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La famine en haut de l’affiche

May Sélim, Lundi, 07 juillet 2014

L’exposition Naharak Saïd (bonne journée) dresse un tableau peu vendeur de la réalité. Sécheresse, cruauté et vandalisme sont abordés par 11 artistes sous des angles allant du cynisme à l’activisme.

La famine
Drainage progressif, de Alaa Abdel-Hamid, allie sculpture et vidéo. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Comme titre d’exposition, Bonne journée inspire de la gaieté et évoque une certaine nostalgie. Cette expression arabe était plus d’usage dans le temps et a presque disparu de notre lexique actuel. Mais contre toute attente, l’exposition collective qui se déroule actuellement au centre Saad Zaghloul a pour thème principal: la famine.

L’idée est certes ironique et contradictoire : souhaiter aux visiteurs de passer une « Bonne journée », alors que, une fois en salle, ils découvrent tant de souffrance: hausse des prix, annulation des subventions à l’énergie, déficit budgétaire ...

Les 11 artistes contemporains qui y participent ont une vision critique de la société d’aujourd’hui. Ils sont réunis par une initiative de l’ONG travaillant dans le domaine du développement de la société par l’art Studio Khana. Et cherchent à crier famine sur tous les toits.

C’est quasiment le même groupe qui s’était réuni il y a deux ans environ dans une exposition intitulée Supermarché, afin de condamner la société de consommation.

« J’ai lu par hasard le livre de l’historien Al-Maqrizi, Eghathat al-omma be kachf al-ghomma (tentative de sauver la nation). La pauvreté de nos temps modernes est décrite en détail à travers certains passages du livre qui aborde l’histoire des famines en Egypte. Il faut donc s’attarder sur certains incidents du passé et essayer de les relire profondément. Ce qui s’est passé auparavant peut se reproduire aujourd’hui », souligne Amr Amer, commissaire de l’exposition et co-directeur du Studio Khana.

Drainage progressif de Alaa Abdel-Hamid associe la sculpture à l’art vidéo. L’artiste montre un corps humain en argile, allongé et plein de fissures. Sur la vidéo, il retrace l’histoire de ces trous marquant tout le corps exposé. Ceux-ci sont l’oeuvre progressive de la soif et de la malnutrition.

Le spectre de la famine plane ainsi sur toute l’exposition. Tamer Chahine et Mohamad Abdallah montrent respectivement Arbres en béton et Expérience interdite. L’installation de Chahine reprend une scène du quotidien: un terrain verdâtre, puis le tronc d’arbre avec des branches en béton. Partout, c’est la désertification et la construction sur les terrains agricoles.

Abdallah inscrit sur le mur un verset coranique et y oppose une étagère avec de la vermine, dans la boue. L’installation vise à condamner l’homme se comportant de plus en plus comme un parasite.

Manger de la chair crue

La vidéo d’Ahmad Al-Samra nous fait rire au départ. Un clown se promène en ville pour divertir les passants. Il finit par tirer sur la foule et manger sa chair. La cruauté de la vie a changé la nature des gens et nul ne peut échapper à la violence et à la méchanceté gratuite.

Le politique domine les oeuvres de Yasmine Al-Méligui et de Bassem Yousri. Tous les deux évoquent le rapport entre la politique ou plutôt les régimes au pouvoir et les besoins des citoyens. Al-Méligui, à travers six tableaux et « un coussin » avec une fève sèche qui repose dessus, nous incite à réfléchir et à prendre part au drame. La fève souffrant de la sécheresse s’oppose au trône. Puis, sur les autres tableaux, aux cadres classiques et sophistiqués, l’on remarque des sketchs au crayon noir, traçant l’histoire de la plantation des fèves. Le rapport est donc ancestral : politique contre nourriture.

Bassem Yousri cadre aussi une miche de pain et dessine sur le mur un schéma évoquant la hiérarchie militaire, assez rigide. Yousri a choisi le pain comme thème, l’une des principales revendications de la révolution.

Les 11 artistes ne manquent pas d’humour, même s’ils traitent un thème morose. Ils pensent tous que le danger actuel dépasse de loin la famine exposée ici dans leurs oeuvres.

Jusqu’au 17 juillet, de 10h à 14h et de 20h30 à 22h30 (sauf le vendredi), au centre Saad Zaghloul. 2, rue Saad Zaghloul. Tél. : 27956864

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