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Rébellion, les images fortes d’un quotidian

May Sélim, Mercredi, 22 janvier 2014

Chouf (regarde) résume en photos les trois années post-révolution­naires. Les photo­graphes-journalistes d’Al-Shorouk y livrent un témoignage poignant et humain, loin des objec­tifs de la presse papier.

Dina Al-Wedidi
Dina Al-Wedidi dans Al-Fan Midan, par Randa Chaath.

Ce ne sont pas des photos qui traitent d’une actualité brûlante et directe : il s’agit plutôt de photo-reportages montrés avec la lumière qu’il faut et pour le public qu’il faut.

Les photographes du quotidien Al-Shorouk ont choisi de creuser dans nos quotidiens. Ils dévoilent divers aspects humains de notre vie depuis la révolution de janvier 2011 à quelques jours près de sa commémoration.

Les appareils des six photographes montrent de petites histoires rebelles à travers l’exposition collective Chouf (regarde) tenue récemment à l’Atelier du Caire. « Nous sommes des collè­gues. Nous en avons assez des règle­ments de compte que l’on connaît en ce moment en Egypte et des contraintes imposées sur le travail journalistique, fait remarquer Randa Chaath, chef d’équipe du service Photo à Al-Shorouk. Nous nous inté­ressons aux photos-reportages qui favorisent la communication avec les gens. Malheureusement, une série pareille n’a pas, jusque-là, sa place dans les pages des journaux égyp­tiens. Il y a un malentendu concernant la définition de la photo journalis­tique et de la photo artistique. Qui a dit que la photo journalistique n’a pas d’aspect artistique ? Les responsables des diverses rédactions n’accordent pas assez d’intérêt aux photos qui racontent, dans l’ensemble, une his­toire précise ».

Les photographes cherchent donc à développer leurs histoires et à les exposer au grand public loin de leur support papier. Ils se révoltent, à leur manière, comme le souligne Chaath : « Ce n’est pas ma première exposi­tion, mais certains de mes collègues et amis exposent pour la première fois. L’idée consiste à avoir un espace de communication avec les autres, à s’ouvrir plus et à toucher le public ».

Par sa série traitant des femmes musiciennes, « Ma musique, ma voix », Chaath montre des moments intimes de plusieurs chanteuses « underground » telles Dina Al-Wedidi et Mariam Saleh ... De jeunes chanteuses qui ont brillé de mille éclats, notamment après la révolution. On les voit avant les concerts, en train de faire leur toilette, de se farder ... ou sur scène dans des quartiers populaires. L’appareil photo de Randa Chaath dévoile la lutte de ces chanteuses qui poursuivent leur chemin avec détermination. Elles sont de jeunes rebelles.

Casser les murs

Les autres photographes de l’expo­sition résument eux aussi les trois dernières années, chacun suivant un angle différent. Ali Hazaa a capturé les murs et blocs de ciment construits par les forces de l’ordre au centre-ville. Au pied du mur, un homme prie, un garagiste répare une voiture … Les gens continuent à trouver une issue, à contourner les obstacles, à vivre ...

La Troupe est une autre veine de photos, prises par le plus jeune, Zyad Hassan, qui y raconte le travail d’une troupe ambulante de marionnettes et de guignols gigantesques. Ses membres défilent avec leurs poupées, dans les rues, offrant une vision cri­tique de la réalité politique du pays. Leurs guignols géants montrent les leaders du Conseil militaire en pyja­mas ou rappellent d’autres figures de proue des Frères musulmans. Les photos de Hassan passent en revue les moments saisissants des marionnet­tistes qui se révoltent à leur manière, eux aussi.

Les maux, les larmes et le silence des familles qui ont perdu l’un des leurs durant les troubles politiques sont pesants. Le photo-reportage signé Sabri Khaled saisit les sanglots des mères qui ont perdu leurs fils, ceux des femmes en deuil et des hommes bouleversés. Il nous commu­nique leur affliction, le poids de l’ab­sence d’un martyr. Et l’on se retrouve sans voix .

Regards sur l’autre et sur soi

Le quotidien de Robert, imprimeur qui a passé le gros de sa vie chez les frères, au Collège de La Salle de Daher, est bien résumé par les photos de Georges et Samuel Mohsen. Malgré son allure modeste, souriant et paisible, Robert a influencé des générations et des générations.

Les photos enregistrent sa vie, moments après moments, avant qu’il ne tombe dans l’oubli. Les deux frères-artistes lui consacrent un vrai photo-reportage, se focalisant sur sa dévotion humaine, ils nous font parvenir la voix discrète de Robert.

La photographe Héba Khalifa met en scène sa vie privée, notamment son statut de mère célibataire. Khalifa montre des photos qui dévoilent ses maux et ses conflits internes. Son montage accentue l’idée de l’absurdité de son quotidien et son amour pour Frida Kalho. On retrouve par exemple une photo d’elle, avec sur la tête des plantes vertes poussant naturelle­ment. Puis, elle montre un repas constitué de cailloux, faisant allusion à l’expression familière « des gens qui mangent les cailloux », c’est-à-dire qui ont la vie dure.

Héba Khalifa ne capte pas simplement les scènes de tous les jours, elle dévoile tout un agencement, place son modèle dans un décor particulier, dans le but de faire passer son message. Elle fait des confidences pour se sentir mieux dans sa peau et résister aux pressions que connaît une femme qui a décidé d’élever sa fille toute seule.

*L’exposition sera prochainement en tournée dans plusieurs gouvernor

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