Eau argentée, Syrie Autoportrait. Jamais un film dédié à une révolution arabe n’avait autant alimenté le débat sur la liberté d’expression artistique, et plus particulièrement cinématographique, que ce chef-d’oeuvre. La cause en est la suivante: bien qu’ils aient été censurés et interdits de filmer les moindres images ou scènes des assassinats politiques commis à Homs en 2011, en 2012 et puis en 2013, les coréalisateurs syriens Ossama Mohamad et Wiam Simav Bedirxan ont réussi à donner naissance à un film qui relate les tenants et les aboutissants de la révolution syrienne. Comment? En optant pour le Found Footage, une procédure de montage qui consiste à passer en revue plusieurs scènes, séquences et images d’archives qui s’articulent autour d’une même thématique. « J’ai fait la connaissance de Wiam grâce au Facebook. Elle m’a contacté au lendemain de l’éclatement du drame syrien, lorsqu’elle a appris que je suis muselé par les forces du régime syrien. Elle m’a parlé de son désir de collaborer avec moi et de son enthousiasme pour l’idée du Found Footage via le site communautaire Youtube», explique Ossama Mohamad.
Le réalisateur syrien est réfugié à Paris depuis 2011. Malgré la distance, il n’a jamais coupé le cordon avec la mère patrie. D’ailleurs, en bon citoyen engagé, il suivait, grâce aux réseaux sociaux, le désastre syrien qui n’a que longuement duré, et ce, de jour comme de nuit. Lorsqu’il n’était pas connecté aux réseaux sociaux, il zappait les chaînes satellitaires et inversement. « Lorsque les médias du monde se plaisaient à chercher des appellations à cette guerre, moi je lui en avais trouvé une et une seule. C’était une guerre d’images plus qu’autre chose ». Et c’est l’idée principale que l’on retrouve dans Eau argentée. Des images qui se contredisent. Car le film Maa Al-Fidda, en arabe, aborde la guerre en Syrie par le biais des dizaines de vidéos Youtube amateurs compilées. Par-ci des scènes qui incriminent les gardiens du régime, par-là des démentis qui se confirment en passant par les corps de nouveau-nés sauvés par les rebelles islamistes et des assassinats commis par les hommes du palais.
Les scènes d’Eau argentée sont crues, dans le sens dramatique du terme. Les cris, les pleurs, les corps déchiquetés, les femmes pleurant leurs chérubins à chaudes larmes, mais aussi la guerre des images elle-même, font que ce film est tout au moins bouleversant. A la guerre et à la révolution s’ajoute le drame des versions contradictoires des médias... qui est lui aussi invivable. Certaines scènes montrent des cadavres de bébés entassés les uns sur les autres avec comme commentaire : « Des terroristes ont trouvé la mort suite à une explosion d’origine inconnue ».
Homs, capitale de la révolution
Les atrocités de la guerre narrées par des vidéos compilées.
Le film est donc fortement déconseillé aux âmes sensibles ou à toutes les personnes qui abhorrent le mensonge politico-médiatique. Seulement voilà, à tout point de vue, il est plus vrai que naturel. Les images se contredisent, certes, mais c’est ainsi que le public devient le seul maître de la situation et s’approche de manière tangible et cohérente de ce qui se passe réellement à Homs, Alep, Damas et dans les camps des rebelles à Yarmouk. «
Homs est de loin la capitale de la révolution syrienne. C’est pour cela que je suis fier de ma collaboration avec Wiam, une jeune femme kurde qui touche du bout des doigts les conflits sectaires qui sévissent dans cette ville », continue le réalisateur.
Mais après l’effort vient le réconfort. En mai dernier, ce travail de longue haleine a agréablement surpris le jury de la dernière édition du Festival de Cannes. De quoi lui avoir valu une séance spéciale, hors compétition, lors de la sélection officielle de la célébrissime rencontre culturelle. Et dire que ce n’était que sa première projection !
Sorti en France en 2014, le film est bien évidemment censuré en Syrie. Actuellement, il est projeté dans la quasi-totalité des salles de cinéma marocains et programmé dans le cadre du Festival international du film du Caire. Il ne tardera pas à envahir les autres salles du Monde arabe.
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