Si nous attrapions un cobra de la cinéaste syrienne Hala Alabdallah
Il semblerait qu’il y ait un rapport de force ironique continuel entre l’art et la politique. Le public arabe oscille toujours entre impatience et attente alors que les artistes rendent hommage au vent de liberté qui a secoué la région. Deux ans après le soulèvement du Printemps arabe, le Festival international du film du Caire prolonge l’esprit révolutionnaire qui a alimenté les événements en projetant plusieurs films venant entre autres d’Egypte, de Syrie, de Tunisie, d’Algérie et de France. Ces films plongent le spectateur dans l’univers du Printemps arabe. L’ouverture a été ainsi marquée par la projection du film Winter of Discontent (Al-Chetta elli fat), une oeuvre de retour en Egypte après avoir été primée à plusieurs reprises à l’étranger. Malgré l’acclamation presque unanime du film, l’absence des comédiens, dont notamment la vedette Amr Waked qui a préféré se rendre place Tahrir pour protester contre la nouvelle Constitution, a créé une confusion lors de la projection débat. Certains critiques cinématographiques comme Khaïriya Al-Beshlawi allant jusqu’à considérer cette absence comme un réel affront au festival et au public.
Le festival avait aussi levé le voile sur des régions de la révolution qui sont restées dans l’ombre, en particulier Bahreïn où il est presque impossible de pénétrer lorsque l’on est journaliste ou réalisateur. C’est à travers l’oeuvre de Stéphanie Lammorré, Bahreïn : plongée dans le pays de l’interdit, qu’on a pu partager la vie des insurgés et de ceux qui se battent pour la démocratie face à une répression quotidienne, violente et implacable. Le public a enfin pu se faire une idée sur ce qui se passe réellement dans ce pays, grâce à la réalisatrice qui nous rapporte le récit de son immersion à travers le regard de trois femmes. Des activistes courageuses qui expliquent à quel point leur révolution est invisible, et la difficulté à montrer et reconnaître une insurrection bien réelle. Ce sont là, trois destins, trois regards sur ce pays interdit de la révolution arabe et oublié de l’Occident. Le film réussit brillamment à briser l’image figée, qu’avait le reste du monde, d’un Bahreïn riche, moderne et en plein essor.
Le Printemps arabe a été dès son amorce accompagné d’une importante production artistique. Les caricaturistes, comme Dilem en Algérie, Z en Tunisie ou encore Ali Ferzat en Syrie, ont suivi les tribulations des dictateurs en sursis de la pointe de leur plume pour prolonger graphiquement ces révolutions en marche, à travers de courtes B.D. et des dessins de presse. C’est ce qu’a illustré durant le Festival du Caire le film Si nous attrapions un cobra de la cinéaste syrienne Hala Alabdallah. Cette oeuvre a cependant failli se retirer de la compétition dans la catégorie des droits de l’homme peu avant l’ouverture officielle. Alabdallah refusait en effet de participer au festival aux côtés du film The Lover de Abdel-Latif Abdel-Hamid, production de l’Institut du cinéma syrien (dépendant de l’Etat), qui a finalement été écarté par la direction du festival.
Alors que le Printemps arabe joue les prolongations, arrivent ces tentatives cinématographiques de synthèse de cette période de changement intense. Avec ce passage à l’acte, la révolution atteint aussi le cinéma et les cinéastes qui franchissent leur peur et prennent conscience de l’importance de conquérir et de conserver leur espace d’expression.
Malgré cet arrière-plan, et malgré les espoirs des organisateurs du festival qui rêvaient de marquer cette étape de l’Histoire dans cette édition, l’ambiance était contrastée et elle a été traversée de crises. L’un des films égyptiens, In Search of Sand and Oil, de Waël Omar s’est retiré volontairement du festival, provoquant une grande déception parmi les membres du jury qui restent dans l’incompréhension des véritables motifs de ce retrait. Plusieurs vedettes égyptiennes comme Menna Fadali ou Basma ont crié leur refus de participer au festival et appelé via leurs comptes Facebook et Twitter à le boycotter, considérant qu’il est inadmissible de maintenir ces projections alors qu’à quelques centaines de mètres de la place Tahrir, les foules sont mobilisées dans une effervescence digne de la révolution pour trouver une issue à la crise politique actuelle. « J’envie vraiment mes consoeurs d’avoir eu le courage d’aller se coiffer et s’exposer aux projecteurs du tapis rouge, à deux pas de Tahrir », déclarait ainsi furieusement et sarcastiquement la comédienne Basma via son compte Twitter.
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