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Une cuvée qui a tenu ses promesses

Yasser Moheb, Mardi, 27 mai 2014

Le 67e Festival de Cannes s’est achevé samedi avec un bilan riche, plein de moments forts, de tendances-cinéma et un palmarès tant discuté qu’applaudi, portant
la signature d’un jury présidé par Jane Campion.

une cuvee
Le style des Dardenne  : défendre la femme à travers des drames sociaux.
De notre envoyé spécial —
Grève des bus et des taxis, vol de bijoux, scandales médiatiques, trombes d’eau sur la tête, l’am­biance des fêtes cannoises est rafraîchie et rendue instable par la météo. Heureusement, le bonheur était dans les salles, lors de cette 67e édition. De toute façon, l’éclec­tisme promis par la direction du Festival était bel et bien au rendez-vous, offrant une sélection à la hauteur du cru 2014 espéré, d’excellente qualité.

Comme les belles surprises sont celles qui arrivent à la dernière minute, le dernier film de la compétition cette année est venu quelques heures avant le palmarès, pour bouleverser les pronostics des critiques. Olivier Assayas a tota­lement convaincu la première de presse de son film Sils Maria, avec un très beau casting fran­co-américain de Juliette Binoche, Kristen Stewart et Chloé Grace Moretz. Il a réussi à présenter en compétition l’un des meilleurs films de cette 67e édition, avec une Juliette Binoche éminemment dévorante à l’écran.

Six fois présent à Cannes avec trois films pro­jetés en compétition, Assayas est revenu cette année à travers une fiction, où une comé­dienne— campée par Juliette Binoche— inter­prète à 20 ans de distance les deux rôles opposés d’une même pièce, la mettant face à ses doutes. L’un des plus beaux films du Festival, avec une prestation fort remarquable et bien dressée de Kristen Stewart dans le rôle de l’assistante de la star. L’écriture et la mise en scène d’Assayas atteignent ici un summum, même si quelques scènes peuvent sembler répétitives, mais elles s’entrelacent rapidement dans une exploration graduelle des deux femmes.

Autre temps fort de cette 67e cuvée: la projec­tion du film The Search (la quête), un remake des Anges marqués de Fred Zinnemann, sorti en 1948, mais signé cette fois-ci Michel Hazanavicius, avec sa femme Bérénice Bejo et Annette Bening. Le film porte sur le trauma­tisme de la guerre et les événements se déroulent pendant la Seconde Guerre de Tchétchénie en 1999, à travers l’histoire de quatre destins que le conflit va amener à se croiser. Un mélo de deux heures et demie, qui a bouleversé les spectateurs, mais qui n’a pas recueilli néanmoins de grand succès dans la presse.

Si l’on peut reprocher à Michel Hazanavicius le recours à certaines astuces, il est impossible de le blâmer d’avoir manqué de courage et d’ori­ginalité. Trois ans après s’être résolu à faire un film muet en noir et blanc, The Artist (Oscar meilleur film 2012), le réalisateur s’est embar­qué dans un grand film de guerre sur le conflit tchétchène. Il a pris comme héros masculin un enfant— Abdel-Khalim Mamatsuiev— dans le rôle d’un petit orphelin de 9 ans, Hadji, rescapé du massacre. Un petit acteur, à la bouille sélé­nite, sorte de Macaulay Culkin (star de Home Alone), impeccablement posé et sérieux, et for­midablement expressif qui, tout en ayant presque aucun texte, excelle à tout exprimer à travers son regard et sa gestuelle. Il arrive même à arracher l’estime du public en dansant comme un maître sur les chansons des Bee Gees et il a paru en tête de liste des favoris pour le prix d’interprétation masculine.

Coups de coeur

Parmi les beaux films projetés cette année également vient le drame social Deux jours, une nuit, interprété par Marion Cotillard et signé par les fameux frères belges, Jean-Pierre et Luc Dardenne.

Cette fois-ci, les deux frères bi-palmés revien­nent pour une énième fois en compétition, pour présenter un état des lieux cruel du monde du travail en Europe, à travers l’histoire d’une jeune employée et mère de famille, qui n’a qu’un week-end pour sauver son emploi.

Encensé par les critiques et la majorité des festivaliers, il faut néanmoins souligner que Deux jours, une nuit n’est qu’un film moyen, surtout si l’on parle du grand talent et des capa­cités artistiques grandissimes de ses deux auteurs-réalisateurs. Cependant, cela arrive sou­vent aux meilleurs! L’idée du film n’est pas mauvaise et s’inscrit dans la droite lignée du style des Dardenne: défendre la femme à travers des drames sociaux, dans le plus simple et le plus profond angle possible. Mais en raison de certaines répétitions d’une même situation deve­nue parfois cliché, on se trouve vite face à une simple chronique sociale entravée par un scéna­rio répétitif.

Deux drames sociaux viennent animer la seconde moitié du festival, s’imposant avec force parmi les prétendants aux différents prix du palmarès : Foxcatcher de Bennett Miller et Mommy (maman) de Xavier Dolan. Premier film de son réalisateur à être présenté sur la Croisette, Foxcatcher a enchanté la presse grâce aux prestations solides de ses comédiens, Steve Carell en tête.

Relatant l’histoire vraie de John du Pont, un riche bienfaiteur et grand amateur de sport, ce dernier fonde, sur son domaine de Pennsylvanie, un centre sportif baptisé Foxcatcher Team, dont l’objectif est d’entraîner de nouveaux cham­pions à la lutte olympique. Un but qui cache en fait un autre: se faire de la propagande et nourrir l’amour propre.

Le second coup de coeur de cette compétition 2014 était Mommy (maman) de Xavier Dolan. Le jeune réalisateur québécois, benjamin de la compétition de cette année, venait pour la qua­trième fois de sa jeune carrière rejoindre ses compatriotes, les réalisateurs canadiens David Cronenberg, dont le film Map to the Stars (carte pour aboutir aux stars) a participé à la compéti­tion, tout comme Atom Egoyan— le Canadien d’origine égyptienne— qui est en lice cette année avec Captives (les captives).

Palmarès

— Palme d’or : Winter sleep du Turc Nuri Bilge Ceylan.
— Grand prix : Le Meraviglie, de l’Italienne Alice Rohrwacher.
— Prix d’interprétation féminine : Julianne Moore, pour son rôle dans Maps to the stars de David Cronenberg.
— Prix d’interprétation masculine : Timothy Spall, pour son rôle dans Mr Turner, de Mike Leigh.
— Prix de la mise en scène : L’Américain Bennett Miller, pour Foxcatcher.
— Prix du scénario : Andreï Zviaguintsev et Oleg Negin, pour Leviathan.
— Prix du Jury ex aequo : Mommy de Xavier Dolan et Adieu au langage de Jean-Luc Godard.
— Caméra d’or : Party girl, de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis.
— Palme d’or du court métrage : Leidi, du Simon Mesa Soto.

Les chiens volent la vedette

Les chiens volent la vedette
La sélection de la Palm Dog a été difficile cette année.
Si Cannes demeure la fête annuelle la plus prestigieuse du cinéma mondial, il est également l’offre-célébrité à tous les protagonistes des films participants, y compris les chiens !
Le prix de la section Un certain regard a été attribué vendredi soir au film White God (le blanc dieu) du cinéaste hongrois Kornel Mundruczo, oeuvre moderne, voire futuriste, où les chiens errants se rebellent contre les humains. Dernier film à rejoindre la sélection, White God fait le récit des mésaventures de Hagen, le chien bien-aimé de Lili, 13 ans, abandonné par certaines forces majeures au bord de l’autoroute. Ayant le coeur brisé, l’animal va bientôt reprendre du poil de la bête et songer à la vengeance, ralliant à sa cause bâtards et chiens errants qui sortent rebelles dans les rues de Budapest.
Les acteurs principaux de ce film atypique, les frères Luke et Body (tous deux interprètes de Hagen), ont également reçu dans la journée la très prisée Palm Dog, qui récompense le chien le plus expressif des films sélectionnés à Cannes. D’un côté alors la Palme d’Or pour les humains et de l’autre la Palm Dog !
Moins connu, ce prix, créé par des journalistes anglais, existe depuis 2001 et récompense le meilleur acteur canin des films de la sélection officielle : en compétition, hors compétition et Un certain regard. Que ce soit un vrai chien ou en dessin animé, tous ont leur chance d’être lauréats.
D’après les organisateurs de ce Palm Dog, la sélection était difficile cette année, puisque quatre chiens étaient en lice pour remporter le prix.
Dans le film Saint Laurent de Berdard Bonello, le bulldog qui interprète Moujik, le chien du couturier, a su capturer les coeurs, notamment lors de la scène dramatique de sa mort après avoir avalé des cachets de drogue que son maître avait laissé traîner.
Venait avec lui en compétition Roxy, le chien qui peut être considéré comme le troisième personnage dans Adieu au langage de Jean-Luc Godard, tout avec le nouveau film de David Cronenberg, Maps to the Stars, qui a mis lui aussi en lumière un chien de berger faisant également une courte apparition remarquée avant d’être abattu par erreur par le jeune héros du film.

Le fanatisme : un mal universel

L’un des points marquants de la plupart des oeuvres cannoises cette année était l’expression concrète et physique d’une violence sociale, mais avant tout, la critique du fanatisme religieux et de la dictature. On a pu voir des visions assez différentes et personnelles de l’islamisme, que ce soit dans Timbuktu du Mauritanien Abderrhamane Sissako, ou dans le documentaire Challet de Tunis, présenté à la section ACID. La réalisatrice Kawsar Ben Hania part d’un fait divers réel, qui a secoué la société tunisienne en 2003, celui d’un agresseur armé d’un couteau, qui lacérait en mobylette les femmes de leur derrière, dans les rues de Tunis.

Le premier film d’Andrew Hulme, Snow in Paradise (il neige au paradis), tiré d’une histoire vraie, a suivi les pas d’un truand des bas-fonds de Londres, décidé d’en finir suite à l’assassinat de son meilleur ami musulman, Tareq. Suite à une série de crimes et d’accidents hyper violents, il décide de se lancer dans le monde de l’islam et de la mosquée, où il rencontre des personnages accueillants, qui ne veulent — d’après le film — que vivre en paix. Il apprend que le djihad est imposé d’abord contre les péchés de soi. C’est pourquoi il décide de franchir ce monde de l’islam, présenté toutefois avec une grande platitude laquelle restreint la religion au courant soufi. Un film qui défend l’islam, mais qui manque de profondeur.

D’autre part, c’était le tour du maître du cinéma britannique, Ken Loach, de critiquer le fanatisme et la dictature de l’Eglise dans l’Irlande des années 1930. Ce n’est qu’à travers son nouveau film Jimmy’s Hall (salle de Jimmy) que le grand habitué de la Croisette a retrouvé la compétition cannoise, avec un métrage qui s’inscrit dans la lignée de son ancien film Le vent se lève, (Palme d’Or 2006). Il y lance de vives critiques à l’institution religieuse de l’époque, à travers l’histoire réelle de Jimmy, un libéral qui, après avoir ouvert une salle de danse dans un petit village irlandais, devient l’ennemi n°1 de l’Eglise et du pouvoir, ce qui le conduira vers la fin à la mort en exil, aux Etats-Unis.

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