« Il y aura une pérennité de l’autoritarisme dans le monde arabe. Nous sommes encore dans la bataille de la construction de l’Etat et je prédis de longues années de conflits parfois sanglants », lance le chercheur et ancien ministre égyptien Alieddine Hélal lors du séminaire intitulé « Transformations de l’Etat, recompositions sociales, culturelles et politiques en Egypte et dans le monde arabe ». Ce séminaire est initié par EtatRar, une équipe de recherche franco-égyptienne consacrée à la question de l’Etat en Egypte et dans le monde arabe, codirigée par Sarah Ben Nefissa (UMR Développement et sociétés, IRD-Paris 1 IEDES) et Tawfik Aclimandos (Université du Caire et Université Française d’Egypte). Il a regroupé des chercheurs et académiciens de France, de Tunisie et d’Egypte pour débattre de l’avenir du concept de l’Etat dans le monde arabe. « L’Etat arabe est un habit moderne dans un corps ancien », a continué Hélal en donnant l’exemple de l’armée du Yémen où l’allégeance se fait à une personne, ou même le Baath laïque où le partage des pouvoirs se faisait sur la base des confessions. « Nous sommes des semblants d’Etats, avec des semblants de tout ». Pour un autre chercheur, Nabil Abdel-Fattah, conseiller au Centre de Recherches Stratégiques d’Al-Ahram (CRSA), l’heure est grave. « La situation est critique contrairement à ce qu’il paraît », dit-il. Et en parlant de l’Egypte il ajoute : « La fracture entre confession depuis Sadate se renforce et influe sur l’intégration nationale ». Les Etats arabes portent les stigmates de leurs origines et beaucoup de concepts de l’Etat en tant que tel y sont encore en formation comme celui de la citoyenneté.
Milices et contrebande
Et dans les bouleversements qu’ils connaissent, il y a des développements de manière inégale. « Certains sont en phase de reconstruction et tendent vers une stabilité relative comme l’Egypte, le Maroc ou la Tunisie », fait remarquer Hélal. Mais d’autres comme la Libye s’engouffrent dans le chaos. « En Libye il y a toujours eu des autorités mais pas d’Etat », fait remarquer Rafaa Tabib, spécialiste de la Libye, chercheur enseignant à l’Université de Menouba (Tunisie). Il décrit une situation où les logiques tribales ont le dernier mot. « Les villes sont le lieu où les tribus se sont installées et entre chacune les clivages sont maître. Un Libyen connaît la Tunisie mais pas la ville à côté. C’est aussi le pouvoir absolu des milices qui font du trafic en tout. Les billets de banques sont imprimés en Grande-Bretagne et quand ils arrivent par avion ils sont pris par les milices. Ces milices partagent et segmentent le territoire. Sans la création d’une armée il n’y a pas d’espoirs », dit-il. Pour ce qui est de la Tunisie. Michaël Béchir Ayari, senior analyste à International Crisis Group, fait remarquer qu’en Tunisie l’Etat continue à être exclusif à l’égard de certaines couches de la société. Les dernières années ont vu l’émergence de la classe nantie dans le sud grâce à la contrebande. Cela a commencé avant la chute de Ben Ali. Cette classe tend à vouloir s’intégrer dans le système économique mais les vielles oligarchies s’y opposent (voir entretien). Chérif Younis, historien, remonte à la naissance de l’Etat égyptien : « Mohamad Ali a créé l’Etat comme un corps flottant au-dessus de la société ». La société n’a pas été partie prenante dans le projet de modernisation, elle a juste été pourvoyeuse d’éléments. Alieddine Hélal souligne également en parlant de la crise de l’Etat dans le monde arabe : « Pour les courants islamistes le califat est l’essence de l’Etat, et pour les nationalistes c’est l’Oumma (nation) arabe, beaucoup d’auteurs de ce mouvement refusaient même d’utiliser le mot Etat et lui préféraient le mot Qotr (pays) » .
Etat, société civile et citoyenneté
EtatRar est une équipe de recherche franco-égyptienne consacrée à la question de l’Etat en Egypte et dans le monde arabe, codirigée par Sarah Ben Nefissa (UMR Développement et sociétés, IRD-Paris 1 IEDES) et Tawfik Aclimandos (Université du Caire et Université Française d’Egypte. EtatRar est fondée sur un programme de recherche et de formation qui s’articule autour des notions d’État, de politique, d’action publique, de société civile, de citoyenneté, de communauté et d’individu. Cette équipe de recherche regroupe, l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, le Centre d’Al-Ahram des études historiques et sociologiques, la Chaire Histoire contemporaine du Monde Arabe du Collège de France, le Centre Population et Développement (CEPED), l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO), l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC Tunis), la filière francophone de la faculté des sciences économiques et politiques de l’Université du Caire (FESP).
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