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Cinéma et droits de l’homme : engouement limité

Houda El-Hassan, Mercredi, 16 juillet 2014

Au lendemain du Printemps arabe, les cinéastes rêvaient de films et de festivals engagés. Quelques-uns ont vu le jour, mais le courant peine toujours à prendre de l'ampleur.

Cinema
Elyes Baccar a lancé les festival de Tunis, il y a deux ans.

Le cinéma des droits de l’homme : un courant artistique qui se porte comme un coeur. Partant de la conviction selon laquelle le cinéma engagé est porteur de mes­sages, de plus en plus des réalisa­teurs, scénaristes et producteurs arabes se tournent vers ce créneau. Des festivals euro-maghrébins et euro-méditerranéens lui sont égale­ment dédiés.

La guerre civile en Syrie, les réfugiés syriens et palestiniens au Liban, l’après-Printemps arabe et la lutte pour la démocratie au Maghreb. Ajoutons à cela les droits de la femme et ceux des margi­naux ... Des sujets qui inspirent toujours plus les cinéastes du monde arabe ou militants du ciné­ma des droits de l’homme, comme il convient de les appeler.

Il y a quelques mois, le film Return to Homs du réalisateur syrien Talal Derki a brillé de mille feux au Festival international du film des droits de l’homme à Paris. Depuis plusieurs années, les films qui débattent du droit des peuples arabes à la démocratie, de la dignité humaine, de la migration sous toutes ses formes se suivent et se ressemblent.

Tous décrochent, haut la main, les meilleures distinctions qui soient aux festivals du bassin euro-médi­terranéen.

Cependant, les festivals qui mili­tent pour cette cause sont loin d’être nombreux dans le monde arabe. Et ce n’est qu’au lendemain des soulèvements populaires du Moyen-Orient que ses artistes ont commencé à réclamer leur droit de tenir des festivals cinématogra­phiques, soulevant des thématiques en rapport avec les droits de l’homme, à l’instar de celui de Nuremberg en Allemagne. Ils peuvent ainsi se joindre au réseau international regroupant une trentaine de festivals dédiés à ce sujet.

Mort à vendre

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A l’exception du Festival international du film des droits humains de Rabat au Maroc, peu d’événements maghrébins réussissent à faire parler d’eux à l’échelle mondiale. Ce festival lancé en 2008 est le premier en son genre à avoir impliqué hommes de culture, politiciens et décideurs dans ses ateliers de sen­sibilisation. Selon les mots de Omar Louzi, son fondateur, « ce sont les décideurs qu’il faut sensibiliser en premier lieu. La balle est dans leur camp ».

Partageant cette même vision, des cinéastes marocains ne lésinent pas sur les moyens pour mener à bien cette cause.

« Le cinéma engagé a fini par élire domicile chez nous au Maghreb comme c’est le cas un peu partout dans le monde arabe. De nos jours, des fictions, documen­taires et films d’auteurs, bien de chez nous, se penchent sur des questions touchant aux droits de l’homme tels qu’ils sont reconnus de manière universelle, lance le réalisateur marocain Faouzi Bensaidi. Il y est question de se mettre au diapason de l’actualité locale et régionale, voire mondiale, en braquant les lumières sur les droits des marginaux à la dignité humaine, ou encore sur la démo­cratie dans le monde arabe au len­demain du Printemps arabe ».

Son film Mort à vendre est un hymne au droit à la vie et à la dignité humaine. Sorti en 2013, le film redéfinit les grandes valeurs de la vie telles qu’elles sont vues par trois amis inséparables.

Son compatriote, Nabil Ayouch, s’inscrit lui aussi dans cette vision du septième art. Son film My Land, sorti en 2011, continue à briller dans les festivals internationaux du cinéma engagé.

Ce chef-d’oeuvre, qui donne la parole à de vieux réfugiés palesti­niens ayant fui la nakba de 1948 pour passer six décennies dans un camp de réfugiés au Liban, est tout sauf périssable.

Idem pour le film Road to Kaboul du Marocain Brahim Choukri. Sorti en 2012, le film met en scène le houleux voyage de 4 jeunes chô­meurs qui rêvent d’un lendemain meilleur en Hollande. Par simple inadvertance, l’un des quatre com­pères se retrouve en Afghanistan. Au-delà de l’aspect hilarant du film, l’histoire se veut une ode au droit de chaque être humain à la migration.

Rouge parole

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Toujours au Maghreb, le réa­lisateur tunisien Elyes Baccar a réussi à devenir un véritable porte-drapeau de la démocra­tie dans son pays. Son film Rouge parole en témoigne. « J’ai choisi de zoomer sur les premiers mois qui ont suivi la chute de Zein Al-Abidine Ben Ali. Cette période marque le début d’une nouvelle ère longuement attendue par mes compatriotes. Mais l’arrivée au pouvoir du chef islamiste Rached Al-Ghannouchi a été un choc pour plusieurs défen­seurs des libertés individuelles. J’ai passé en revue les plus grandes lignes de cette nouvelle page de l’histoire tunisienne, avec ses pics de joie et de malheur », dit-il.

Ce film à succès, qui a été boudé dans un premier temps en Tunisie (ndlr : en 2011, du temps de la Tunisie islamiste), a majestueuse­ment fait le tour du monde et a défilé sur plusieurs tapis rouges. Son réalisateur a réussi, peu de temps après, à organiser le Festival de Tunis sur les droits de l’homme, avec une panoplie de films parcou­rant diverses causes humaines, des quatre coins du monde.

Durant la première édition du festival tenue en novembre 2012, on parlait déjà dans les coulisses de tentatives égyptiennes et libyennes visant à lancer des festivals simi­laires. Mais apparemment, l’idée est restée lettre morte vu les condi­tions politiques des pays du Printemps arabe.

Pour une élite

Pourtant, force est de constater que ce créneau cinématographique a bel et bien son public. Il s’agit malheureusement d’un public clos, élitiste et sélectif, essentiellement formé d’universitaires, d’intellec­tuels et d’amoureux des cercles mondains. Mais il faut avouer que, quoi qu’il en soit, les trophées des festivals internationaux valent beaucoup plus que les top 5 des box-offices arabes.

Heureusement, tous les cinéastes engagés du monde arabe s’accor­dent à mettre à l’index l’absence de notion de cinéma des droits de l’homme dans les manuels scolaires des jeunes Maghrébins et Nord-Africains en général ... Aussi fau­drait-il s’interroger sur le nombre très restreint des festivals arabes qui militent pour les droits de l’homme ... On en a grand besoin à cette heure.

Quand les assos s’en mêlent ...

Le cinéma des droits de l’homme est un véritable porteur de leçons éducatives. Si certains restent sceptiques quant à ce point de vue, Faty Badi y croit dur comme fer. Ce qui n’est pas étonnant, venant de celle qui a lancé en 2010 l’ARMCDH, la première association marocaine qui a pris le soin d’organiser des conférences de presse, ateliers et journées éducatives, dans le but d’impliquer l’opinion publique marocaine dans la cause du cinéma des droits humains.

« Le public marocain est très averti et très intéressé par les fictions et documentaires qui parlent de ses droits bafoués. Qu’il soit associativement engagé ou pas, la thématique des droits humains le fidélise à ce nouveau vecteur d’expression », précise la journaliste et chroniqueuse marocaine.

En effet, depuis la naissance de cette association, des débats discutent régulièrement du droit à la vie, au développement et à la dignité humaine des plus vulnérables et démunis. Aujourd’hui, plusieurs associations estudiantines commencent à suivre la lancée de la jeune journaliste, surnommée « Miss culture » par ses confrères et consoeurs.

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