C’est parce que le court métrage permet de regarder le cinéma autrement que le Festival de Cannes consacre un coin dans son marché du film aux différentes visions des jeunes sur leur monde, exprimées à travers le genre cinématographique le plus méconnu: le court métrage.
Dans ce coin, l’Egypte était présente, avec 7 films portant la signature d’un groupe de jeunes cinéastes lesquels évoquent les maux de leur génération et ceux de la société.

J’existe.
Commençons par le plus acclamé de ces films, La Suite de l’inauguration des toilettes publiques au kilomètre 375, ce projet de fin d’étude d’Omar Al-Zoheiri a figuré parmi les oeuvres de la sélection de la Cinéfondation, consacrée aux courts et moyens métrages en provenance des écoles de cinéma à travers le monde.
Obsédé par les antihéros, le jeune réalisateur ne cache pas sa tendance à faire des films sur la peur, la colère et les sentiments humains. S’inspirant d’une nouvelle de l’écrivain russe Anton Tchekhov, The Death of a Government Clerk (la mort d’un fonctionnaire gouvernemental), Zoheiri s’est mis à retranscrire une vision moderne. Il raconte l’histoire d’un fonctionnaire de l’Etat qui éternue devant son ministre.
Ce dernier complètement indifférent au départ a fini par être très agacé à cause de l’insistance du fonctionnaire et ses excuses interminables. C’est donc l’histoire d’un homme qui a toujours fait profil bas et qui était terrifié par un incident banal.
Ayant recours à des protagonistes dont la prestation est fade et froide, pareille à la lumière et à la photographie, sans artifice ni originalité, le film laisse malheureusement indifférent. Ni décor ni montage ne visent à adoucir le sentiment de langueur, né du silence régnant et des regards glaciaux des protagonistes. Résultat : les 18 minutes du film laissent le spectateur sur sa faim.
Toujours autour du thème de la peur, mais cette fois-ci la peur de la guerre, le documentaire I Exist (j’existe) du jeune Ahmad Abdel-Nasser maintient plus ou moins le même ton.
Cette oeuvre tournée par des caméras numériques passe en revue la douleur des réfugiés syriens. Elle dépeint, presque en une seule séquence assez longue et détaillée, un groupe de Syriens et leurs enfants dans des camps réservés aux déplacés, sur la frontière syro-turque. Un énième essai sur les maux du peuple syrien qui va en crescendo. Comme d’habitude, les vraies victimes du régime totalitaire sont les pauvres citoyens. Toutefois, le court métrage s’avère sans caractère, restant au seuil de plusieurs autres oeuvres évoquant la crise syrienne d’actualité.
Dans cette même lignée s’inscrit le film égypto-français The Shadow of Cairo (l’ombre du Caire) de Thierry Lledo, avec Ahmad Magdi, Rahma Hassouna, Karim Hanafi et Taha Hassouna. A travers une trame de 7 minutes, ce court métrage va du personnel au plus général, via l’histoire du jeune Omar qui décide de ne pas quitter sa bien-aimée, suite à un tête-à-tête avec elle. En arrière-fond, on aperçoit les Pyramides de Guiza...
C’est le background de la conversation amoureuse, indiquant que ce jeune Egyptien ne quittera pas sa patrie, malgré les malentendus et les difficultés. Ce message un peu simpliste, présenté à travers des visages frais, mais suivant une technique assez classique, marque l’oscillation entre deux méthodes d’expression.
Quant au court métrage Kan (était) du jeune Abdel-Rahmane Saad, il relate l’histoire d’un jeune Alexandrin, aux ambitions sans limites. Celui-ci se heurte aux difficultés de la vie et aux conditions de sa maladie, jusqu’à mourir, sans réaliser un seul rêve. Tout au long de 14 minutes, le film aborde les souffrances du protagoniste. L’oeuvre à l’idée plate est amollie par la prestation artificielle et incontrôlée des acteurs ainsi que par un montage et une réalisation assez médiocres.
La femme en quête d’émancipation

La Suite de l’inauguration des toilettes publiques au kilomètre 375.
Côté femme, le menu était copieux: le Short Film Corner a projeté trois courts métrages, portant les cris de femmes à la recherche de leurs droits.
Le premier, Al-Magni aléha (la victime), est écrit et réalisé par Safwan Nasreddine, avec Inès Al-Leissi, Marwan Abdine, Akram Yousri, Hayam Hicham et Mahmoud Mohammadi.
Ce court métrage de 14 minutes relate la détresse d’une belle femme constamment harcelée... avec des statistiques à l’appui, afin de révéler l’ampleur du phénomène choquant du harcèlement sexuel en Egypte.
D’après le film, plus de 90% des filles en Egypte sont victimes d’un harcèlement, de quoi constituer un record mondial.
Loin de son idée métaphorique, montrant la souffrance d’une jeune fille au sein d’une société trop masculine et malsaine, Al-Magni aléha se base sur une documentation assez riche, tirant les sonnettes d’alarme contre un phénomène de plus en plus terrifiant.
Outre les combats collectifs, il y en a aussi d’autres plus individuels. C’est le cas de celui de la protagoniste du court métrage Virgin Morning (matin vierge), écrit et réalisé par Amina Ezz Al-Arab. La liberté individuelle du personnage principal est souvent violée par les membres d’une société trop pesante, voire écrasante.
En 10 minutes, cette fiction essaie d’étaler les sentiments de la jeune protagoniste à la recherche d’un refuge, si ce n’est qu’aux toilettes. Elle veut avoir la paix et se débarrasser d’un entourage dominant. On ne comprend plus si ses cauchemars sont réels ou imaginaires, mais le film présente une vision assez féminine, symbolique et expressive.
La majestueuse Oum Amira

La Victime.
Finalement, vient le film le plus beau et le plus important de cette brochette de jeunes métrages expérimentaux, à savoir le documentaire égypto-allemand Oum Amira (la mère d’Amira) de Naji Ismaïl.
Tourné à peine en quatre jours, il raconte comment Halima Mohamad Ahmad, dite Oum Amira, veille aux besoins de sa famille, après avoir quitté sa ville natale.
Le documentaire nous plonge dans la vie quotidienne de cette femme combattante, afin de joindre les deux bouts. Originaire d’Assouan en Haute-Egypte, elle vit désormais au Caire avec son mari et ses deux filles, sur une terrasse du centre-ville. Sa fille aînée, Amira, est cardiaque et a besoin de soins constants. Son mari, Gamal, est lui aussi gravement malade et ne peut subvenir aux besoins de sa famille. Du coup, toutes les responsabilités incombent à Oum Amira, réputée dans le quartier comme « la dame des pommes de terre ».
Car elle vend des sandwiches de frites dans une ruelle du centre-ville, à quelques mètres de la place Tahrir. Son périple quotidien commence la nuit, avec la préparation des pommes de terre, ensuite elle enchaîne avec la vente des sandwiches toute la matinée. Elle se retrouve donc dans l’obligation de s’accommoder aux harcèlements et aux affrontements quotidiens.
Malgré le chaos et la détresse, Oum Amira garde toujours son sourire, d’où sa force intérieure. Sa simple présence est un réconfort pour ses voisins et les manifestants qui errent dans les rues. Tous la considèrent comme la gardienne de leur territoire.
Cette oeuvre bien soignée aussi dramatiquement qu’esthétiquement révèle le talent de son metteur en scène. Elle attire de par sa crédibilité et la simplicité de la prestation de sa protagoniste. Tous les éléments techniques s’entrelacent pour présenter un documentaire de premier choix, digne de sa participation au dernier Festival de Berlin.
Bref, ces oeuvres, portant la vision et la signature des jeunes cinéastes égyptiens, dont la plupart sont encore amateurs, ont bien réussi à témoigner de la détermination de toute une génération. Des talents encore vierges, ouvrant de nouveaux horizons, malgré les défaillances.
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