléments permettent, en effet, de mieux cerner l’image du canal jusqu’à nos jours, avec les derniers travaux de doublement qui ont pu supprimer la circulation alternée et le projet en cours visant à transformer la région du canal en un véritable hub économique, industriel et commercial de 460km2. D’ailleurs, en marge de cette exposition, se tiendra une série de conférences économiques sur ce dernier projet, à Paris comme au Caire .
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