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Un chaos fatal

May Sélim, Mercredi, 17 juillet 2024

Dans sa nouvelle pièce Opéra Al-Ataba (l’opéra de la place Ataba), Hani Afifi parodie le chaos répandu dans cette fameuse place du centre-ville et dénonce avec humour noir tant de problèmes sociaux.

Un chaos fatal
Le conteur Mohamad Abdel-Fattah dans le rôle de l’intellectuel.

Devant les portails du théâtre Al-Talia, une soprano et un ténor chantent ensemble en italien la chanson napolitaine O Sole Mio. Derrière eux se trouvent des marchands ambulants qui s’emparent de la place Ataba. Dans cette ambiance chaotique, un des clients regarde avec curiosité les deux chanteurs, sourit en écoutant la musique et le chant d’autrefois. Après cette belle prestation d’opéra, quelques clients applaudissent les chanteurs, s’interrogent sur ce qu’ils font, puis retournent à leurs achats. C’est ainsi que le metteur en scène Hani Afifi a choisi de débuter sa pièce de théâtre Opéra Al-Ataba (l’opéra de la place Ataba) qui s’inspire du contexte historique, géographique et social de la place Ataba au centre du Caire.

A l’origine, la place Ataba est un ancien quartier cairote qui regroupe un complexe de théâtres (Théâtre National, théâtre Al-Talia et théâtre des Marionnettes). Autrefois, elle était connue pour ses grands magasins de vêtements, la caserne des pompiers, la poste générale et l’Opéra khédival. Ce dernier a été détruit par un incendie en 1971. Un parking a été construit à son emplacement. Petit à petit, les bâtiments ont perdu leur éclat d’autrefois et les marchands à la sauvette se sont installés dans le quartier. Le chaos évoqué par les marchands avec leur bruit et leurs produits a complètement ravagé l’image du passé. Afifi mise sur ce contexte et présente le chant lyrique au milieu du chaos. « Que se passe-t-il si un jour ces marchands s’emparent des planches du théâtre Al-Talia ? Quel genre de musique écoutent-ils ? A quel genre d’art s’intéressent-ils ? Comment le public d’aujourd’hui définit-il la beauté ? La présence d’un public limité des arts raffinés au profit de milliers de créateurs de contenu sur les réseaux sociaux a-t-elle affecté la conscience et la culture des gens ? Comment les Shorts avec leurs faibles et triviaux contenus enregistrent-ils des millions de vues, alors que le public des arts raffinés ne dépasse pas quelques centaines de spectateurs ? », s’interroge Hani Afifi, auteur et metteur en scène. Dans son texte, il a recours au langage de la rue égyptienne et aux slogans des marchands ambulants. En plus, il reprend la poésie de Mahmoud Darwich, des extraits d’OEdipe roi et des explications des théories sociales, littéraires et artistiques. Il s’ajoute à cela des scènes improvisées par les jeunes comédiens eux-mêmes lors des répétitions.


Une femme au foyer symbolise la surconsommation.

Des sketchs d’humour noir

Dès le départ, l’humour noir est de mise. La présence du chant lyrique dans le chaos de Ataba est assez paradoxale. Le public est emmené à la salle de théâtre. Dans le noir, il est surpris par les comédiens qui jouent le rôle des marchands ambulants. Ces derniers s’infiltrent dans les rangs du public pour vendre leurs produits. Sur les planches, le décor de Omar Ghayatt évoque des bâtiments délabrés qui nous rappellent les anciens édifices et maisons de la place Ataba. D’anciens échafaudages en bois divisent la scène en plusieurs niveaux. Le centre est réservé aux scènes qui changent rapidement : celles des marchands ambulants, du métro, du microbus, etc. Le devant de la scène est souvent réservé à ces jeunes comédiens qui prennent des selfies ou qui cherchent à faire des Reels sur Instagram ou TikTok. A droite : la salle de séjour d’un intellectuel (Mohamad Abdel-Fattah : Kallabala) qui ne cesse de répéter les slogans d’autrefois, le monologue de Tiresias dans la tragédie de Sophocle OEdipe roi, les poèmes de Mahmoud Darwich et les définitions du post-modernisme. Il parle au micro avec un ton sérieux. Il est complètement isolé dans son monde loin du chaos de la place Ataba. Une peinture abstraite est accrochée au mur de la salle, de gros livres sont placés sur les étagères. L’intellectuel écoute encore Oum Kalsoum et des extraits du chant d’opéra.

A gauche, une femme au foyer (Doaa Hamza) résume l’idée de la surconsommation. Installée sur son sofa, elle fait ses courses par téléphone et ne sort jamais de chez elle. Sa maison est remplie de boîtes en carton. Malgré son caractère pathétique, Hamza, avec un ton et une expression sincères, suscite le rire du public.

Les scènes défilent comme des sketchs séparés qui assurent la distance entre les personnes d’une même communauté et résument beaucoup de problèmes sociaux. Sur un écran, le metteur en scène fait montrer des Reels sur des chansons rythmées et dansantes. Un chanteur, star des Mahraganate, réussit à attirer les jeunes autour de lui alors que ses paroles sont triviales.

Chaque sketch vient contredire son précédent. On passe de l’intellectuel à la rue, à la femme au foyer, au TikTok, etc. Entre les scènes, les comédiens dans la peau des marchands ambulants se rapprochent de plus en plus du public. Parfois, ils parlent aux spectateurs pour les convaincre d’acheter un crayon ou une paire de chaussettes. Sur les planches, ces marchands s’emparent de la scène. L’intellectuel disparaît devant les gros sacs des marchands ambulants placés devant sa porte. La femme au foyer est dissimulée derrière ses caisses en carton. Les marchands ambulants s’imposent !

Opéra Al-Ataba, tous les jours à 21h (sauf les lundis et les mardis) au théâtre Al-Talia, place Ataba, centre-ville.

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