Cette année, l’Ouverture Spirituelle du festival de Salzbourg était dédiée à la rencontre de la musique chrétienne avec des expressions musicales en islam.
Quand Alexander Pereira, il y a trois ans, a été chargé de la direction de ce festival prestigieux de musique et de théâtre, il a pris l’initiative de le faire précéder par l’inauguration officielle d’une « ouverture spirituelle ». Et ce, pour rendre hommage à la ville de Salzbourg, considérée comme un fief du catholicisme.
Ainsi, les oratoires et messes de Monte Verdi, Haydn, Haendel et Mozart ont précédé les opéras, concerts, pièces de théâtre, et ont été interprétés par les meilleurs orchestres du monde. En même temps, Alexander Pereira, qui va prendre à partir de cet automne la direction de la Scala de Milan, a voulu montrer que Salzbourg est une ville ouverte à toutes les expressions artistiques. D’où l’idée d’intégrer dans l’Ouverture Spirituelle une rencontre avec d’autres religions, laquelle s’est avérée très fructueuse. La première année, c’était le judaïsme, l’année passée, le bouddhisme, et cette année-ci, l’islam.
Les expressions musicales en islam étaient représentées par la confrérie soufie Al-Gazoulia, qui a fait pour la première fois son apparition dans un lieu public en dehors du Caire. Et pour accentuer l’aspect d’entente entre les religions, les membres de la confrérie ont accepté avec joie de se présenter dans une église catholique de Salzbourg.
L’immense église de la Kollegienkirche— remplie jusqu’à la dernière place— a vécu ainsi 3 soirées émouvantes, grâce à ces hommes en djellabas blanches formant un cercle avec au milieu le cheikh Salem Al-Gazouly.
La première soirée était dédiée uniquement aux chants soufis: après les acclamations rituelles d’Allah, se sont joints alors les instruments traditionnels: oud, nay, qanoun, douffe et riq. Une atmosphère solennelle dans l’église, face à un public extrêmement attentif, ému et reconnaissant !
La deuxième soirée, toujours dans la Kollegienkirche, a vu la première mondiale d’une oeuvre de Hossam Mahmoud, un compositeur égyptien vivant entre Le Caire et Salzbourg, devenue sa deuxième patrie. C’est lui d’ailleurs qui a recommandé la confrérie Al-Gazoulia aux organisateurs du festival. Avec Seelenfäden (les fils de l’âme), une oeuvre sur commande par les Salzburger Festspiele, Mahmoud a voulu jeter un pont entre les chants soufis traditionnels et son interprétation en musique des derniers mots du fameux poète mystique du XIIe siècle, Al-Hallag.
L’oeuvre de Hossam Mahmoud a regroupé un choeur soufi (Al-Tariqa Al-Gazoulia), un choeur classique (Le Bachchor de Salzbourg), un ensemble instrumental (Ensemble autrichien de musique contemporaine) et l’oud (luth oriental) interprété par le compositeur lui-même. Avec Seelenfäden, Mahmoud a réussi à créer un lien entre les expressions musicales de cultures différentes. Les membres de la confrérie Al-Gazoulia ont fait des louanges d’Allah, de quoi produire une atmosphère très dense. Et les voix de la chorale, elles, racontaient les derniers mots du mystique. Enfin, les instruments de l’ensemble musical venaient accentuer les couleurs orientales, en plaçant le percussionniste au centre de l’interprétation.
Pour la troisième soirée, Frank Stadler, un violoniste de renom, s’est joint aux membres d’Al-Gazoulia, transportant le public dans un monde d’extase. Stadler a interprété la Chaconne de J.S. Bach. Puis, le public a eu droit à une improvisation pour violon, luth, flûte orientale, qanoun et percussions.
Les hommes en blanc ont conquis le public! Un journaliste autrichien les a surnommés « ambassadeurs de la tolérance et de la paix de l’islam », à un moment où le monde entier ne parle que des islamistes fascistes d’ISIS, de Boko Haram et d’Al-Qaëda. De plus, le Festival de Salzbourg a organisé un colloque international, avec comme thème: Comprendre l’islam, un défi pour l’Europe.
Deux premières mondiales
Durant cette édition, l’Egypte a été fort présente, notamment grâce à ses compositeurs contemporains. Car Hossam Mahmoud a donné Tarab 5, sa deuxième oeuvre durant le festival, en première mondiale. Il avait déjà présenté son Elégie aux martyrs de la révolution du 25 janvier à Vienne et son opéra 18 jours, en mars 2013 au théâtre de la ville de Salzbourg. De quoi lui avoir valu le Grand Prix des Arts, pour la même année.
Amr Okba a également donné son oeuvre Rhadopis, en première mondiale, dans le cadre de la section Musique nouvelle du monde de l’islam. « Rhadopis, d’après un roman de Naguib Mahfouz, parle de la responsabilité du gouvernant politique envers son peuple et l’abus possible du pouvoir par les conseillers ou les représentants de la religion », a souligné Okba, qui a dédié son oeuvre aux martyrs de la révolution, sur la place Tahrir.
Ne serait-ce pas le temps de voir les oeuvres de ces compositeurs égyptiens sur les planches de l’Opéra du Caire ? L’opéra Rhadopis ne pourrait-il pas constituer un hommage, hors pair, rendu à Mahfouz en sa mémoire ? C’est par excellence la rencontre du passé et du présent.
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