Costumes et bijoux dispersés par-ci et par-là, à l’hôtel Viennoise, au centre-ville cairote ... Mannequins bien habillés, à l’entrée. Certains vêtements qui remontent à l’époque ottomane, d’autres ont une référence plutôt médiévale, parfois folklorique égyptienne ... La jeune styliste de costumes et bijoux et photographe Nermine Saïd se prête à un jeu de scénographie théâtrale. Elle anime son propre carnaval, à la fois absurde, ironique et amusant. Et ce, à travers l’exposition d’installations Khotoum (sceaux).
Diplômée en théâtre à l’Université américaine du Caire, l’artiste a également obtenu un diplôme en mode et stylisme à l’Université de Pennsylvanie en 2002. Elle a suivi des études en folklore, à l’Académie égyptienne des arts, en 2005. D’où ses installations-costumes/bijoux et photos, exposées actuellement à l’hôtel Viennoise.
Le mélange ressemble bel et bien à l’artiste qui s’intéresse notamment à l’analyse des personnages et à la psychologie des couleurs. « Par Khotoum, je désigne allégoriquement la condition de la femme et ses droits en société. Une société faite de contraintes et de tabous », déclare Nermine Saïd.
Chacune des 4 salles de l’hôtel est consacrée à une toile de l’artiste-peintre égyptien Abdel-Hadi Al-Gazzar (1925-1966). Le principal protagoniste des tableaux de Gazzar est remplacé par une femme prise en photo par Sameh Wassef, d'après une mise en scène signée Nermine Saïd. Une femme qui se trouve très à l’aise dans l’univers de Gazzar, pigmenté de motifs populaires. Autour de ses figures féminines, il y a toujours des installations costumes-bijoux, comme à l’entrée, faisant allusion à des époques historiques très différentes. « Je constate qu’à la différence des temps, rien n’a changé. La condition des femmes reste la même. Maintenant, il faut savoir dire non », souligne Saïd.
Le Fou vert, Mariage de Zeleikha, La Femme au bracelet de cheville et La Faim, telles sont les toiles de Gazzar reprises par la jeune photographe. Il s’agit d’oeuvres réalisées toutes entre 1940 et 1960, lesquelles sont réputées pour leur surréalisme populaire. Les couleurs et motifs populaires d’Al-Gazzar reflètent à merveille l’âme de la société égyptienne de tout temps. Nermine Saïd se sert, elle aussi, d’un langage aussi symbolique, afin d’accentuer cette même atmosphère, en lui accordant une touche moderne.
Griefs de femmes
Dans Le Fou vert, Al-Gazzar évoquait la superstition et le mauvais sort qu’on peut jeter à quelqu’un à travers un protagoniste chauve, devenu vert, entouré de motifs populaires d’usage contre le mauvais oeil (main de Fatma, oeil d’Horus...). Nermine Saïd remplace ce Fou vert par une femme fardée, toujours en vert, avec des ongles très longs et sauvages. Il faut sortir ses griffes ?
« On répète que nous vivons dans une société qui respecte les droits de la femme. Mais c’est du n’importe quoi. Cela n’est pas vrai. Dans la rue, nous souffrons de harcèlement, de discrimination, etc. Dans mes photos, je me révolte contre cette injustice sociale », explique l’artiste.
Dans Mariage de Zeleikha, c’est le bleu qui prime. Saïd préserve à la protagoniste son air affligé, pour traiter du mariage des mineurs. En robe bleue satinée et bouffante, elle a deux nattes, des chaussons blancs et des chaussures noires. Bref, une tenue d’écolière, symbole du mariage précoce.
Ensuite, elle passe de l’âge de l’innocence à l’esclavage, avec La Femme au bracelet de cheville. Loin de la nudité adoptée par Al-Gazzar, la jeune styliste focalise sur la lumière, sur le bracelet de cheville, synonyme de servitude et de soumission. Ce bracelet, offert normalement à la femme lors de son mariage, est porté par le modèle de Saïd, non à la cheville, mais sur la bouche. Du coup, elle devient comme une jument bridée ou muselée.
Femme assujettie, mais aussi laborieuse et misérable, en face de plats vides: c’est Le Choeur du peuple ou La Faim. Des huit personnages féminins d’Al-Gazzar, elle n’a gardé qu’un seul, « la laborieuse », vêtue d’un kimono de geisha, rouge, à manches longues. Maquillage outré et perruque viennent accentuer l’aspect de la femme objet sexuel. « A la fois belle et ligotée, elle doit avant tout satisfaire les besoins de son mari, tout en luttant contre la faim. C’est la vie », conclut l’artiste.
Jusqu’au 3 décembre, de 10h à 21h (sauf le vendredi). 7, rue Champollion, centre-ville.
Lien court: