Al-Ahram Hebdo : Pourquoi cet intérêt pour le graffiti ?
Chérif Abdel-Méguid : Le recours aux murs pour s’exprimer attire mon attention depuis plusieurs années. Depuis 2006, j’ai participé aux concours de photographie. J’ai réalisé des expositions comme Ma Ville, qui était la première exposition pour la photographie au téléphone portable. Elle était consacrée à la contradiction entre les pauvres et les riches dans les quartiers du Caire. Ensuite en 2007, j’ai lancé ma deuxième exposition sous le titre Murs, qui traitait de l’absence de justice sociale. Toutes les photos étaient prises avec un appareil professionnel. J’y ai représenté l’expression sur les murs des gens marginalisés par le pouvoir. Je cite, à titre d’exemple, les dessins et les messages pour féliciter ceux qui ont accompli le grand et le petit pèlerinage, les expressions de supporters des clubs de football, les empreintes de main au sang sur les immeubles ou les murs à côté des appartements et des maisons pour éloigner le mauvais oeil et ainsi de suite. Le fait de consacrer mon effort et mes ouvrages au graffiti en particulier m’est venu après le 11 février 2011.
— Comment avez-vous eu cette idée d’archiver les graffitis ?
— Dès le déclenchement de la révolution du 25 janvier 2011, je suis sorti avec mon appareil, mais sans prendre de photos ni de la place Tahrir, ni des gens qui s’y trouvaient. La semaine de ce qu’on appelle « la bataille du chameau », je suis sorti pour enregistrer les réactions des gens. Le premier vendredi après le 11 février et la chute de Moubarak, j’ai pris des photos d’un simple Egyptien, fier de lui-même parce qu’il a participé à l’événement, il écrivait sur le mur : « J’étais là ! ». Après la nomination du premier gouvernement à l’issue de la présidentielle, il y a eu une invitation pour nettoyer la place Tahrir. Les responsables ont pris la décision d’effacer les graffitis qui étaient sur les murs autour de Tahrir. Le dessin « J’étais là ! » a été effacé. C’est à ce moment-là que j’ai ressenti l’importance d’archiver tout ce que les gens écrivaient et dessinaient sur les murs. Depuis, j’ai commencé à tout archiver par les photos prises soit par téléphone portable soit par appareil photo professionnel. J’ai donc participé à toutes les manifestations des vendredis, soit au Caire soit dans d’autres gouvernorats comme Alexandrie, Mahalla, Tanta, Suez, Port-Saïd, Louqsor et Assouan. J’ai mis tout ce que j’ai enregistré dans 3 ouvrages.
— Plus précisément, de quoi sont composés ces 3 ouvrages ?
— Le premier sur les graffitis remonte à janvier 2012 sur les dessins au Caire et à Alexandrie. Ensuite j’ai publié le deuxième sur les graffitis réalisés dans les trois gouvernorats du Canal, à savoir Suez, Port-Saïd et Ismaïliya, dans quelques gouvernorats de la Haute-Egypte comme Louqsor et Assouan, ainsi que dans d’autres gouvernorats comme Mahalla, Tanta et Mansoura. Cet ouvrage est intitulé Mékammelin (on continue). Mon troisième ouvrage concernait en particulier les graffitis réalisés par les Ultras, ces supporters d’équipes de foot.
— Pourquoi vous êtes-vous intéressé aussi aux Ultras ?
— Alors que je prenais des photos des graffitis de la rue Mohamad Mahmoud en novembre 2011, quelques éléments des Ultras ont marqué sur le mur : « La liberté aura lieu, c’est certain ». J’ai décidé de répertorier tout ce qu’ils écrivaient et dessinaient sur les murs. Alors j’ai participé à toutes les manifestations après les événements de Mohamad Mahmoud 2, du Conseil des ministres et de Port-Saïd. 40 jours après le massacre de Port-Saïd, les Ultras ont commencé à publier les photos des jeunes martyrs. J’ai ensuite enregistré les événements du sit-in de l’Assemblée du peuple. J’ai mis toutes ces photos dans un ouvrage intitulé La Liberté aura lieu, c’est certain … Graffitis des Ultras.
— En parlant des Ultras, que pensez-vous du nouveau groupe appelé Nahdawi ?
— Les jeunes que nous connaissons, qui se sont lancés dans des manifestations dans toutes les rues, avaient un objectif et défendaient une cause, à savoir leurs martyrs. Après la fin de cette action, après le prononcé de justice, quelques éléments des Ultras ont adhéré à quelques partis politiques. Outre cela, il y avait des groupes qui se donnaient le nom d’Ultras pour soutenir quelques partis politiques comme les Ultras libres qui soutiennent Abou-Ismaïl (salafiste) et Nahdawi qui soutient le parti des Frères musulmans. Tout cela entre dans le cadre de la propagande de ces partis. Cela ne m’intéresse pas dans mon travail d’archives pour la révolution de janvier. C’est plutôt le travail des chercheurs.
— Qu’en est-il de votre prochain projet ?
— Après mon premier documentaire sur les graffitis intitulé Murs, je rêve de réaliser un grand projet qui serait un documentaire et un ouvrage comme La Description de l’Egypte réalisée par les chercheurs français qui ont accompagné Napoléon Bonaparte lors de l’Expédition française en Egypte. Je rêve de réaliser La Description de l’Egypte par la photo. Ce projet consiste à montrer en détail, par photos et documentaires, la vie, les chansons populaires, les traditions et les valeurs des Egyptiens dans les endroits marginalisés comme la Nubie, Siwa, Halayeb et Chalatine ainsi qu’au Sinaï. J’espère que plusieurs chercheurs, photographes et écrivains pourront y participer pour le réaliser dans les années à venir.
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