C’est à quatre ans que Mayada Gargouri, une Tunisienne de France, commence à griffonner ses premiers dessins inspirés de son enfance, un long fleuve tranquille. Arrivée à l’âge adulte, la jeune femme prend conscience d’une réalité tout autre: le monde dans lequel nous vivons est rempli de faux panachages médiatiques, et il faut se munir d’une bonne dose de créativité et d’autant d’humour pour faire partie du changement et prononcer l’oraison funèbre des mille et un clichés, devenus indissociables de l’image de la communauté maghrébine vivant en terre d’Occident.
D’ailleurs, selon ses dires, « les médias européens véhiculent depuis des lustres deux images, à la fois contrastées et néfastes, de la femme. D’un côté, nous avons celle de la femme religieuse, soumise, opprimée et dépendante de l’homme. Et de l’autre, nous avons celle de la femme complètement détachée de la religion, qui est superficielle et volage, comme certains personnages de la téléréalité française, originaires du Maghreb arabe ».
Pour faire face à ce piège intellectuel, qui s’est également emparé du système éducatif français, Mayada opte pour le juste milieu. Desperate Blédardes zoome sur le quotidien de ces femmes maghrébines dominatrices dans l’éducation des enfants. Car à en croire les conversations entretenues entre les membres de la famille Bentaba (personnages phare de la BD), la femme maghrébine peut, elle aussi, avoir une vie que l’on peut qualifier de normale, avec ses hauts et ses bas, ses joies et ses peines.
« Mes personnages sont maghrébins, font partie de la classe moyenne et mon ciblage socioculturel va bien au-delà des frontières », ajoute-t-elle. Non sans humour, madame Bentaba, personnage principal des Blédardes, se débrouille tant bien que mal pour offrir à ses filles une éducation digne de ce nom. Les scènes nous transportent au fin fond des marchés maghrébins de France, mais aussi dans les cités des banlieues des grandes villes de l’Hexagone. Et contrairement aux idées véhiculées par certains médias occidentaux, les demoiselles Bentaba ont le sens de l’humour, vont à l’école, ne se prostituent pas et leur maman ne porte pas le niqab et ne vit pas avec trois rivales, non plus...
Il importe également de dire que Mayada dessine magnifiquement bien. « N’ayant jamais pris de cours de dessin, j’ai tout appris en autodidacte, que ce soit au niveau du support ou en ce qui concerne les techniques du domaine. J’ai consacré mes études et ma vie professionnelle à d’autres domaines, tout en continuant dans le dessin, ma première passion », précise Mayada.
Les réseaux sociaux, le déclic !
Desperate Blédardes a aujourd’hui cinq ans. Cette belle histoire, qui a commencé en 2009 sur Youtube, se présentait comme une série vidéo non animée (suite de dessins sans animation de mouvements). Mayada en assurait le montage et l’écriture, et sa soeur Maissa lui prêtait un coup de main de temps à autre. Chemin faisant, des admirateurs sont littéralement tombés amoureux de l’initiative et ont réclamé la création, sur Facebook, d’une page dédiée à la BD vidéo.
« L’avantage c’est que la publicité marche très bien et très spontanément sur les sites communautaires. Au début, mes dessins étaient partagés par mon cercle immédiat, à savoir mes amis et leurs amis. Puis le cercle a commencé à s’élargir de plus en plus. Aujourd’hui, des bandes dessinées sous forme classique ont remplacé mes anciennes vidéos, mais le succès est le même », dit-elle en toute modestie.
A vrai dire, le succès des Blédardes est monté en flèche, car Mayada a réussi à séduire plusieurs associations et entreprises souhaitant communiquer à travers les dessins de l’artiste engagée.
Comme tout art qui se respecte, le dessin est un engagement. Cependant, force est de s’interroger sur le fait, pour cet art précis, de pouvoir changer les mentalités, agiter les esprits, ou tout simplement compléter ou corriger de fausses idées, aussi simples ou aussi complexes soient-elles.
A cette question précise, Mayada répond, non sans optimisme, que son but est de faire passer des messages constructifs à travers l’humour et la dérision, ou l’autodérision quand il le faut. « Dans le monde du dessin, nous nous octroyons une liberté d’expression quasi totale. C’est bien pour cela que nous nous y adonnons à coeur joie. Sur notre page professionnelle, nous communiquons dans la bonne humeur parce que nous voulons faire de cette page un espace de détente, d’amour et de paix ».
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