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L’écriture comme source de vie

Sameh Fayez, Mardi, 20 décembre 2016

L’Egyptien Adel Esmat est le lauréat du prix littéraire Naguib Mahfouz 2016, pour son roman Hékayat Youssef Tadros (les histoires de Youssef Tadros). Accordé par les presses de l’Université américaine du Caire, ce prix est, depuis 1989, décerné le jour de l'anniversaire de l'écrivain le 11 décembre.

L’écriture comme source de vie

Le roman de Adel Esmat, Hékayat Youssef Tadros, est formé d’une série d’histoires qui commencent toutes par la même ouverture : « Youssef Tadros a dit », puis Tadros commence à raconter à l’instar des narrateurs des contes populaires « Al-Sirah ».

Lorsqu’on lui pose la question pourquoi il a pré­féré la vie à Tanta, sacrifiant ainsi Le Caire, le centre d’attraction de tout écrivain, il répond joliment : « Et comment puis-je profiter du Caire ? ». Et d’ajouter : « J’étais membre à l’Union égyptienne des écrivains depuis 2006 et jusqu’en 2011, j’ai partagé les activi­tés littéraires durant les jours de la semaine entre roman, nouvelle et cinéclub. J’ai donc vécu à la ville de Tanta un état de dynamique culturelle. N’est-ce pas là une intégration dans la scène culturelle ?! Pourquoi restreignez-vous la vie culturelle seule­ment et uniquement au Caire ? ».

Adel Esmat rappelle son travail dans la presse entre 1988 et 1989 dans l’hebdomadaire de gauche Al-Ahali, qui n’a duré que quelques mois à la suite desquels il a décidé de revenir à Tanta. « J’ai beau­coup aimé écrire, mais ma façon ne leur convenait pas. Je n’arrive pas à comprendre jusqu’à présent pourquoi lorsque j’étais engagé à faire une inter­view, on envoyait un autre journaliste pour effectuer le même travail, sans préciser les raisons ou les failles si jamais il y en a eu. Alors, je suis retourné à Tanta en 1989 et ai acheté une voiture taxi, préférant au journalisme le travail de chauffeur ». Esmat est certain que le travail de journalisme aurait tué la créativité artistique chez lui. « Naguib Mahfouz est le seul écrivain qui n’a pas travaillé dans la presse, n’a jamais flatté le pouvoir (courtiser le pouvoir). Mon travail en tant que chauffeur de taxi était plus proche de mon expérience comme écrivain, parce que dès que je ferme la porte de la voiture, je ne pense que dans les mondes que j’écris ».

L’écriture comme source de vie

Pourtant, le roman de Adel Esmat n’a rien à faire avec son quotidien. Si on lit le roman sans connais­sance préalable de l’auteur, on aurait cru, à première vue, qu’il s’agit d’une autobiographie de l’un des coptes, dans laquelle il énumère les détails de son univers. Le héros du roman, Youssef Tadros, est un chrétien originaire de Tanta qui a beaucoup aimé la peinture, mais n’a pas pu terminer ses études aux beaux-arts d’Alexandrie, et rejoint une autre faculté qui l’a formé pour travailler comme professeur. A travers ce personnage, l’auteur décrit, avec une finesse extrême, le regard de la société musulmane à l’autre, surtout quand il a commencé à travailler en tant que professeur. Comme dans le roman, lorsque Youssef Tadros dit : « Je suis fatigué de la façon dont les gens me regardent dès que je dis mon nom : Youssef Tadros. On me regarde comme si j’étais un étranger qui débarque d’un autre monde ». Et il continue dans la même lignée : « Ils me dévisagent, dérobent un regard rapide sur mon poignet, afin de trouver la croix bleue inculquée à côté de ma veine, s’ils ne la trouvent pas, ils continuent d’examiner mes mots et mon visage ». Et tandis que le person­nage du roman annonce que « le fait d’être chrétien me poursuit partout », l’auteur Adel Esmat, quant à lui, explicite son point de vue en disant : « Je ne suis pas chrétien, mais en fin de compte, nous sommes tous coptes, comme je l’ai dit à la bouche de Youssef Tadros dans le roman, il pense que la différence des religions est une nécessité, tout comme la différence des prénoms, une différence qui n’entrave pas la communication entre les gens ».

Contre la réception bornée de son roman, considé­rant qu’il occulte la persécution des coptes, l’auteur affirme que « la persécution n’est pas le sujet du récit, mais plutôt le voyage d’une personne simple, ayant un esprit d’artiste qui l’aide à surmonter les circonstances, les tensions et la tradition. C’est un simple professeur d’anglais qui vit dans une ville, loin de la capitale. Ainsi tous les incidents traver­sés par le personnage, la discrimination reli­gieuse, l’échec des histoires d’amour, je les ai uti­lisés dans le roman comme détails du voyage et non pas en tant que tels ».

Dans le miroir de Mahfouz

L’écriture comme source de vie

Le romancier et critique, le feu Alaa Al-Dib, avait loué l’écriture de Adel Esmat, en particulier sa précision en décrivant les sentiments de Youssef Tadros, et il l’a comparé au Nobel égyptien. « Je n’ai vu personne parmi les nouveaux écrivains, qui a profité de la narration de Mahfouz, l’a renouve­lé, comme l’a fait cet écrivain. Et cela sans imita­tion, Esmat a pu invoquer de nouveau ce rapport d’intimité qui se lie entre Mahfouz et son lecteur, lorsque ce dernier termine le roman et se sent un des siens, ou un habitant de l’impasse ».

A l’encontre de nombreux écrivains qui reçoivent le prix littéraire Naguib Mahfouz et qui ne sont pas nécessairement influencés par l’icône du roman arabe, Adel Esmat avoue qu’il a été profondément marqué par l’oeuvre et la personne du Nobel. « J’ai beaucoup appris des propos, des interviews et de la vie de Mahfouz, beaucoup plus que j’ai appris de son oeuvre, même si je l’ai lu très tôt dans mon enfance, et étais saturé par l’univers de ses romans ». Ainsi, pendant la cérémonie de la remise du prix à Ewart Hall, à Tahrir, Adel Esmat insiste dans son discours, sur son rapport avec Mahfouz, même s’ils ne se sont pas vus de son vivant. « Je prétends avoir vu Mahfouz absorbé un instant dans une pensée profonde et me dit : Tu sais qu’est-ce qui m’a poussé à continuer et à ne pas sombrer dans le désespoir ? C’est que j’ai considéré que l’art est la vie, et non pas un métier, lorsque tu le considères comme métier, tu seras tout le temps préoccupé par la récolte des fruits ».

Cette phrase imaginée par Adel Esmat est la loi qui a orchestré sa vie pendant 30 ans, lorsqu’il a accepté le travail de bibliothécaire dans une bibliothèque dépendant du ministère de l’Enseignement à Tanta, a refusé de résider au Caire ou de faire de l’écriture son gagne-pain, ou lorsqu’il a abandonné le journa­lisme et a décidé d’acheter le taxi et de chercher sa source de vie loin de l’écriture .

Adel Esmat
Est né en 1959 à la ville de Tanta. Il a reçu son diplôme de philosophie de la faculté des lettres de l’Université de Aïn-Chams en 1986. Puis il a obtenu un second diplôme de lettres du département des bibliothèques à l’ Université de Tanta en 1996.

Il est actuellement bibliothécaire expert au ministère de l’Enseignement, et vit à Alexandrie. Parmi ses romans déjà publiés Hawas Al-Moute (la hantise de la mort), Hayah Mostaqerra (une vie stable), Al-Ragol Al-Aari (l’homme nu), Ayyam Al-Nawafez Al-Zarqaa (les jours de fenêtres bleues).

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