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L’humour au service de la lutte

Névine Lameï, Lundi, 12 novembre 2012

Toucher à l’actualité à travers des œuvres contemporaines d’une fugacité juvénile, sarcastique et sérieuse : c’est ce que propose Hani Rached avec Assahbi. L’artiste affirme désormais clairement vouloir porter la voix de la contestation.

Exposition
L’ironie d’Assahbi sur un char de l’armée.

Retour réussi. Après quelques mois d’arrêt, le jeune artiste prolifique Hani Rached retourne, avec force, à la galerie Machrabiya. Ses peintures sont plus audacieuses et ironiques qu’auparavant et sont réunies sous le titre d’Assahbi (jargon populaire en arabe dialectal qui signifie : ô mon ami). Assahbi est le personnage de caricature « idéal » qu’échangent actuellement les jeunes sur Facebook, pour dénoncer le contexte sociopolitique.

« De 2005 à 2007, mes peintures présentaient un contexte très égyptien, inspiré du pop art et des graffitis : mon style préféré, très spontané et audacieux. Cette série d’œuvres, intitulée Gens du Caire, traitait ironiquement de l’oppression de la sécurité centrale au temps de Moubarak. A l’époque, j’ai été arrêté par la Sûreté d’Etat qui m’a demandé pourquoi je peignais constamment des soldats. Il faut avouer que j’ai eu peur. Raison pour laquelle j’ai arrêté cette série, la plus proche à mon cœur, pour m’orienter, de 2008 à 2010, vers une autre, aux accents plus occidentaux. Les icônes religieuses de l’époque de la Renaissance italienne ou les logos tirés de Googlereflètent pour moi un monde occidental que je critiquais à travers mon style enfantin, spontané et très coloré qui n’est pas sans rappeler les comics et les bandes dessinées », raconte Hani Rached.

Mais avec la révolution du 25 janvier, il s’est débarrassé de sa peur. « Sans crainte, jusqu’au dernier souffle de ma vie, j’aborderai la réalité égyptienne à travers mon art pour dénoncer le malaise social, dont souffre mon pays. C’est ce que j’ai montré dans ma dernière exposition en 2011, au centre Al-Guézira des arts, quelques mois après la chute de Moubarak. Lors de l’exposition, je suis revenu sur ma série d’œuvres occidentales. Je l’ai complètement détruite avec de l’acrylique noir devant le public », poursuit Rached, qui affirme s’être révolté contre lui-même.

Sarcasme

Et la révolte continue. Avec Assahbi, le protagoniste caricaturiste de sa nouvelle exposition à Machrabiya, Hani Rached réattaque, avec sarcasme, la société égyptienne. « Assahbi, avec son expression faciale grimaçante et sarcastique, est une arme efficace pour corriger et dénoncer. Mais aussi pour dédramatiser une situation et caricaturer une personne particulière. Assahbi, créé par un anonyme sur Facebook, évoque le caractère typique d’un conducteur de tok-tokau comportement abusif, responsable des embouteillages, de l’anarchie, de vols, d’actes de baltagaet de harcèlements », poursuit Rached, l’artiste le moins optimiste de sa génération.

Hani Rached a gardé dans ses œuvres le même visage d’Assahbi que celui lancé sur Facebook, à travers la technique du monoprint. Mais dans ses dernières œuvres, le visage d’Assahbi se libère de son style exclusivement caricatural et se dote d’un corps humain ou animal, ajoutant davantage de crédibilité. Ces scènes humoristiques développent des narrations, prennent les atours du conte et se figent dans une vision ontique soulignant la multiplicité des êtres. Lescommentairessociopolitiques demeurent cependant très satiriques tout le long de l’exposition.

Ainsi le personnage d’Assahbi, sous des traits répétitifs de soldats, vient dénoncer la sécurité centrale. Dans une autre peinture, Assahbi s’incarne en Frères musulmans : djellabas et longues barbes. Plus loin, il est dressé sur un char de l’armée pour se moquer du Conseil militaire.

Autre sarcasme : placé dans un jeu de nuances paradoxal, Assahbi prend le corps d’un insecte, d’une poule couarde ou d’une vache sur lesquels montent des personnages identiques qui représentent, selon l’artiste, les jeunes de la révolution, dont il est l’un de ses fidèles témoins. « Si la répétition d’un même motif est signe de monotonie et de l’insolence du quotidien, elle introduit aussi une redondance qui rend compte de l’impossibilité de figer la représentation d’une forme. Ajouter des éléments ou en retrancher d’autres ? Tout est fait dans le but de former ma propre icône qui dénonce le vécu »,conclut l’artiste.

Jusqu’au 12 décembre, de 11h à 20h (sauf le vendredi), à la galerie Machrabiya, 8 rue Champollion, centre-ville

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