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Salon du Livre : Conflits de représentations, les suites du 25 janvier

Najet Belhatem, Lundi, 04 février 2013

Au coeur des débats, le nouvel essai de Nabil Abdel-Fattah revient sur la situation chaotique de l’Egypte, ses élites en errance et l’islam politique. Décryptage.

Salon du Livre

Le titre est révélateur tant la situation en Egypte est confuse et augure d’une entrée de plain pied dans une phase d’anarchie si l’élite au pouvoir — et l’élite tout court — ne trouve pas les moyens de sortir de la crise. « Peut-on saisir quelque peu les déversements de l’anarchie et de la fluidité des développements politiques rapides et du bouillonnement de la situation en Egypte dans sa globalité ou dans le cadre de quelques-uns de ses secteurs et éléments ? », s’interroge Nabil Abdel- Fattah dans l’introduction de son ouvrage de 400 pages.

L’auteur tente de donner des éléments de réponses dans une analyseprofonde de la phase de transition que connaît l’Egypte avec, à la tête du régime, la confrérie des Frères musulmans. Le pays se dirige vers un modèle islamique déjà connu ou suivra-til sa propre expérience ? Les dimensions historiques et sociopolitiques, culturelles, régionales et internationales qui ont vu la naissance de ces modèles islamiques politiques et militaires sont à prendre en considération, selon l’auteur. Le modèle du Hamas excellence, « mais il ne constitue pas de prototype à suivre en dehors de la bande de Gaza et en dehors de la géographie politique environnante », note sousoudanais — qui prend sa source également dans l’esprit des Frères musulmans — c’est un modèle très spécifique qui s’est construit « sur un islam arabe face à un islam africain au Darfour et dans une multitude religieuse qui dépasse l’islam et le christianisme en incluant des religions païennes », sans oublier la structure tribale du pays.

La « mère » confrérie

Il y a aussi la tendance d’autosuffisance de la confrérie en Egypte, qui se considère comme la confrérie mère, et agit à partir de là, selon les dires de l’auteur, d’une manière hautaine avec les groupes de Frères subsidiaires. Mais malgré cela, « il se peut que la confrérie soit influencée par des procédés et par l’expérience soudanaise d’islamisation de quelques institutions. Mais si cela a lieu, il en résultera de grands problèmes avec ce qui est appelé l’Etat profond, même si la force et l’influence de ce dernier sont en baisse dans un Etat qui a des traditions bureaucratiques bien ancrées ».

L’auteur écarte également le modèle pakistanais qui est lié historiquement au conflit dans le souscontinent indien après un long parcours de crises de l’Etat suite aux indépendances. Suite aussi à l’échec de l’élite laïque au Pakistan face à « l’entrée de l’institution militaire comme partie prenante et fondamentale dans la gestion de l’Etat dans le cadre des grands défis régionaux ».

Pour Abdel-Fattah, « le cas pakistanais est différent de la situation de l’islam politique égyptien, que ce soit au niveau de la culture ou de l’islam, ou encore de la nature de la multitude religieuse et confessionnelle. Et de là, la comparaison paraît de pure forme sans communes mesures historiques culturelles ou géopolitiques ».

Modèle turque

Le modèle turque a souvent été invoqué depuis l’accession des Frères au pouvoir. Il y a eu une certaine attirance pour le modèle en question, notamment dans le programme de la « renaissance » proposé par le président Morsi. « Mais les promoteurs de ce projet-slogan oublient que l’impact historique de l’héritage kémalien — autour de l’Etat et de l’armée — est l’un des piliers de la renaissance turque. Sans citer les capacités et l’intelligence de Turgut Ozal et le fait que les dirigeants du Parti Justice et développement aient dépassé plusieurs idées conservatrices et limitées du docteur Necmedine Erbakan et de son projet qui n’a jamais connu de grand succès ». Quelles voies empruntera donc l’islam politique en Egypte ? Rien n’est sûr, selon l’auteur. Il est encore difficile de se prononcer, d’autant plus que la confrérie balbutie en matière de politique et que son élite semble incapable de se projeter dans une réflexion claire et profonde. « Nous sommes devant un phénomène général d’exercices politiques pour débutants, émanant d’élites mal formées, que ce soit au niveau des nouveaux acteurs ou celui des anciens ».

Des élites « vieilles » et incapables de générer un projet post-révolutionnaire ou post-mouvement démocratique, comme le qualifie l’auteur qui voit dans le 25 janvier un mouvement contestataire démocratique. Car la réalité, selon lui, porte toujours en elle la charpente des systèmes politiques et sociaux oppresseurs et renferme encore les réseaux de corruption politique et institutionnelle dans ses différents cercles, « voire dans ceux des élites politiques qui ont géré et gèrent encore les phases de la transition en Egypte ».

Elite mal formée

L’élite égyptienne, selon l’auteur, est le produit des années d’oppression : elle fonctionne selon des codes anciens : « Le mouvement révolutionnaire démocratique du 25 janvier 2011 a été une surprise pour cette élite », même au sein des libéraux, gauchistes et autres. « La majorité n’a pas absorbé la nature de l’événement et la fin de la légitimité du 23 Juillet 1952 avec ses générations, ses idées et ses héritages ».

Le livre, dans sa globalité, analyse le conflit en cours autour de la nature de l’Etat et du mode de vie moderne sur le plan social et culturel. Un conflit qui en est encore à son apogée et qui dévoile une Egypte à deux vitesses : celle qui croule encore sous la légitimité du 23 Juillet 1952 et celle qui se revendique d’une légitimité révolutionnaire encore floue.

Nabil Abdel-Fattah, L’élite et la révolution : l’Etat, l’islam politique, le nationalisme et le libéralisme, éditions Dar Al-Aïn, 2013

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