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Les artistes font leur révolution

Houda El-Hassan, Mardi, 17 février 2015

Bien qu'il soit sorti en Algérie il y a deux ans, Normal n'est projeté dans les autres salles du Maghreb que depuis deux semaines. Ce film de Merzak Allouache est un hommage aux révolutionnaires en herbe Made in Algeria, et sans doute l'un des meilleurs films du moment.

Les artistes font leur révolution
Normal, les idées rebelles commencent ici.

Faouzi est réalisateur de profession. Il est très attaché à sa femme même si tout les sépare : convictions artistiques, politiques et sociales. Cependant, ils filent le parfait amour et leurs discussions ne virent jamais aux dis­putes. Bien au contraire, ils se complètent.

Au commencement du film, Yasmina est en train de préparer une grande banderole sur laquelle elle écrit : « L’Algérie est libre et démocratique ». A cet instant même, son mari est en train de visionner une vidéo Youtube sur les émeutes de 2011 qui ont eu lieu à Alger, à quelques pas de sa maison. Sa femme est déci­dée à sortir manifester pacifiquement. Quant à lui, il n’a qu’une idée en tête : convaincre sa douce moitié de ne pas mettre les pieds dehors jusqu’à ce que les « choses rentrent dans l’ordre ». Parce que, selon ses convictions sociopolitiques, une révolution peut si bien être artistique, cinématographique ou cultu­relle. Selon lui, sortir manifester c’est se mettre dans la gueule du loup, voire se suicider.

Sa femme, elle, sait que beaucoup de sang a coulé en Algérie, lorsque les islamistes ouvraient le feu sur les défenseurs de la liberté d’expression, et ce, au vu et au su de tout le monde. Mais elle était ferme : parler, manifes­ter, marcher, faire partie des foules, c’est exis­ter et faire entendre sa voix, quelqu’en soient les circonstances et les réactions étatiques.

Faire des concessions

Le jeune couple a convenu de laisser ces discussions de côté et d’inviter leurs amis acteurs et scénaristes dans le but de leur mon­trer le film que Faouzi a préparé sur l’art révo­lutionnaire algérien et de relancer le débat quand ce beau monde sera réuni. Une fois l’unanimité et l’entente se sont réinvitées au sein du couple, lorsque leurs amis ont répondu favorablement à son invitation, l’atmosphère est devenue p ropice au débat et aux échanges fructueux.

Le jour J étant venu, les amis du couple ont débarqué. Ensemble, ils se sont réunis dans une petite salle afin de visionner le film, ou plutôt sa partie montée et fignolée. Le com­mencement du film documentaire intitulé Normal met en scène un groupe d’acteurs qui ont décidé de frapper à la porte d’un célèbre festival algérien, pour faire connaître leur documentaire tourné sur la scène artistique du pays. Hostile aux arts révolutionnaires, la directrice du festival s’oppose fermement à l’idée de la subvention, accusant leur film d’être subversif et incohérent, parce qu’il vise, en premier lieu, les groupes de hard rock et les troupes de danses africaines, qui n’au­raient, selon elle, rien à voir avec l’identité de l’Algérie.

Par la suite, les personnages du film décident de cotiser et de s’autofinancer. Les scènes d’après montrent, tour à tour, les troupes de danses africaines, les rockeurs, leur militan­tisme et leur envie de participer aux change­ments radicaux en Afrique. La couverture médiatique cherche à rabaisser ces artistes et les assimiler à des voyous. La force du tissu artistique et cinématographique et le film res­tent en suspens, à l’image de l’état du militan­tisme artistique en Algérie qui, malgré son envie de réinventer le monde, se trouve confronté à l’indifférence étatique …

Vers la fin du film, le débat est relancé entre Yasmina, Faouzi et leurs amis. On s’interroge à notre tour sur la place de la création aujourd’hui en Algérie. Comment créer sans se confronter à la censure ? Comment résister ? Cinéaste témoin de l’Algérie contemporaine, Merzak Allouache présente une nouvelle vision de la jeunesse de son pays, aujourd’hui en plein questionnement politique et artistique. Il partage sa fatigue intellectuelle et son désar­roi face à un quotidien morne et banal.

Certainement, la technique du « film dans le film » peut s’apparenter à un éternel exercice de concentration, mais le réalisateur Merzak Allouache a joué le jeu avec magnificence et finesse. Il s’est livré à l’autocritique d’un de ses films inachevés, pour évoquer l’échec de la jeunesse algérienne à importer la révolution arabe. Ayant commencé le tournage en 2009, il suit ses personnages jusqu’en 2011, en les fai­sant évoluer à la lumière des nouvelles interro­gations issues des révolutions arabes. D’où des réactions à chaud et la fraîcheur d’une troupe de jeunes acteurs.

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