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Afifi, le peintre des ouvriers

Névine Lameï, Mardi, 24 mars 2015

L’artiste peintre Fathi Afifi est amoureux du monde ouvrier. Son évocation de l'univers du prolétariat est quasiment unique, du fait de son parcours.

Afifi, le peintre des ouvriers
La foule peinte par Fathi Afifi.

Dans sa nouvelle exposition à la galerie Misr, l’artiste peintre Fathi Afifi fait son come-back après quatre années d’absence de la scène artistique. Signées en 2015, trois oeuvres à l’encre de chine, usant du noir et blanc — une technique chère à l’artiste — sont exposées aux côtés d’un éventail inédit de peintures à l’huile s’aventurant dans le monde des couleurs et signées, elles, en 2014.

Couleurs ou noir et blanc, Afifi ne change pas de thème, il aborde un monde qui lui est très intime : les ouvriers. D’où le titre de l’exposi­tion Prolétariat. Il s’agit d’un monde figuratif qui réussit, grâce à une touche de fantaisie, de montrer l’évolution de l’homme ouvrier à tra­vers son quotidien.

« L’homme et ses problèmes ne changent pas avec le temps. Ses soucis et ses préoccupations sont les mêmes. Une matière intarissable pour toutes innovations artistiques », souligne Fathi Afifi. Il se présente comme un homme qui vit parmi le peuple en tant qu’artiste, il constitue « un courant à part », dit-il, pour éviter toute étiquette. Ce qui est clair dans son art, plein de contrastes, ce sont les sentiments que provoque cette « foule en bousculade » récurrente dans ses peintures : joie de vivre, tristesse, volonté d’évasion, de solitude et de tendresse.

Né dans le quartier populaire et très animé de Sayéda Zeinab, Fathi Afifi était lui-même ouvrier dans une usine, une phase de sa vie qu’il évoque avec fierté. Il est resté amoureux du quotidien des ouvriers qu’il a partagé pendant des années. Un univers qui a marqué à jamais son art. La foule garde une place de préférence dans ses oeuvres, c’est le symbole de la fusion, de la communication entre les gens, les généra­tions ...

Afifi appartient à la génération des années 1970. « Une génération dotée d’un sens du patriotisme et d’un sentiment de révolte contre le capitalisme sauvage, la corruption et le favo­ritisme », dit-il. D’où la délectation qui accom­pagne ses souvenirs des jours passés sur la place Tahrir lors de la révolution de 2011. « Pain, liberté et égalité sociale sont des réclamations populaires qui me réjouissaient le coeur. Hélas, suite à ces 18 jours de révolte, je me suis retrouvé dans une dépression totale. La scène ne m’était pas assez claire. J’ai préféré arrêter de travailler, prendre du recul et me contenter d’observer », se souvient-il.

Etats d’âme
Ancien ouvrier, défenseur des ouvriers, il ne manque pas pourtant de se laisser emporter par l’inquiétude, la solitude et l’oppression qu’évoque cet univers ... des sentiments qu’il exprime en tant qu’artiste. D’où les toiles repré­sentant le jour de la paye, le caissier derrière le guichet, les ouvriers faisant la queue qu’on voit de profil, ou alors cette peinture illustrant le contremaître avec ses ouvriers, ou encore celle de l’ouvrier à vélo portant une planche à pain sur la tête. Et les scènes déferlent : des ouvriers qui font une pause ; un wagon de train de 3e classe avec des passagers simples et épuisés après une journée de travail ; une station de métro où les usagers en bousculade ne sont plus qu’un ensemble flou. Avec ses protagonistes-ouvriers, l’artiste multiplie les scènes mouve­mentées, évoquant à tout temps un même des­tin, « un destin certes dramatique, mais tout aussi intime et fraternel », dit-il.

Et qui dit ouvrier dit machine. A côté de laquelle, dans les peintures de Afifi, les hommes se réduisent à de petites taches presque iden­tiques. « Nous sommes souvent des esclaves de la technologie. J’ai aimé capter cette scène d’en haut, comme vue par un oiseau, en utili­sant essentiellement le noir et blanc », com­mente Afifi.

« Je recours au noir et blanc lorsque je me sens déprimé », explique-t-il. « Alors que le bleu répond à une réalité faite de tension. C’est aussi la couleur de l’uniforme, et ça me rend nostalgique. Une nostalgie que je ressens éga­lement dans quelques-unes de mes peintures aux couleurs gaies et vivantes, celles de mon quartier de naissance ».

4 a, rue Ibn Zanki, Zamalek. Jusqu’à fin mars, de 10h à 21h (sauf le vendredi).

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