« C’est bien toi, monsieur, qui sera obligé de demander l’autorisation du Parquet pour arrêter une telle ou telle personne. Mais moi, je ne demande d’autorisation à personne ! ».
Depauvres employés, des malfaiteurs, des coureurs de jupon qui ont dépassé l’âge, des filles indécentes, un peuple naïf et des enfants agités … A Khan Al-Maghrabi, plus de 150 toiles peintes entre 1960 et 1980 retracent le parcours de Hégazi, surnommé le philosophe de la caricature.
L’artiste, qui a fait ses débuts en 1956, poursuivra sa carrière pendant 40 ans. Né en 1936 à Tanta au nord de l’Egypte dans une famille modeste — son père était conducteur de train, Hégazi a maintes fois souligné qu’il avait fait le tour de l’Egypte grâce à son père qui l’emmenait avec lui pendant les vacances d’été. De la fenêtre du train, il apprend à contempler la campagne, ses champs et ses maisons de pisé, les villes et leurs bâtiments en briques rouges.
Autodidacte, Hégazi a développé son talent dans les revues Rose Al Youssef puis Sabah Al-Kheir, dans les années 1950. Il dépeint la société avec tous ses contrastes, lançant une nouvelle tendance caricaturale. Il n’a jamais suivi la tradition classique de l’exagération pour provoquer le rire.
Ses caricatures ne sont pas ces portraits chargés de traits humoristiques, ridiculisant les gens. Hégazi s’est intéressé à réfléchir le réel avec toutes ses contradictions comiques, dans un style à la fois simple et profond. Selon lui, la caricature ne doit pas forcément faire rire. Elle peut être conçue uniquement comme un élément de pression pour choquer l’opinion publique dans l’intention de la changer. « Il n’était pas un dessinateur ordinaire. Ses dessins simples sont une histoire populaire contre le pouvoir. Sans être tout à fait politique à l’instar de Bahgat Osmane, ni tout à fait philosophique tel Al-Labbad, ses dessins reflétaient le monde moderne dans une optique critique où le leader n’est pas forcément un héros … », écrit le journaliste Waël Abdel-Fattah à propos de Hégazi.
Homme de loi,
homme qui fait la loi
Dans l’une des caricatures exposées, Hégazi met en valeur l’écart entre la loi, représentée par un homme élégant en costume-cravate, et l’état d’urgence représenté par un homme de main qui, en quelques mots, résume la situation : « C’est bien toi, monsieur, qui sera obligé de demander l’autorisation du Parquet pour arrêter une telle ou telle personne. Mais moi, je ne demande d’autorisation à personne ! ».
Dans une autre œuvre, il exprime son opinion sur les négociations de paix avec Israël, non sans amertume. Il représente les Arabes par une colombe et les Israéliens par une fusée. Le premier avance avec un olivier et le deuxième porte une branche avec un couteau à son extrémité. En dessous, Hégazi écrit : « Des pourparlers visant une paix juste ».
Le social fait aussi partie de ses thèmes de prédilection. Des sujets relatifs à l’enseignement et au rapport homme/femme sont traités dans une optique réaliste, mais amère. Un grand pessimisme marque, en effet, son style à partir de la défaite de 1967. Un état d’âme qui n’a cessé de s’amplifier, surtout avec la politique d’ouverture (infitah) adoptée par Sadate. Hégazi met alors l’accent sur le changement de valeurs et la montée d’une nouvelle classe de parvenus.
« Si beaucoup d’œuvres de Hégazi ont gagné en maturité au fil des ans, ses illustrations de Tanablet al-sultanétaient mures dès le départ »,explique Salwa Al-Maghrabi, propriétaire de la galerie et ex-épouse de Hégazi. Une bonne partie des œuvres exposées proviennent de la collection de son ex-femme ou de celles de ses amis. Les recettes de vente seront accordées à l’Institut Hégazi pour le foie.
Le monde des adultes
pour les enfants
Hégazi adorait s’infiltrer dans la peau des enfants, leur créant de petites histoires illustrées. L’exposition en a fait un clin d’œil. Les lignes deviennent des courbes, le noir et blanc très commun à ses caricatures est remplacé par des couleurs attrayantes … De quoi capter l’attention des enfants, leur donnant envie de lire. « La question est : Comment transformer le monde des adultes avec tous ses détails en un monde qui correspond aux enfants ? », s’était-il demandé un jour, soulignant que les idées restaient les mêmes et que seule la façon de les traiter changeait.
Si ces illustrations pour enfants ont trouvé d’échos dans des magazines comme Samir, Magued ou Alaaeddine, c’est sa série Tanablet al-sobyane (les petits cancres),publiée dans les années 1960 aux éditions Al-Hilal, qui reste son chef-d’œuvre incontesté dans le monde des petits.
Inspiré de personnages de contes populaires réputés comme Tanablet al-sultan (hommes paresseux qui vivaient dans le palais royal), Chamloul, Bahloul et Tanboul sont 3 garçons paresseux qui ne pensent qu’à manger et à dormir. Mais ils se retrouvent malgré eux dans des aventures rocambolesques. Bien que cette série ait aujourd’hui plus de 40 ans, elle demeure toujours moderne de par la fraîcheur des personnages avec leurs costumes jaune, bleu et rouge. Ecrite et illustrée par Hégazi, cette série de contes ne cesse d’impressionner des générations, même après la mort de son créateur.
Hommage et amour à Hégazi. Jusqu’au 8 novembre, à la galerie Khan Al-Maghrabi. 18 rue Al-Mansour Mohamad, Zamalek. De 10h30 à 21h. Tél. : 2735 3349
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