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Festival international du cinéma du Caire : Ode à la Souffrance

Yasser Moheb, Lundi, 10 novembre 2014

Le film d’ouverture du Festival du film du Caire, The Cut (la blessure), oblige son réalisateur Fatih Akin à être en butte aux ultranationalistes de son pays d’origine, la Turquie. Une oeuvre sur le génocide arménien commis en 1915, mais aussi sur les guerres et conflits politiques contemporains

Ode à la souffrance
Un témoignage contemporain sur le génocide arménien, livré par un Turc.

Un sujet tabou, interdit et dangereux, mais j’ai le cou­rage de l’aborder sur les écrans, en faveur de ceux qui ont perdu gratuitement leur vie ». C’est ainsi que le réalisateur allemand d’origine turque, Fatih Akin, décrit son film, The Cut (la blessure), pro­jeté à l’ouverture de cette 36e édition du Festival international du film du Caire.

The Cut est le troisième volet de la trilogie de Fatih Akin sur l’Amour, la Mort et le Diable, après Head On et De l’autre côté, primé au Festival de Cannes. Faisant sa première interna­tionale cette année à la Mostra de Venise, The Cut revient sur le géno­cide arménien de 1915 qui a causé la mort de près d’un million et demi de chrétiens, majoritairement armé­niens, mais aussi grecs.

Pendant la Première Guerre mon­diale, les Ottomans ont tué 1,5 mil­lion d’Arméniens, selon eux et qui parlent de « génocide ». La Turquie, elle, refuse ce terme et dément ce chiffre, avançant qu’il y a eu au maximum 500 000 victimes armé­niennes, et elles ont péri dans les combats ou sont mortes de faim. The Cut raconte alors l’histoire d’un homme qui vit à Mardin, une ville du sud-est de la Turquie, lequel a échap­pé au massacre des Arméniens en 1915 et est parti à la recherche de ses filles.

Dans la presse internationale, Fatih Akin a souligné que la Turquie est « assez mûre » pour recevoir et accepter ce film. « Je dis à ceux qui ont peur : Ce n’est qu’un film. Mais je suis sûr que la société turque, dont je fais partie, est assez mûre pour l’accueillir ». Cependant, le film déclenche, et sans surprise, une vive critique en Turquie, au point de valoir à son réalisateur des menaces de mort.

Face à de telles difficultés, il a fallu huit ans pour Akin pour faire aboutir son projet, vu qu’il a dû affronter de multiples obstacles, entre autres l’impossibilité de trou­ver un comédien turc pour jouer le personnage principal du film.

Le jeune cinéaste tenait à ce que le rôle soit joué par un Turc, croyant à l’importance de faire « un film turc ». « Un acteur français ou américain n’aurait pas pu jouer le personnage de Hrant Dink », a-t-il déclaré avant la projection de son film à la Mostra de Venise. « C’est à nous – les Turcs — de nous confronter à cette question », a-t-il indiqué.

Mais finalement, il a renoncé à confier le rôle principal à un Turc, se trouvant dans l’obligation de céder celui-ci à Tahar Rahim, jeune comé­dien français d’origine algérienne. Ce dernier a excellé à incarner Nazaret, jeune maréchal-ferrant, vic­time de l’armée turque en 1915.

Comme l’indique son nom, Nazaret Manoogian a le malheur de faire par­tie des Arméniens chrétiens. Une nuit, l’armée frappe à sa porte pour l’incor­porer de force. Après quelques dizaines de mois à casser des pierres dans le désert, on lui propose comme à d’autres prisonniers de se convertir à l’islam. Les désobéissants comme lui sont malheureusement égorgés, mais Nazaret tombe sur un bourreau sen­sible qui lui laisse la vie sauve, non sans lui avoir quand même scindé les cordes vocales, ce qui le réduira au silence pour le reste du film.

Libéré, Nazaret découvre que seules ses filles jumelles ont survé­cu aux horreurs de la guerre, et il entreprend de les retrouver au cours d’un déplacement qui le mènera à Cuba puis dans différents Etats d’Amérique par la Floride.

Illustration somptueuse mais fade

Côté forme, le scénario co-écrit par Mardik Martin rassemble une certaine beauté visuelle et une belle photo panoramique en 35 mm, pour donner au film des touches de superproduc­tion hollywoodienne. Toutefois, on a parfois, durant les 140 minutes du film, l’impression d’une succession de scènes d’exposition, presque toutes sur le même rythme. D’ailleurs, le dialogue s’avère parfois trop simpli­fié, et le fait de faire parler les person­nages arméniens en anglais, alors que toutes les autres langues sont sous-titrées, n’était pas la bonne solution pour rendre le public attaché ou proche du contenu.

Akin cherche clairement à s’adres­ser à un public contemporain, que ce soit à travers le dialogue ou à travers une bande musicale électrique, qui ne va pas avec ce genre de films histo­riques. Par ailleurs, certaines images rappellent les guerres actuellement en cours au Moyen-Orient, avec les camps de réfugiés et la souffrance gratuite des citoyens, mais d’un point de vue propre au réalisateur.

En ce qui concerne l’interprétation dans cette épopée, Tahar Rahim prouve une fois de plus ses grandes capacités de changer de peau selon le personnage, ou plutôt selon le défi. Il excelle à se servir de son talent face à ce rôle presque muet, exigeant donc un jeu physique bien travaillé, malgré certains moments de platitude dans le rythme. Car le scénario se résume en une série de témoignages parfois excessifs. Toutefois, cela ne change rien à la qualité du film, saisi comme une belle illustration, bien perfection­née quoique directe .

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