Abdel-Rahman Al-Abnoudi, un des pionniers de la poésie dialectale.
Beaucoup de grands noms de la vie culturelle en Egypte nous ont quittés au mois d’avril : le poète Salah Jahine, le compositeur Sayed Mékkawi et le romancier Yéhia Al-Taher Abdallah. La semaine dernière, Abdel-Rahman Al- Abnoudi a lui aussi quitté notre monde. Le poète égyptien, célèbre pour son utilisation de l’arabe dialectal égyptien et son vocable de Haute-Egypte dans son oeuvre, est décédé à l’âge de 76 ans des suites d’une opération neurochirurgicale. Il a été enterré dans la ville d’Ismaïliya, au nord-est de l’Egypte, où il s’était installé ces dernières années pour échapper à la pollution du Caire.
Né en 1939 dans la province de Qéna, en Haute-Egypte, Al- Abnoudi était surnommé Al-Khal ou « l’oncle », une expression utilisée par les habitants du sud pour exprimer leur affection et leur respect. Avec ses deux confrères, le poète Amal Donqol et le romancier Yéhia Al-Taher Abdallah, il formait le trio culturel de la Haute-Egypte. Abnoudi a construit sa célébrité à travers ses oeuvres en dialecte égyptien, participant à l’essor et à la popularisation de cet art dont il est devenu l’un des maîtres.
Il est notamment connu pour avoir compilé une épopée du héros arabe médiéval, Abou- Zeid Al-Hilali, et de sa tribu qui a parcouru le monde arabe, du Yémen au Maghreb. Le poète a ainsi passé 35 ans de sa vie à rassembler les poèmes de cette épopée en Egypte, mais également en Tunisie, au Maroc et en Arabie saoudite, et en a publié plusieurs volumes.
« Abnoudi avait sa propre vision dans la poésie. Quelques critiques pensent qu’il fait partie de l’école du poète Fouad Haddad. Mais ils ont tort. Je pense qu’il a d’abord eu recours à l’image poétique. Quand il dit : Notre pays est sur la rivière se lavant les cheveux, c’est une image poétique qui attire l’attention. Haddad, par contre, s’occupait de la musicalité des mots. Abnoudi est le fils de la nature rurale en Haute-Egypte. Les images dans son oeuvre sont inspirées de sa vie dans le petit village d’Abnoud, à Qéna, et du patrimoine populaire », explique Abdo Gobeir, romancier et chroniqueur. « Il est incomparable dans son imagerie poétique et dans son dialecte saïdi avec lequel il lisait ses poèmes », ajoute-t-il.
Abnoudi a révolutionné non seulement le contenu de la poésie dialectale égyptienne, mais aussi sa forme. Il y a eu la poésie romanesque, comme dans le recueil intitulé Ahmad Sémaein. Il y a eu aussi des recueils de lettres, dans lesquels il raconte l’histoire de la construction du Haut-Barrage d’Assouan, à travers des lettres échangées entre l’ouvrier Hiragi Al-Qott et sa femme, Fatma Ahmad Abdel-Ghaffar. Puis la cause palestinienne et les condoléances d’Abnoudi pour son ami le caricaturiste palestinien Nagi Al-Aly.
« Quand je suis allé voir les étapes de la construction du Haut-Barrage et quand je suis allé à Suez, après la défaite, je ne l’ai pas fait pour écrire, mais parce que l’Egypte était là-bas. J’ai raconté dans mes poèmes ce que j’ai senti. C’est tout ! », disait-il en 2001, après avoir gagné le prix d’Estime de l’Etat pour la littérature.
L’arme des mots
Abdel-Rahman Al-Abnoudi s’est aussi fait connaître en tant que parolier, notamment au service de l’icône égyptienne de la chanson, Abdel-Halim Hafez, pour qui il a composé des romances, mais aussi des chants patriotiques. « Je pense qu’avant Abnoudi, la chanson était toujours attribuée au chanteur. Mais après la défaite de 1967, Abnoudi a commencé à composer des chansons pour encourager les Egyptiens qui traversaient une mauvaise période. Le succès de Adda Al-Nahar (le jour baisse) a dépassé les frontières pour semer l’espoir dans tous les pays arabes. Son serment Ahlef Bésamaha we Bétrabha (je jure par son ciel et sa terre) fut chanté au début de presque tous les concerts. Depuis, la chanson est attribuée à celui qui l’a écrite », assure Youssef Al-Qaïd, écrivain. Après la victoire d’Octobre 1973, Abnoudi compose une autre chanson pour Abdel-Halim : Sabah Al-Kheir ya Sina (bonjour Sinaï).
Les poèmes et chansons écrits par Abnoudi sont aussi considérés comme une documentation des grands événements qui ont touché l’Egypte, notamment la révolution du 25 janvier 2011 et celle du 30 juin 2013. Sa position après le 30 juin a suscité un débat sur ses idées et ses oeuvres. Les intellectuels interrogés par Al-Ahram Hebdo refusent cependant de commenter ce débat et préfèrent laisser le jugement au lecteur. « Son poème Al-Midan (la place) raconte la révolution du 25 janvier 2011. C’est lui qui a dit : Etat de vieillards, il est temps de partir ! C’est lui qui a écrit le poème Le Rire des prisonniers pour dénoncer l’emprisonnement et la torture des Egyptiens. Pour moi, il n’y a pas de contradiction entre ses idées et ce qu’il écrit. Il a le droit d’avoir une opinion politique personnelle. Ce qui reste en fin de compte, c’est la poésie », affirme Mohamad Kheir, jeune poète et romancier.
En Egypte, on se souviendra de ses mots : « Les beaux jeunes sont sortis pour changer l’automne en printemps … Un miracle a eu lieu : la victime s’est soulevée contre l’assassin … », « Mon poignet frappera sur la pierre jusqu’au réveil des hommes », « Si tu ne rêves pas avec moi, je serai obligé de rêver tout seul ». Aujourd’hui, après plein d'événements, le peuple égyptien rêve tout seul.
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