Le somptueux Palais de Aïcha Fahmi (Centre des arts à Zamalek) dégage un air nostalgique, accentué par l’exposition en cours. Celle-ci nous plonge dans l’Egypte d’antan, entre 1920 et 1975. Les grandes salles du palais accueillent 40 peintures signées Mahmoud Saïd (1897-1964), ainsi que 75 autres tableaux de 14 peintres étrangers, soit les professeurs, amis et collègues de Saïd, qui ont joué un rôle important dans la vie culturelle égyptienne.
L’exposition est organisée par le secteur des arts plastiques du ministère de la Culture, en coopération avec de différents musées et des collectionneurs privés, dont notamment Hussam Rashwan, disparu il y a 60 ans.
« Mahmoud Saïd est l’un des pionniers de la peinture moderne qui a émergé avec la création de l’école des beaux-arts en Egypte, vers 1908, par le prince et mécène Youssef Kamal, dans le quartier de Darb Al-Gamamiz. Lui et d’autres artistes-maîtres tels Mahmoud Mokhtar, Youssef Kamel, Habib Gorgui, Mohamed Nagy et Ragheb Ayad ont forgé l’identité artistique du pays, réunissant traditions et techniques européennes. Leurs sujets étaient souvent en lien avec la culture locale », souligne Waleed Qanouch, directeur du secteur des arts plastiques, pendant le vernissage.
Saïd L’apôtre.
Issu d’une famille aisée d’Alexandrie, le jeune Mahmoud Saïd éprouvait une passion pour les arts. Il a été formé entre 1913 et 1918 par des artistes italiens installés dans sa ville natale. Il a fait des études en droit, puis a décidé de se rendre en Europe dans les années 1920, à ses propres frais, pour étudier l’art à l’Académie Julian. Il a quand même progressé dans sa carrière juridique, mais en 1947, il a voulu tout arrêter pour se consacrer à la peinture.
Il puisait ses sujets dans la vie des gens ordinaires et s’inspirait de la ville-port et de ses personnages, d’où son univers authentique et riche en couleurs.
Une vue du Liban (L’automne).
La biographie d’un « apôtre »
A l’entrée du palais sont montrés quelques pamphlets et ouvrages portant sur ses différentes expositions et ses chefs-d’oeuvre. Sur le mur est accroché L’apôtre, un autoportrait qui date de 1924, révélant le côté mystique et contemplatif de l’artiste. Il se détache sur un arrière-plan de vieilles masures, de mosquées et de passants, offrant à la toile une note réaliste. L’apôtre est bel et bien l’artiste lui-même, c’est ainsi qu’il conçoit son rôle au sein de la société. Puis, on découvre au fur et à mesure d’autres autoportraits réalisés à différentes phases de sa vie.
Ensuite, dans une salle à l’éclairage sombre, on découvre le décor de son studio dans sa maison du quartier de Janaklis, qui est resté intact depuis sa mort. Cette maison a été d’ailleurs transformée en un musée qui porte son nom.
Les pièces exposées nous plongent dans l’univers du peintre : une photo de lui en train de peindre, des traces de couleurs sur une palette ancienne, un portrait de l’artiste sculpté par Mohamed Moustapha, son fauteuil en cuir, etc.
Esquisse de corps nu.
Puis, dans une autre salle, sont regroupés plusieurs textes et citations de Saïd, racontant son mariage, son rapport à la famille … On aperçoit le portrait de sa femme Samiha Riad, sa fille Nadia vêtue d’une robe blanche, son père, sa mère, sa soeur, son beau-frère ... Tous ces portraits familiaux sont en positions classiques.
L’artiste était très attaché à sa famille. Les photos en noir et blanc, exposées au deuxième étage, le confirment une fois de plus, partageant avec les visiteurs quelques souvenirs d’enfance.
Des femmes rebelles
On passe, ensuite, aux tableaux représentant des femmes égyptiennes voluptueuses et sensuelles, parfois nues. La baigneuse (une paysanne égyptienne) et Nue (une mariée d’Alexandrie) témoignent, entre autres, d’une conception rebelle de la femme dans l’oeuvre de Saïd. Car même lorsque certaines de ses protagonistes portent déjà un petit foulard sur la tête, elles se veulent séduisantes et révoltées. Les corps nus s’imposent dans toute leur splendeur sauvage, avec leurs courbes et leurs rondeurs. Elles sont actives dans les champs ou en tenue de ville.
Un seul portrait, celui d’une femme vêtue de noir, est accroché dans la fameuse salle japonaise du palais, où tout est presque en rouge. Quelques sketchs empruntés à la collection privée de Hussam Rashwan dévoilent l’obsession de Mahmoud Saïd quant à la reproduction du corps dans des positions diverses.
La famille (la première leçon) de Cléa Badaro.
Après qu’il avait abandonné sa carrière juridique en 1947, ses tableaux deviennent plus contemplatifs ; l’artiste pose un regard serein sur les paysages en Egypte comme ailleurs. La nature devient son véritable refuge. Il y retrouve la paix.
Bonjour les amis !
Après avoir terminé de se promener parmi les salles principales du palais, il faut descendre quelques marches d’escalier et se rendre à l’annexe afin de découvrir une autre facette de l’artiste, à travers ses amis et compagnons de route.
Une grande photo en noir et blanc regroupe, de droite à gauche, Arestminous Angelpoulos, Mahmoud Saïd, Laurent Marcel Salinas, Cléa Badaro, Aristide Papageorge, la femme de Salinas et Madame Shalhoub. Voilà quelques-uns de ses amis proches. Imprégnés de culture égyptienne, ayant passé un certain temps au Caire ou à Alexandrie, ils racontent leur Egypte, chacun selon son style.
Des femmes de Mariout de Giuseppi Sebasti.
Adolescent, Mahmoud Saïd s’est formé auprès des artistes italiens Amélia Daforno Casonato (de 1913 à 1915) et Arturo Zanieri (de 1916 à 1918). L’influence de Casonato (1878-1969) sur l’art moderne égyptien est d’ailleurs indéniable. Car elle s’est installée à Alexandrie pendant quarante ans et a fondé une première école d’art privée à Alexandrie six ans avant la création officielle des beaux-arts. Dans cette école privée, elle enseignait les courants artistiques italiens et quelques principes académiques.
L’exposition montre quelques paysages d’elle, inspirés de la nature de son pays, à savoir Une forteresse roumaine, une ruelle italienne.
Le studio du professeur italien chevronné Arturo Zanieri (1870-1955), un maître du portrait, était le refuge de tous les bourgeois qui voulaient faire de l’art. Ces derniers se réunissaient dans son atelier chaque dimanche pour apprendre les secrets du dessin et de la peinture. Il a peint plusieurs portraits représentant Une dame égyptienne.
L’Italien Giuseppe Sebasti (1900-1961), arrivé à Alexandrie à l’âge de huit ans, a fondé, avec son ami Mohamed Nagy, l’Atelier d’Alexandrie en 1934. Il était l’ami le plus proche de Mahmoud Saïd et son collègue au studio Zanieri. Ensemble, ils ont fondé le Musée des beaux-arts d’Alexandrie.
Le coeur partagé entre l’Egypte et l’Italie, il était fasciné par les scènes de la vie quotidienne au bord du Nil et dans le désert. En témoignent ses oeuvres Les femmes de Mariout, La bédouine et Les funérailles.
Laurent Marcel Salinas (1913-2010) est né à Alexandrie d’un père français et d’une mère italienne. Il a passé sa jeunesse entre la France et l’Egypte et il est devenu plus tard l’un des proches compagnons de Pablo Picasso grâce à ses prouesses dans les méthodes et techniques lithographiques. Il a transféré brillamment son style dans la gravure et la peinture à ses disciples.
Portrait d’Arturo Zanieri.
Le Français Roger Bréval (mort en 1967) s’est installé au Caire pour enseigner l’art à la faculté des beaux-arts. Son atelier, situé à la rue Al-Antikhana, accueillait régulièrement les membres du groupe Al-Khayal (chimère) dont Mahmoud Saïd, Mahmoud Mokhtar, Ahmed Rassim, Hidayet Chiraz, Mohamed Nagy.
Bréval dépeignait la vie quotidienne des Egyptiens, les quartiers populaires du Caire et les paysages du Nil. Il a souvent représenté la femme et la paysanne égyptienne dans des costumes traditionnels et a excellé dans la peinture des nues ; son style particulier a fortement influencé les artistes égyptiens à venir.
Grec d’Alexandrie, Aristide Papageorge (1899-1983) a enseigné pendant de longues années à l’Atelier d’Alexandrie. Il a contribué à jeter les bases d’un art alexandrin, différent de celui qui prévaut au Caire. Ces bases ont donné naissance plus tard à l’école des beaux-arts d’Alexandrie, installée par le sculpteur Ahmed Osman, en 1957.
Les lignes de Papageorge, ainsi que les tâches de couleurs répandues sur la toile lui accordent une expression unique.
Les bars de la Geuxième Guerre
Cléa Badaro (1913-1958), elle, est née au Caire d’un père égyptien et d’une mère grecque. Elle a poursuivi des études artistiques à l’Académie des beaux-arts à Lausanne, en Suisse. Elle a travaillé en temps de guerre dans les hôpitaux et les cantines fréquentés par les soldats revenant du combat et a enregistré dans ses peintures l’ambiance des bars et des cabarets de l’époque. De retour en Egypte, ce sont les femmes du pays qui lui ont inspiré le gros de ses tableaux. Ainsi, nous passons d’un ami à l’autre, d’un style à l’autre, en essayant de faire le lien avec Mahmoud Saïd et en essayant de décerner les multiples influences.
Mahmoud Saïd et compagnie, jusqu’au 15 octobre, tous les jours de 9h à 14h et de 17h à 21 (sauf le vendredi) au Palais de Aïcha Fahmi, 1, rue Aziz Abaza, Zamalek.
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