Après le déclenchement de la guerre de Gaza le 7 octobre 2023, la 45e édition du Festival international du film du Caire (CIFF), qui devrait avoir lieu en novembre de la même année, a été reportée en solidarité avec le peuple palestinien.
La guerre s’est poursuivie et les bombardements intensifs ont mené à une vraie catastrophe humaine. Les responsables du festival ont décidé, pour cette 45e édition, de donner la parole aux cinéastes palestiniens. Le coup d’envoi de cette édition a été donné le 13 novembre dernier par une cérémonie simple, mais hautement symbolique.
La troupe de danse folklorique de Gaza était au rendez-vous, à l’arrière-fond du théâtre se détachaient des images de keffieh, la dabka palestinienne s’est déclenchée sur les airs de la chanson « Mon sang est palestinien ». Le président du festival, Hussein Fahmy, ainsi que les différentes stars invitées ont tenu à porter des « pins » avec les trois couleurs du drapeau palestinien : vert, rouge et noir.
Le film d’ouverture Passing Dreams (des rêves passants), écrit et réalisé par le cinéaste palestinien Rashid Masharawi, décrit un voyage d’un seul jour dans les territoires palestiniens, allant du camp de réfugiés de Kalandia à Bethléem, à Jérusalem et à Jaffa. Le voyage est mené par un adolescent de 12 ans, Sami, qui cherche à récupérer le pigeon que lui a offert son oncle il y a quelques semaines.
Le pigeon de Sami porte une petite bague, attachée par un fil à la patte. Cette bague est un cadeau de sa grand-mère paternelle. Sami pensait se servir du pigeon pour envoyer des lettres à son père, détenu depuis six ans dans les prisons israéliennes. Un rêve enfantin, spontané et touchant.
Sami transporte alors la cage et des graines de maïs avec l’espoir de récupérer son pigeon à n’importe quel moment, il va chercher son oncle à Bethléem. Ce dernier, ainsi que la cousine de Sami le rejoignent, et le trio poursuit son périple ; ensemble, ils se rendent à Jérusalem, puis à Jaffa.
Le voyage du pigeon, et celui des Palestiniens
Masharawi évoque, à travers les rencontres de ces trois voyageurs avec d’anciens amis, plein d’histoires humaines et ce, sans avoir recours à des scènes de flashback traditionnelles. Le ton de la narration est chargé de remords, de reproches et d’accusations. Le père de l’adolescent est un ancien militant. L’oncle de Sami l’a aidé à échapper aux forces israéliennes, en changeant ses lieux de cachette, pendant deux ans. Cependant, il a fini par être arrêté.
Les scènes où l’on découvre les différentes provinces palestiniennes captent l’attention. Elles révèlent les caractéristiques des villes sous occupation, traduisent l’état d’âme du peuple résistant, ainsi que le désespoir de certains citoyens. Jérusalem, avec ses boutiques d’antiquaires et ses anciens marchés, Bethléem contrôlée par les forces israéliennes, les colons qui s’emparent de la terre, le mur de séparation entre les routes … Jaffa pendant la nuit, son port, ses phares, etc. Masharawi a voulu montrer ces images, malgré la difficulté du tournage. « Plusieurs plans devaient être préparés à l’avance et il fallait constamment prévoir des plans alternatifs. S’ajoute à cela la difficulté de se déplacer avec nos équipements, car on ne peut pas atteindre certains endroits, notamment à Bethléem et à Jérusalem. Il existe des barrages, le mur de séparation, etc. Toute l’équipe n’est pas autorisée à entrer dans ces endroits. En plus, J’ai refusé d’avoir l’autorisation de l’occupant pour se rendre à Jérusalem, cela signifie lui accorder de la légitimité. C’est ce que je refuse complètement. On a essayé de nous débrouiller, de contourner les barrières », a expliqué Masharawi, à la suite de la projection du film.
L’oncle tente de répondre au désir fiévreux de son neveu, mais il est épuisé par son travail : la fabrication de miniatures en bois pour les églises et anciennes boutiques. Il reproduit des croix, le Dôme du Rocher, etc. Est-ce les restes des villes palestiniennes ? Des souvenirs d’une ancienne Palestine ?
Le pigeon qu’on n’arrive pas à retrouver est-il le symbole d’une paix de plus en plus lointaine ? Masharawi répond clairement : « Le pigeon dépasse l’idée de la colombe de paix. Certains peuvent penser que les pigeons symbolisent la recherche de la paix, mais ici, le pigeon représente le voyage à la recherche de la Palestine, de la patrie, de la beauté qui est en nous. Malgré la laideur et la destruction qui nous entourent, j’étais déterminé à tourner dans d’anciennes villes symbolisant la Palestine dans un langage cinématographique ». Et d’ajouter : « Pour moi, le cinéma est un moyen de préserver la Palestine, car le cinéma protège la culture, l’identité et la langue. Le cinéma assimile l’art et la musique et défend la Terre plus que les discours politiques et militaires ».
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