Il est connu depuis longtemps qu’il existe un poète qui puise dans la mer et un autre qui sculpte dans les rochers. « Le père des poètes », Fouad Haddad, ne puisait pas dans la mer, mais plutôt dans un océan qui n’a ni début ni fin. Il y prenait la mer, pêchait, plongeait et explorait à tel point qu’il devient lui-même la mer ou l’océan.
L’énorme production très diversifiée de Haddad le poète a attiré toutes les attentions ne laissant qu’un espace limité à Haddad le traducteur. Pourtant, il a laissé des ouvrages indélébiles, comme le chef-d’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, qu’il a traduit joliment vers le dialecte égyptien. Il est temps de poser la question : Comment, jusqu’à présent, personne n’a prêté attention à cette perle précieuse pour l’adapter au théâtre ou au cinéma, au lieu de cette confusion qui domine la scène artistique et de la tendance à traduire les feuilletons étrangers ?
Cet état de fait ne concerne pas uniquement Le Petit Prince, mais tous les contes et fables de Fouad Haddad, qui sont rassemblés dans le 6e volume de son oeuvre complète, publiée par l’Organisme général des palais de la culture. Certains de ses contes sont inspirés, à l’instar du Petit Prince, des Mille et Une Nuits, ou de certains lieux géographiques, en particulier l’Extrême-Orient ou l’Afrique.
Un plongeur prend la mer pour découvrir les perles enfouies. Puis il s’applique à les affiner, les métamorphoser et à y insuffler l’âme égyptienne profonde, afin de les reproduire dans une écriture fluide, attrayante, qui n’a pas de pareille depuis le maître Baïram Al-Tounsi.
Ces histoires, en dialecte égyptien vivant, sont un trésor à présenter aux adultes et aux enfants, de manière audiovisuelle, sur les planches d’un théâtre ou sous forme de feuilletons ou de bandes dessinées. Prêter plus attention au trésor de Haddad ne serait pas uniquement un hommage au grand poète, ce serait aussi un hommage au public et aux spectateurs.
Avec Haddad, il est difficile de séparer l’artiste de ses convictions. Son mot est indubitablement lié à sa pensée, il ne peut s’en soustraire comme c’est parfois le cas en arts plastiques ou en musique, notamment si le poète est né dans cette partie du monde qu’est la nôtre, qui ne peut admettre le luxe du concept de l’art pour l’art.
Ajoutons que son expérience est liée à un contexte sociopolitique particulier, comme était le cas avec Jahine et Al-Abnoudi, deux autres poètes écrivant en dialecte égyptien.
Il se peut que certains trouvent de la réticence à s’identifier à l’expérience de Haddad, à cause notamment de ses points de vue très nets sur le nationalisme arabe, ou de ses élans spirituels teintés d’islamisme déclaré. Mais ceux-ci seront aveugles s’ils dénient le talent poétique de Haddad.
Que l’on aime son parcours ou non, son écriture reste très fine, sa description hors pair lorsqu’il place les mots comme un collier de perles. Et, avant tout, il reste cette âme humaine infinie qui dépasse les frontières géographiques et de langue, cette âme qui rappelle dans son Messaharati que : « L’humanisme est la création de l’homme ».
Mon pays est libre, sur sa branche j’ai construit mon nid,
Un bout d’amour y est mon pain de jour et de nuit,
Je souhaite que mon fils vive et que l’injustice s’évanouisse,
Que le soleil ne dépeigne que la lumière sur mon visage.
Extrait du recueil Al-Messaharati
L’érudit populaire
Haddad est une figure iconoclaste du poème dialectal égyptien, nommé le père des poètes. Ses poèmes étaient chantonnés place Tahrir lors de la révolution du 25 janvier 2011. Son recueil de poèmes, Ahrar Waraä Al-Qodbane (des libres derrière les barreaux), écrit en 1956 après sa sortie des geôles nassériennes, est une référence qui a inspiré les opposants et la gauche arabe.
Fouad Haddad est né fin octobre 1928 dans le quartier de Daher, au Caire, d’une famille protestante d’origine syro-libanaise. Erudit, il puise dans le patrimoine de la poésie arabe et dans sa connaissance de la littérature française. Il est considéré, avec Salah Jahine, comme un pilier du poème dialectal égyptien.
30 ans après sa mort, il est largement oublié. Seul l’hebdomadaire Al-Qahéra s’est souvenu de lui et lui a consacré un numéro spécial la semaine dernière. Parmi l’oeuvre colossale de Fouad Haddad, Hanebni Al-Sad (nous allons construire le Haut-Barrage) en 1956, Al Messaharati (figure populaire iconique de celui qui fait l’appel pour le dernier repas lors du mois du Ramadan) en 1969 et Kelmet Masr (le mot de l’Egypte) en 1975.
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