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Amr Hassan : Je ne veux pas tourner en phénomène

Dina Kabil, Lundi, 12 décembre 2016

La 3e édition du prix Negm pour le poème dialectal, fondé par l’homme d’affaires Sawirès, a consacré son grand prix au poète Amr Hassan, une star montante dont les livres sont souvent des best-sellers. Entretien

Amr Hassan
Amr Hassan, l'idole des jeunes.

Al-Ahram Hebdo : Recevoir le prix du poème dialectal qui porte le nom d’Ahmad Fouad Negm devrait être impres­sionnant, comment vous situez-vous vis-à-vis de cette icône du poème populaire ?
Amr Hassan : L’influence d’Ah­mad Fouad Negm sur moi n’est pas particulièrement artistique, elle est plutôt humaine. Parce que, d’une part, Negm a un profil de vagabond, qu’il a choisi de plein gré. Même lorsqu’il avait les moyens de vivre la bonne vie, il optait pour la vie de nomade, de voyou presque. Il a été très critique envers le régime des officiers de Juillet, mais en même temps, il n’a pas épargné sa fierté des guerriers dans son poème Doula Mine, we Doula Mine ? (qui sont-ils ceux-ci ? et qui sont-ils, ceux-là ? Ce sont des soldats égyptiens). Par ailleurs, Negm est le plus proche de la description du poète de la « ammiya », ce mot ne veut pas dire simplement le dialectal, mais être proche du peuple, parler sa langue et aller vers lui. C’était un homme-tem­pête, on ne pouvait jamais s’attendre à ses réactions. Peut-être que s’il était aujourd’hui parmi nous, il m’aurait donné un coup de gifle à l’annonce des prix, ou il se peut qu’il se pré­sente au prix du meilleur poème qui porte son nom !

— Est-ce que c’est cette recherche de la popularité qui vous a incité à présenter vos poèmes dans un cadre musical, qui attire beaucoup de jeunes, que ce soit à Saqiet Al-Sawi, à la Bibliotheca Alexandrina ou sur les théâtres des différentes universités ?
— Je pense que la musique est une partie intégrante de l’écriture chez moi. La structure même du poème, je la vois plus musicale que poétique. La musique et le cinéma sont des outils oubliés dans le poème que j’aime interpeller. C’est pourquoi je travaille sur le côté musique qui accompagne le poème, avec un groupe de musiciens et amis tels Mohamad Moustapha sur le nay (flûte orientale), Badr Moustapha sur le violon, Karim Salah sur les percus­sions, Mohab Sami pour le piano, Chadi Ibrahim pour le luth, et à chaque concert, j’invite un jeune chanteur sur le théâtre.

— Au Salon du livre, comme dans vos soirées poétiques, votre public est formé en majorité de jeunes. Est-ce bien votre public et vos compagnons sur scène ?
— Je pense que c’est mon rôle dans la vie. Je suis le fils de cette époque, je m’en sens responsable, j’ai un compte à rendre pour voir si j’ai bien présenté l’époque dans laquelle je vis maintenant et aujourd’hui. En écrivant des poèmes, je n’étais soucieux ni du genre, ni de la forme, mais je voulais que ma voix porte sur toutes les parties de la terre. J’ai un penchant inné pour la jeu­nesse. Peut-être qu'un jour la star de la chanson, Ali Al-Haggar, chante l’une de mes poésies, mais normale­ment, dès que je tombe sur quelqu’un qui travaille avec sincérité et dévo­tion, je le joins au groupe. Parfois, ce sont les chanteurs qui me découvrent, comme c’était le cas avec Hanane Madi qui a chanté mon poème Al-Bent elli Sahrana (la jeune fille veillante), ou Mohamad Mohie, dans Gawabi Al-Akhir (ma dernière lettre), et d’autres.

— Pourquoi avez-vous choisi le panda, cet animal en voie de dispa­rition, comme titre de votre récent recueil et dont l’image jette ses ombres sur la totalité des poèmes ?— C’est l’animal qui met le visage contre le mur lorsqu’il est triste. J’ai beaucoup aimé l’image du panda qui, malgré sa mélancolie, il est la source de joie de tout être humain. Il est mignon à voir lorsqu’il se dégringole en marchant, tandis qu’il est orphelin de père et de mère. C’est sans doute l’image de celui qui devient la raison du bonheur des autres sans se rendre compte.

— Il y a toujours cette tristesse que vous évoquez dans votre poème La Vraie ombre de la souf­france est un poème. Est-ce le moteur de votre écriture poétique ?
— Se décharger de sa douleur se fait le plus souvent sous forme de poème. La souffrance, le plus sou­vent, n’est pas racontée, mais plutôt écrite. Si j’écris nombre de mes poèmes sur la bien-aimée et l’histoire d’amour ratée, c’est parce qu’elle n’est plus là. Si elle était toujours là, j’aurais passé mon temps à côté d’elle, et n’aurais peut-être pas écrit. Je ne suis pas mélancolique comme poète. Mes amis me reconnaissent comme quelqu’un de rigolo. C’est l’énergie passive qui m’envahit, sort sur le papier, comme les larmes de quelqu’un d’autre. L’écriture est une expression de la perte, elle n’est pas nécessairement macabre, mais elle rappelle l’absence, la carence d’une manière métaphorique. La tristesse n’est pas une sorte de dépression, mais une expression éloquente qui nous amène un jour vers le bonheur, j’ai écrit dans mon recueil Nass-Café (gens-café) des formules optimistes comme « peu importe si tu écroules, jamais le succès n’est éternel ».

— Juste après la remise du grand prix Negm, vous avez écrit sur votre compte Facebook : « Il y a 3 ans, je n’étais rien, quelques papiers dans un tiroir, sorti d’une relation d’amour que je n’ai même pas com­mencée, sans maison, sans livre, sans expérience et personne ne connaissait rien de moi » …
— Mon expérience émane de mon itinéraire qui n’est pas du tout heu­reux. Mon père est originaire de la Nubie, et ma mère de Gamaliya, du Caire populaire. Suite à un incendie dans la compagnie de mon père, nous nous sommes déplacés à Ismaïliya, et depuis, nous n’avons jamais cessé d’errer d’un endroit à l’autre. Cette instabilité et ce mal de vivre, je les ai en quelque sorte hérités, et je me souviens que j’ai passé un mois dans les rues de Port-Saïd qui a donné mon recueil de poèmes Selfy.

Le jour de ma décoration du prix Goethe, celle de Saqiet Al-Sawi, ou le tout dernier prix Negm, tout le monde était ravi, je reçois les programmes de télévision et les félicitations sur la toile, tandis que moi, je me retire clandestinement. C’est un comporte­ment insensé, et je ne sais pas pour­quoi je l’ai fait. Mais je pense qu’au fond, je ne veux pas me transformer en un phénomène (une tendance), positif ou négatif soit-il.

— La plupart de vos thèmes, dans Panda, tournent autour de l’amour rompu, des amitiés ou des scènes du quotidien, tandis que le nom de Negm et du poème dialec­tal a toujours été symbole de la rébellion et de la protestation. Peut-on y trouver un signe du goût de la jeunesse d’aujourd’hui ?
— J’ai beaucoup de poèmes épiques qui étaient la cause d’inter­dire mon accès à la Bibliothèque d’Alexandrie, et dans nombre d’uni­versités à maintes reprises pour des raisons sécuritaires. J’ai un poème intitulé La Prison, où j’aborde les jeunes détenus de la post-révolution de 2011, j’ai aussi dédié un poème à Mohamad Sami, l’un des accusés de l’affaire du Conseil consultatif, avant qu’il ne reçoive la grâce présiden­tielle en 2015. J’ai écrit des poèmes intitulés La Constitution et Je suis terroriste, et tout le temps, je fonce avec la politique. Nous sommes, comme un ami m’a décrit, la marge du texte, et sans la marge, le texte n’aurait pas existé.

— Et quels sont vos souhaits pour l’avenir ?
— J’espère que si j’ai quelque chose à dire et à ajouter, d’écrire, et lorsque mes sources tarissent, j’es­père que je cesserai de pratiquer l’écriture. Je souhaite que ma vie soit la plus simple possible, sans vacarme, une vie ordinaire, très ordinaire. J’espère que l’Egypte aboutira au résultat normal de tout ce qu’elle a commencé, la paix et la sécurité à tout le monde. Je souhaite tout le bonheur et la santé à ma mère et à ma bien-aimée dont je n’ai pas réussi à partager la vie.

Amr Hassan est né en 1987 à Alexandrie. Il a grandi à Ismaïliya. Son écriture poétique a com­mencé depuis 2004. Son premier recueil de poèmes est écrit en 2008, Al-Méhna : Barqoss (le métier : je danse), mais il n’a pas été publié, puis Ala Nassiyet Al-Charie (au coin de la rue) en 2010, Nass-Café (gens-café) en 2014, Selfy en 2015, Panda en 2016 et Massalane (par exemple) qui verra le jour au début 2017 au Salon du livre du Caire.
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