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Libérer un poète par des vers

Dina Kabil, Lundi, 18 janvier 2016

Le 14 janvier, déclaré journée mondiale de solidarité avec le poète palestinien Ashraf Fayad condamné à mort en Arabie saoudite, s’est déroulé avec succès dans 40 villes du monde. Au Caire la devise était : « La Poésie est liberté ».

Libérer un poète par des vers

Avec le seul pouvoir de la poésie, les personnes solidaires d’Achraf Fayad dans le monde continuent à militer pour sa liberté. Depuis l’annonce de la condamnation à mort, le 17 novembre 2015, de ce poète palestinien résidant en Arabie saoudite en raison de ses poèmes « blasphématoires », la mobilisation internationale ne cesse de s’amplifier.

Au Caire, d’une petite initiative lancée sur Facebook par le poète Mohamad Harbi intitulée « Libérer le poète de la décapitation pour un poème », dans laquelle il invitait les poètes arabes à écrire 100 poèmes-bouquets à Achraf Fayad, l’événement s’est étendu pour atteindre plus d’une centaine de poèmes. Les organisations internationales vouées à la liberté d’expression et au respect des droits de l’homme se sont manifestées auprès des autorités saoudiennes. « Nous nous sommes mis d’accord avec des écrivains du Pen Club International, notamment à Berlin, qui avaient adressé une lettre ouverte aux tribunaux saoudiens, pour consacrer le 14 janvier une journée de solidarité avec Fayad », précise le poète égyptien Zein Al-Abedine Fouad, l’un des principaux initiateurs de la campagne de libération de Fayad.

Dans 40 villes de par le monde, le poème a dit son mot pour réclamer la liberté. Au Caire, deux événements ont eu lieu en présence d’une centaine de poètes et écrivains, à Kotob Khan dans le quartier de Maadi et à la maison d’édition Merit au centre-ville, ayant pour slogan : « La Poésie est liberté ». « Au nom de la liberté, nous détruisons les prisons, nous ouvrons les geôles, et nous ouvrons les portes de la vie », récite Zein Al-Abedine Fouad. Avec ferveur et beaucoup d’amour du vers, il animait la soirée de Merit, en introduisant la lecture des poèmes dédiés à Fayad, et en liant les différents moments de la cérémonie par des vers de Paul Eluard et de son poème Liberté (1942). La musique et les chansons entonnées chez Merit, maison des révolutionnaires, par les jeunes Ahmad Nabil, Rim Khaïri et Kamal Al-Abnoudi, rappellent l’enthousiasme qui règne dans ce lieu depuis toujours, soutenant la liberté d’expression et parrainant les jeunes talents prometteurs.

L’invitation à cette soirée de solidarité organisée à la maison Merit s’est étendue pour réclamer la liberté de Fayad, mais aussi s’est présentée comme une journée contre la détention, la disparition et l’interdiction de voyager. La cérémonie a repris le slogan de la liberté à Achraf Fayad, pour Douma et Achraf Chéhata. Le second est le jeune poète égyptien emprisonné pour avoir brisé la loi des anti-manifestations, et le troisième est membre du parti Al-Dostour qui a subi une disparition forcée depuis un an. Zein Al-Abedine Fouad explique que les poètes subissent beaucoup d’injustices partout dans le monde et à travers les siècles. « Nous avons réussi notre campagne de solidarité dans 40 villes, c’est vrai, mais il faut préciser que le même jour, un poète égyptien, Omar Hazeq, qui était censé participer à la journée de solidarité à Amsterdam, a été interdit de quitter l’Egypte », s’indigne-t-il.

Lus de l’affilée
Pourtant, le 14 janvier, le flux des poèmes ne s’est pas arrêté dans les locaux de Merit, les vers sont lus sans arrêt : Réfaat Sallam, Mohamad Eid Ibrahim, Mohamad Harbi ou Khaled Al-Bouhi lisent leurs propres poèmes ou ceux de leurs collègues arabes, comme le Soudanais Al-Nour Ahmad Ali, la Libanaise Inès Khorched, le Tunisien Abdel-Wahab Al-Moulaouah. « Qu’a dit le jeune poète pour mériter la mort ? », a lu l’écrivaine Ahdaf Soueif, selon des vers traduits sur la mort de James Ossau : « Sans doute, il a su que la poésie est amour, et que l’amour dans ce monde est dangereux ».

Et en Arabie saoudite ? De nombreux intellectuels ont réussi à briser les carcans contre la liberté d’expression et participé à la campagne de solidarité. Mohamad Harbi raconte que le poète saoudien Ahmad Al-Molla était le premier à avoir écrit : « Nous sommes tous Achraf Fayad ». Il a senti, lui qui vit sous de meilleurs cieux que Fayad et souffrant du même despotisme, « la totale invalidité ». « Et à partir de là, nous avons lancé la campagne Libérons un poète par un poème, qui a commencé par une invitation de 100 poèmes, en novembre dernier, et a atteint aujourd’hui 136 que nous allons regrouper dans un recueil publié prochainement », affirme Harbi. Les espoirs portent sur cette mobilisation arabe et internationale qui peut faire fléchir les autorités saoudiennes comme elle y était parvenue pour le blogueur Raëf Badawi, condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet et dont la sentence a été provisoirement suspendue .

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