« C’est l’art de tous les arts » : c’est ainsi qu’Alfred Hitchcock qualifiait l’art de la création d’affiches de cinéma, un procédé qui n’a cessé de prendre de l’importance en Occident depuis les premiers films des Frères Lumière. En Egypte, comme partout dans le monde, depuis leur apparition dans les années 1800, les affiches de cinéma restent un outil de promotion indispensable pour les films. Mais avec la révolution actuelle dans le domaine cinématographique, les affiches peintes sur papier laissent leur place au digital. De quoi donner vie à une génération Photoshop, issue majoritairement d’écoles de beaux-arts.
Malheureusement, depuis quelques années, la qualité esthétique, l’originalité et l’intelligence des affiches égyptiennes ne semblent pas vraiment au rendez-vous. Quelques jeunes artistes ont récemment décidé de lancer des ateliers, pour apprendre, ou plutôt réinventer, les mille et une ficelles du métier. L’initiative vise aussi à sauvegarder cet art parfois menacé.
« L’affiche de cinéma n’est plus une image fixe, muette, produite sur du papier et apposée à l’entrée des salles de cinéma. Elle est devenue, ou presque, une création changeante, brassant une multitude de nouveaux supports, ce qui nécessite d’avoir une génération d’affichistes cultivés et bien formés pour prendre la relève », souligne Chérif Nour, fondateur de l’atelier Graph-Art, ayant pour but de former des jeunes graphistes et de les initier aux nouvelles techniques. Et d’ajouter : « Depuis des années, l’art de l’affiche est redevenu en vogue. De quoi donner lieu à une nouvelle génération de jeunes affichistes indépendants, mêlant créativité et nouvelles sciences synthétisées, telles que le Photoshop, la graphique en 3 dimensions, la photographie et le design. Le but est de créer de nouvelles affiches qui expriment l’ère du numérique ».
L’objectif de cette série d’ateliers est aussi de favoriser les débats critiques et la compétitivité parmi les professionnels, afin de permettre la transmission de la passion des affiches aux plus jeunes. Car pour les créateurs actuels, le métier a besoin d’un brin de jeunisme, ayant souffert de plusieurs problèmes qui ont freiné son essor. Les affichistes — eux — sont devenus de plus en plus indépendants au niveau de la vision artistique ... Plusieurs s’insurgent, alors.
« De nos jours, les hommes derrière les affiches sont en réalité les producteurs, ou plutôt les distributeurs », affirme Sara Abdel-Moneim, jeune affichiste et propriétaire de la société Sign Agency, spécialiste de la promotion et de la commercialisation des oeuvres artistiques. « Au fil des ans, l’affiche a perdu le plus en indépendance. Non seulement les producteurs et distributeurs ont leur mot à dire, mais parfois aussi les réalisateurs et les stars. Ils cherchent à garantir les ingrédients d’assaisonnement habituels, ayant les yeux fixés uniquement sur le box-office », ajoute-t-elle.
Autrefois, l’art de l’affiche était plus indépendant, affirme-t-on. Il était surtout exploité par des boîtes précises tels Al-Saghr ou Al-Khattat Al-Arabi (le typographe arabe). Celles-ci éditaient elles-mêmes leurs propres affiches, faisant appel à de véritables artistes ou à leurs propres peintres. Toutefois, l’affichiste-dessinateur est devenu démodé à partir des années 1990, et surtout avec le passage de la lithographie à l’offset fabriqué à travers l’ordinateur.
Un métier, plusieurs techniques
Vu qu’une affiche de cinéma est certes inséparable du film qu’elle exhorte, elle doit porter sur des idées solides, capables de marquer les esprits et de bâtir le sceau visuel qu’on associe au film. Si, pour les anciens créateurs, une affiche se doit de résumer un film en une image, il existe de nos jours des propositions de visuels dont la signification est quelque peu différente.
« Pour l’artiste, une affiche est un tableau ou plutôt un poème qui doit exprimer un état d’âme. Cet état d’âme est l’idée du film et son genre, explique Sara Abdel-Moneim. Pour un film policier par exemple, la technique de l’affiche doit être tout à fait différente de celle d’un film comique. L’affiche d’une comédie, quant à elle, doit avoir un style assez direct, se posant sur des couleurs plus gaillardes et des effets ou des aspects caricaturaux. Quant au stylisme d’une affiche de film policier, on doit se servir d’un éclairage et d’un ombrage précis, afin d’atteindre l’effet visé ».
Mais les affichistes ont d’autres problèmes. Nader Mourad, graphiste, signale que « l’on n’a toujours pas d’écoles ou d’académie en Egypte pour former les personnes intéressées, ce qui livre les affichistes à eux-mêmes … Ils tentent chacun de se trouver un style en autodidacte ».
A Hollywood, on peut trouver des formations artistiques ou académiques offrant aux étudiants un éclairage approfondi sur l’art de l’affiche ou de la commercialisation du produit cinématographique. Or, ce concept est quasiment absent des études académiques en Egypte, comme partout dans le monde arabe. L’affiche, ici, relève de la responsabilité des producteurs, dont la majorité n’a pas recours à des spécialistes.
« L’une des causes indéniables de la stagnation qui a frappé le cinéma égyptien il y a quelques années est la faiblesse des affiches. Le public préfère les affiches des films étrangers qui l’attirent plus, alors qu’ici, on continue à miser sur les éléments commerciaux habituels et les images osées », analyse Khaled Hassouna, jeune créateur d’affiches et d’annonces.
Selon lui, « la majorité des affiches récentes sont malheureusement vides de tout sens, presque des copies conformes d’oeuvres hollywoodiennes ou européennes faites sans respecter les goûts et tendances du public égyptien ».
La carte de la séduction
« Une affiche doit respecter la psychologie du public auquel elle s’adresse, explique Sara Abdel-Moneim. Une bonne affiche doit s’adresser aux différentes classes et tranches d’âge, loin des demandes démesurées de certains producteurs ou comédiens ».
Néanmoins, pour l’affichiste, accuser les nouvelles affiches du cinéma égyptien d’être plagiées des films américains, « c’est de l’injustice totale ». « Un affichiste doit être doué, cultivé et ouvert à toutes les cultures. Il peut donc être influencé par une nouveauté, sans que cela constitue du plagiat », se défend Sara Abdel-Moneim.
« Sur l’affiche d’un film comme Ibn Ezz (fils aisé), à titre d’exemple, j’ai voulu montrer le héros — Alaa Waleyeddine — dans une baignoire, afin de transmettre l’esprit comique de l’idée, indique Sara. Cependant, dans l’affiche d’un film tel que Héya Fawda ? (chaos) de Youssef Chahine, j’ai placé le personnage du policier despote au centre de l’affiche. Il paraissait de dos, en train de tirer sur des citoyens effrayés. De quoi résumer l’idée du film ».
Même si l’art de l’affiche témoigne d’une certaine révolution sur le plan esthétique, il est encore considéré comme un parent pauvre du cinéma. Pourtant, certains festivals s’intéressent désormais de près à cet art avéré, tel que le Festival de l’Association du film, qui décerne l’un de ses prix à la meilleure affiche. « Espérons que ce genre d’ateliers consacrés à l’art de l’affiche encouragera les instituts spécialisés à bouger même un petit peu », un espoir exprimé par un grand nombre de jeunes affichistes.
Nostalgie du bon vieux temps
Dès ses débuts, le cinéma égyptien a dressé un langage visuel unique en son genre à travers des affiches en noir et blanc, ou en couleurs frétillantes. Celles-ci étaient peintes à la main et sont devenues, au fil du temps, des objets de collection très recherchés.
D’ailleurs, l’affiche en Egypte est aussi ancienne que les premières séances organisées par Mohamad Karim, à travers sa société de production fondée à Alexandrie en 1917. Né en même temps que le cinéma, l’art de l’affiche en est l’un de ses piliers publicitaires : producteurs et distributeurs faisaient appel à certains peintres pour concevoir les affiches de leurs films. Citons, entre autres, Nabawi, le créateur des affiches de certains films de Youssef Wahbi et Mohamad Abdel-Wahab, ou encore Hassan Gassour, concepteur des affiches de la trilogie de Naguib Mahfouz.
Ces affichistes avaient un contact avec les producteurs et quelques réalisateurs mais, souvent, ne voyaient pas les films. Seuls quelques grands metteurs en scène ou stars comme Kamel Al-Telmessani ou Ezzeddine Zoulfouqar travaillaient en étroite collaboration avec les réalisateurs. Suite à la Seconde Guerre mondiale, le marché de l’affiche commerciale devient plus restreint. Pourtant, certains affichistes, tel Al-Saghr, ont continué de faire un travail remarquable. C’est à partir de cette période que le cinéma a réussi à renforcer son rôle et à connaître un succès international. Cela dit, les affiches de cette belle époque restent les témoins d’une société en transition, passant d’un statut de pays colonisé à celui de pays indépendant.
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