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Cannes  : visions jeunes, loin des festivités

Yasser Moheb, Mardi, 03 juin 2014

Mis à part une poignée de courts métrages, présentés à travers la section Cinéfondation et le Short Film Corner, l’Egypte était quasiment absente à la dernière édition de Cannes. Coup de projecteur sur une participation informelle, reflétant surtout la fraîcheur de la jeunesse.

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La Mère d’Amira.

C’est parce que le court métrage permet de regarder le cinéma autrement que le Festival de Cannes consacre un coin dans son marché du film aux différentes visions des jeunes sur leur monde, exprimées à travers le genre cinématographique le plus méconnu: le court métrage.

Dans ce coin, l’Egypte était pré­sente, avec 7 films portant la signa­ture d’un groupe de jeunes cinéastes lesquels évoquent les maux de leur génération et ceux de la société.

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J’existe.

Commençons par le plus accla­mé de ces films, La Suite de l’inau­guration des toilettes publiques au kilomètre 375, ce projet de fin d’étude d’Omar Al-Zoheiri a figuré parmi les oeuvres de la sélection de la Cinéfondation, consacrée aux courts et moyens métrages en pro­venance des écoles de cinéma à travers le monde.

Obsédé par les antihéros, le jeune réalisateur ne cache pas sa ten­dance à faire des films sur la peur, la colère et les sentiments humains. S’inspirant d’une nouvelle de l’écrivain russe Anton Tchekhov, The Death of a Government Clerk (la mort d’un fonctionnaire gouver­nemental), Zoheiri s’est mis à retranscrire une vision moderne. Il raconte l’histoire d’un fonction­naire de l’Etat qui éternue devant son ministre.

Ce dernier complètement indiffé­rent au départ a fini par être très agacé à cause de l’insistance du fonctionnaire et ses excuses inter­minables. C’est donc l’histoire d’un homme qui a toujours fait profil bas et qui était terrifié par un incident banal.

Ayant recours à des protago­nistes dont la prestation est fade et froide, pareille à la lumière et à la photographie, sans artifice ni ori­ginalité, le film laisse malheureu­sement indifférent. Ni décor ni montage ne visent à adoucir le sentiment de langueur, né du silence régnant et des regards gla­ciaux des protagonistes. Résultat : les 18 minutes du film laissent le spectateur sur sa faim.

Toujours autour du thème de la peur, mais cette fois-ci la peur de la guerre, le documentaire I Exist (j’existe) du jeune Ahmad Abdel-Nasser maintient plus ou moins le même ton.

Cette oeuvre tournée par des caméras numériques passe en revue la douleur des réfugiés syriens. Elle dépeint, presque en une seule séquence assez longue et détaillée, un groupe de Syriens et leurs enfants dans des camps réser­vés aux déplacés, sur la frontière syro-turque. Un énième essai sur les maux du peuple syrien qui va en crescendo. Comme d’habitude, les vraies victimes du régime totali­taire sont les pauvres citoyens. Toutefois, le court métrage s’avère sans caractère, restant au seuil de plusieurs autres oeuvres évoquant la crise syrienne d’actualité.

Dans cette même lignée s’inscrit le film égypto-français The Shadow of Cairo (l’ombre du Caire) de Thierry Lledo, avec Ahmad Magdi, Rahma Hassouna, Karim Hanafi et Taha Hassouna. A travers une trame de 7 minutes, ce court métrage va du personnel au plus général, via l’histoire du jeune Omar qui décide de ne pas quitter sa bien-aimée, suite à un tête-à-tête avec elle. En arrière-fond, on aper­çoit les Pyramides de Guiza...

C’est le background de la conver­sation amoureuse, indiquant que ce jeune Egyptien ne quittera pas sa patrie, malgré les malentendus et les difficultés. Ce message un peu simpliste, présenté à travers des visages frais, mais suivant une technique assez classique, marque l’oscillation entre deux méthodes d’expression.

Quant au court métrage Kan (était) du jeune Abdel-Rahmane Saad, il relate l’histoire d’un jeune Alexandrin, aux ambitions sans limites. Celui-ci se heurte aux diffi­cultés de la vie et aux conditions de sa maladie, jusqu’à mourir, sans réaliser un seul rêve. Tout au long de 14 minutes, le film aborde les souffrances du protagoniste. L’oeuvre à l’idée plate est amollie par la prestation artificielle et incontrôlée des acteurs ainsi que par un montage et une réalisation assez médiocres.

La femme en quête d’émancipation

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La Suite de l’inauguration des toilettes publiques au kilomètre 375.

Côté femme, le menu était copieux: le Short Film Corner a projeté trois courts métrages, por­tant les cris de femmes à la recherche de leurs droits.

Le premier, Al-Magni aléha (la victime), est écrit et réalisé par Safwan Nasreddine, avec Inès Al-Leissi, Marwan Abdine, Akram Yousri, Hayam Hicham et Mahmoud Mohammadi.

Ce court métrage de 14 minutes relate la détresse d’une belle femme constamment harcelée... avec des statistiques à l’appui, afin de révéler l’ampleur du phénomène choquant du harcèlement sexuel en Egypte.

D’après le film, plus de 90% des filles en Egypte sont victimes d’un harcèlement, de quoi constituer un record mondial.

Loin de son idée métaphorique, montrant la souffrance d’une jeune fille au sein d’une société trop mas­culine et malsaine, Al-Magni aléha se base sur une documentation assez riche, tirant les sonnettes d’alarme contre un phénomène de plus en plus terrifiant.

Outre les combats collectifs, il y en a aussi d’autres plus individuels. C’est le cas de celui de la protago­niste du court métrage Virgin Morning (matin vierge), écrit et réalisé par Amina Ezz Al-Arab. La liberté individuelle du personnage principal est souvent violée par les membres d’une société trop pesante, voire écrasante.

En 10 minutes, cette fiction essaie d’étaler les sentiments de la jeune protagoniste à la recherche d’un refuge, si ce n’est qu’aux toi­lettes. Elle veut avoir la paix et se débarrasser d’un entourage domi­nant. On ne comprend plus si ses cauchemars sont réels ou imagi­naires, mais le film présente une vision assez féminine, symbolique et expressive.

La majestueuse Oum Amira

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La Victime.

Finalement, vient le film le plus beau et le plus important de cette brochette de jeunes métrages expé­rimentaux, à savoir le documen­taire égypto-allemand Oum Amira (la mère d’Amira) de Naji Ismaïl.

Tourné à peine en quatre jours, il raconte comment Halima Mohamad Ahmad, dite Oum Amira, veille aux besoins de sa famille, après avoir quitté sa ville natale.

Le documentaire nous plonge dans la vie quotidienne de cette femme combattante, afin de joindre les deux bouts. Originaire d’As­souan en Haute-Egypte, elle vit désormais au Caire avec son mari et ses deux filles, sur une terrasse du centre-ville. Sa fille aînée, Amira, est cardiaque et a besoin de soins constants. Son mari, Gamal, est lui aussi gravement malade et ne peut subvenir aux besoins de sa famille. Du coup, toutes les respon­sabilités incombent à Oum Amira, réputée dans le quartier comme « la dame des pommes de terre ».

Car elle vend des sandwiches de frites dans une ruelle du centre-ville, à quelques mètres de la place Tahrir. Son périple quotidien com­mence la nuit, avec la préparation des pommes de terre, ensuite elle enchaîne avec la vente des sand­wiches toute la matinée. Elle se retrouve donc dans l’obligation de s’accommoder aux harcèlements et aux affrontements quotidiens.

Malgré le chaos et la détresse, Oum Amira garde toujours son sourire, d’où sa force intérieure. Sa simple présence est un réconfort pour ses voisins et les manifestants qui errent dans les rues. Tous la considèrent comme la gardienne de leur territoire.

Cette oeuvre bien soignée aussi dramatiquement qu’esthétique­ment révèle le talent de son metteur en scène. Elle attire de par sa crédi­bilité et la simplicité de la presta­tion de sa protagoniste. Tous les éléments techniques s’entrelacent pour présenter un documentaire de premier choix, digne de sa partici­pation au dernier Festival de Berlin.

Bref, ces oeuvres, portant la vision et la signature des jeunes cinéastes égyptiens, dont la plupart sont encore amateurs, ont bien réussi à témoigner de la détermina­tion de toute une génération. Des talents encore vierges, ouvrant de nouveaux horizons, malgré les défaillances.

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