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Savoir dire non  !

Névine Lameï, Mardi, 18 novembre 2014

La styliste Nermine Saïd décrit à sa manière la condition féminine au sein de la société égyptienne. Elle s'inspire notamment de quatre oeuvres phare du peintre Abdel-Hadi Al-Gazzar.

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Le Fou vert version Nermine Saïd.

Costumes et bijoux dispersés par-ci et par-là, à l’hôtel Viennoise, au centre-ville cairote ... Mannequins bien habillés, à l’entrée. Certains vêtements qui remontent à l’époque ottomane, d’autres ont une référence plutôt médiévale, parfois folklorique égyptienne ... La jeune styliste de costumes et bijoux et pho­tographe Nermine Saïd se prête à un jeu de scénographie théâtrale. Elle anime son propre carnaval, à la fois absurde, ironique et amu­sant. Et ce, à travers l’exposition d’installa­tions Khotoum (sceaux).

Diplômée en théâtre à l’Université améri­caine du Caire, l’artiste a également obtenu un diplôme en mode et stylisme à l’Université de Pennsylvanie en 2002. Elle a suivi des études en folklore, à l’Académie égyptienne des arts, en 2005. D’où ses installations-costumes/bijoux et photos, exposées actuellement à l’hô­tel Viennoise.

Le mélange ressemble bel et bien à l’artiste qui s’intéresse notamment à l’analyse des per­sonnages et à la psychologie des couleurs. « Par Khotoum, je désigne allégoriquement la condition de la femme et ses droits en société. Une société faite de contraintes et de tabous », déclare Nermine Saïd.

Chacune des 4 salles de l’hôtel est consa­crée à une toile de l’artiste-peintre égyptien Abdel-Hadi Al-Gazzar (1925-1966). Le prin­cipal protagoniste des tableaux de Gazzar est remplacé par une femme prise en photo par Sameh Wassef, d'après une mise en scène signée Nermine Saïd. Une femme qui se trouve très à l’aise dans l’univers de Gazzar, pigmenté de motifs populaires. Autour de ses figures féminines, il y a toujours des installations costumes-bijoux, comme à l’entrée, faisant allusion à des époques historiques très diffé­rentes. « Je constate qu’à la différence des temps, rien n’a changé. La condition des femmes reste la même. Maintenant, il faut savoir dire non », souligne Saïd.

Le Fou vert, Mariage de Zeleikha, La Femme au bracelet de cheville et La Faim, telles sont les toiles de Gazzar reprises par la jeune photographe. Il s’agit d’oeuvres réali­sées toutes entre 1940 et 1960, lesquelles sont réputées pour leur surréalisme populaire. Les couleurs et motifs populaires d’Al-Gaz­zar reflètent à merveille l’âme de la société égyptienne de tout temps. Nermine Saïd se sert, elle aussi, d’un langage aussi symbo­lique, afin d’accentuer cette même atmos­phère, en lui accordant une touche moderne.

Griefs de femmes

Dans Le Fou vert, Al-Gazzar évoquait la superstition et le mauvais sort qu’on peut jeter à quelqu’un à travers un protagoniste chauve, devenu vert, entouré de motifs populaires d’usage contre le mauvais oeil (main de Fatma, oeil d’Horus...). Nermine Saïd remplace ce Fou vert par une femme fardée, toujours en vert, avec des ongles très longs et sauvages. Il faut sortir ses griffes ?

« On répète que nous vivons dans une socié­té qui respecte les droits de la femme. Mais c’est du n’importe quoi. Cela n’est pas vrai. Dans la rue, nous souffrons de harcèlement, de discrimination, etc. Dans mes photos, je me révolte contre cette injustice sociale », explique l’artiste.

Dans Mariage de Zeleikha, c’est le bleu qui prime. Saïd préserve à la protagoniste son air affligé, pour traiter du mariage des mineurs. En robe bleue satinée et bouffante, elle a deux nattes, des chaussons blancs et des chaussures noires. Bref, une tenue d’écolière, symbole du mariage précoce.

Ensuite, elle passe de l’âge de l’innocence à l’esclavage, avec La Femme au bracelet de cheville. Loin de la nudité adoptée par Al-Gazzar, la jeune styliste focalise sur la lumière, sur le bracelet de cheville, synonyme de servitude et de soumission. Ce bracelet, offert normalement à la femme lors de son mariage, est porté par le modèle de Saïd, non à la cheville, mais sur la bouche. Du coup, elle devient comme une jument bridée ou muselée.

Femme assujettie, mais aussi laborieuse et misérable, en face de plats vides: c’est Le Choeur du peuple ou La Faim. Des huit person­nages féminins d’Al-Gazzar, elle n’a gardé qu’un seul, « la laborieuse », vêtue d’un kimo­no de geisha, rouge, à manches longues. Maquillage outré et perruque viennent accen­tuer l’aspect de la femme objet sexuel. « A la fois belle et ligotée, elle doit avant tout satisfaire les besoins de son mari, tout en luttant contre la faim. C’est la vie », conclut l’artiste.

Jusqu’au 3 décembre, de 10h à 21h (sauf le vendredi). 7, rue Champollion, centre-ville.

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